2.1 La création d’un espace européen de l’enseignement supérieur

Depuis 1998, année de la signature de la Déclaration de la Sorbonne 111 , les pays membres de l’Union européenne se sont lancés dans un vaste processus de création d’un espace européen de l’enseignement supérieur dont la mobilité des étudiants est l’une des composantes. Les raisons évoquées dans cette déclaration ainsi que dans toutes les autres qui ont suivies (Lisbonne en 2000, Prague en 2001, Barcelone en 2002 et Berlin en 2003) afin d’expliquer cette opération peuvent être classées en quatre catégories.

La première renvoie à l’idée selon laquelle la construction de l’Europe n’a pas comme but unique le développement d’un marché économique. Elle vise aussi la formation d’un sentiment d’appartenance à l’Europe qui favorisera la participation à la démocratie, à la paix et à la cohésion sociale :

‘Il est aujourd’hui largement reconnu que l’Europe des Connaissances est un facteur irremplaçable du développement social et humain, qu’elle est indispensable pour consolider et enrichir la citoyenneté européenne […] et pour renforcer le sens des valeurs partagées et de leur appartenance à un espace social et culturel commun 112 . ’

À cette fin, le rôle de l’éducation est depuis longtemps reconnu, comme nous l’indique l’extrait de la Convention de création de l’UNESCO cité plus haut. La compréhension mutuelle et la communication interculturelle sont perçues comme des éléments de consolidation de l’Union européenne.

En second lieu, la création d’un espace européen de l’enseignement supérieur vise à concurrencer les marchés éducatifs des autres grandes régions du monde :

‘« Nous devons en particulier rechercher une meilleure compétitivité du système européen d’enseignement supérieur. Partout, la vitalité et l’efficacité des civilisations se mesurent à l’aune de leur rayonnement culturel vers les autres pays. Nous devons faire en sorte que le système européen d’enseignement supérieur exerce dans le monde entier un attrait à la hauteur de ses extraordinaires traditions culturelles et scientifiques » 113 .’

L’idée sous-jacente – qui pourrait bien, préviennent certains auteurs, devenir une nouvelle forme de colonialisme 114 – est d’attirer les meilleurs candidats du monde en vue d’établir d’éventuelles collaborations économiques et politiques avec ces élites étrangères qui auront été formées au sein des universités européennes. L’Europe cherche à s’assurer un rayonnement culturel et intellectuel international.

Ensuite, on veut permettre à la main-d’œuvre de répondre aux nouvelles conditions de travail et de s’adapter aux transformations rapides de la nouvelle économie.  Dans le contexte actuel, les jeunes comme d’ailleurs l’ensemble des travailleurs doivent avoir les qualifications qui leur permettent de s’intégrer dans les secteurs dynamiques de l’emploi : « Naturellement, il y a un objectif clair lié à tout cela, c’est le développement des ressources humaines. Il y a des individus qui vont bénéficier d’un enseignement de qualité et cela va se répercuter dans la société » 115 .

Enfin, cette prise en considération du rôle primordial de l’enseignement supérieur dans la satisfaction des besoins en main-d’œuvre hautement qualifiée nous conduit au quatrième ordre d’explication du processus de construction d’un espace d’enseignement supérieur européen. Ce qui est également mis de l’avant par l’Europe, c’est la nécessité de s’assurer un haut niveau de compétences pour « devenir l’économie la plus compétitive et la plus dynamique du monde » 116 .

‘« La Déclaration de la Sorbonne du 25 mai 1998, qui s’inspirait de ces mêmes considérations, […] insistait sur la nécessité de créer un espace européen de l’enseignement supérieur, comme moyen privilégié pour encourager la mobilité des citoyens, favoriser leur intégration sur le marché du travail européen et promouvoir le développement global de notre continent » 117 . ’

Au nom de ces valeurs et de ces nouvelles réalités, les pays membres de l’Union européenne se sont donc dotés de mesures concrètes dont certaines concernent spécifiquement la mobilité étudiante. À ce titre, le programme ERASMUS dont nous avons déjà fait état constitue un outil clé dans le processus de construction d’un espace d’enseignement supérieur. Il fait maintenant partie d’un ensemble de programmes (Comenius, Grundtvig, Lingua et Minerva, etc.) intégrés à Socrates en 1995 dans le but de centraliser les différentes actions européennes dans le domaine de l’éducation (Commission européenne, 2000). Parallèlement, les pays signataires des différentes déclarations sous-jacentes au processus de construction d’un espace européen de l’enseignement supérieur ont adopté des mesures visant l’établissement d’un système de crédits (ECTS) qui facilite la reconnaissance des études réalisées dans un autre pays de l’Union, la création d’un système de diplômes comparables, l’adoption d’un système basé sur deux cycles principaux (l’un qui oriente vers le marché du travail, l’autre vers le mastaire et/ou le doctorat), l’abolition des obstacles à la mobilité et la promotion de la dimension européenne dans l’enseignement supérieur 118 . En ce qui concerne le rayonnement et l’attractivité des établissements d’enseignement supérieur européens à l’étranger, la Commission européenne lance son nouveau programme ERASMUS Mundus en janvier 2004, lequel offre à des étudiants du monde entier une bourse d’excellence leur permettant de réaliser leur formation en Europe. Ce programme a pour objectif de proposer une « offre clairement "européenne" dans le domaine de l’enseignement supérieur. Il cherche avant tout à améliorer la qualité et l’attrait de l’enseignement supérieur européen dans le monde » (Commission européenne, 2004).

Les motifs évoqués par l’Union européenne afin d’expliquer sa politique de promotion de la mobilité étudiante sont rejoints, à quelques exceptions près comme nous le verrons à l’instant, par ceux des gouvernements français et québécois. Voyons les structures et les programmes développés par ces deux sociétés.

Notes
111.

Déclaration de la Sorbonne, « Harmoniser l’architecture du système européen d’enseignement supérieur », à l’occasion du 800e anniversaire de l’Université de Paris, déclaration conjointe des quatre ministres en charge de l’enseignement supérieur en Allemagne, en France, en Italie et au Royaume-Uni, Paris, en Sorbonne, le 25 mai 1998.

112.

Déclaration de Bologne, « L’espace européen de l’enseignement supérieur », déclaration commune des ministres européens de l’Éducation réunis à Bologne le 19 juin 1999.

113.

Déclaration de Bologne, 19 juin 1999.

114.

« C’est que tout est conçu pour rentabiliser et maximiser l’influence économique, politique et culturelle du pays à l’étranger. Ainsi donc, ce qui compte est le prestige qui découlera des échanges, c’est l’exportation de la culture à l’étranger. Peut-on, à côté de son aspect mercantile, souligner les risques quelque peu néo-colonialistes d’une telle politique… » (Houguenague et Vaniscotte, 2003 : 150).

115.

Extrait d’un entretien auprès d’un représentant de la Commission européenne.

116.

Le Conseil européen extraordinaire de Lisbonne (mars 2000) : vers une Europe de l’innovation et de la connaissance : http://europa.eu.int/scadplus/leg/fr/cha/c10241.htm .

117.

Déclaration de Bologne, 19 juin 1999.

118.

Déclaration de Bologne, 19 juin 1999.