2.2 Les gouvernements français et québécois

En France, l’accueil des étudiants étrangers connaît un repli marqué durant la décennie 90. Alors qu’ils étaient 161 148 à entrer au pays en 1990, ce nombre chute à 149 295 huit ans plus tard, avant de connaître une hausse ces dernières années (CNDMIE, 2004 : 10). Certains attribuent cette situation à la prise en considération tardive, par la France, de l’existence d’un marché international de l’éducation (West et Dimitropoulos, 2003 : 23).

La parution de nombreux rapports, à la demande du ministère de l’Éducation nationale, du ministère des Affaires étrangères, de l’Assemblée nationale ou de la Chambre de Commerce et de l’Industrie de Paris, témoignent toutefois de la préoccupation grandissante que devient la question de la mobilité internationale des étudiants pour les pouvoirs publics français 119 . Les recommandations et les propositions contenues dans ces rapports ont contribué plus ou moins directement à l’offensive internationale récente de la France en matière d’éducation. Parmi les mesures les plus notoires, mentionnons la création de l’Agence EDUFRANCE en 1998 et celle du Conseil national pour le développement de la mobilité internationale des étudiants en 2003 (CNDMIE), la coopération accrue entre le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l’Éducation nationale et une présence plus marquée de la France dans les salons étrangers de l’éducation et de recrutement.

L’Agence EDUFRANCE, par exemple, est un groupement d’intérêt public qui réunit les universités, les grandes écoles et les écoles d’ingénieurs. Sa mission consiste à promouvoir l’offre éducative française à l’étranger, à coordonner la coopération éducative internationale et à améliorer les conditions d’accueil des étudiants étrangers en France. Ses publics cibles sont les étudiants étrangers et les organisations internationales telles que l’Union européenne et la Banque mondiale. Les enjeux soulignés par EDUFRANCE pour expliquer sa mission rappellent ceux du contexte international de vive concurrence économique, éducative et culturelle évoqués par l’Union européenne :

‘« Le marché de la formation supérieure est devenu à l’heure de la mondialisation, un enjeu de compétition où s’affrontent les États-Unis avec 560 000 étudiants étrangers, le Royaume-Uni avec 200 000 étudiants étrangers, la France avec 130 000 étudiants étrangers, notamment. L’enjeu est à la fois culturel, puisqu’il s’agit de la formation des élites des pays étrangers, et économique, puisque ce secteur représente aux États-Unis le quatrième poste d’exportation rapportant chaque année plus de 7 milliards de dollars » 120 .’

De même en va-t-il de la création du Conseil national pour le développement de la mobilité internationale des étudiants. Cette structure consultative, installée le 12 novembre 2003 auprès du ministre de l’Éducation nationale de l’enseignement supérieur et de la recherche et du ministre des Affaires étrangères français, a en effet pour mission d’analyser les conditions dans lesquelles se produisent les flux de mobilité entrante et sortante des étudiants et de formuler des propositions d’amélioration de ces conditions. Cela dans le but de renforcer l’attractivité internationale de l’enseignement supérieur français dans un contexte où les établissements d’enseignement du monde entier luttent de manière féroce pour s’arracher les meilleurs chercheurs et étudiants (CNDMIE, 2004 : 16-17).

La nature et l’envergure de ces mesures politiques ne manquent pas d’inquiéter certains observateurs qui voient se profiler la réduction de la migration étudiante traditionnelle, celle en provenance des pays en voie de développement, au profit d’une élite empruntant des circuits organisés. C’est notamment la thèse défendue par Slama dans La fin de l’étudiant étranger :

‘La fin de l’étudiant étranger entend aussi décrire le nouveau visage de l’étudiant étranger : plus européen, asiatique, ou américain; d’un niveau plus élevé d’études. Il s’agit de plus en plus souvent de scientifiques ou de chercheurs de troisième cycle ou d’étudiants accueillis dans des programmes gouvernementaux ou universitaires. Ils sont sélectionnés à de multiples échelons et font l’objet de toutes les attentions et sollicitations des autorités puisque considérés comme « invités de la France ». Il s’agit surtout d’un « flux » canalisable d’étudiants dont on souhaite le départ à l’issue de leurs études (Slama, 1999 : 16).’

Si les statistiques actuelles ne permettent pas hors de tout doute de confirmer la hausse des mobilités institutionnelles d’étudiants originaires des pays occidentaux aux dépens des mobilités individuelles en provenance des pays en développement 121 , Coulon et Paivandi (2003) admettent que les intentions manifestées par les pouvoirs publics vont dans ce sens. Or, cette transformation progressive des politiques publiques françaises à l’endroit des étrangers, traditionnellement orientées vers le développement international, se vérifie également au Québec.

Au Québec, la Stratégie d’internationalisation de l’éducation lancée en 2002 sous le gouvernement péquiste s’inscrit dans une perspective similaire, avec des particularités qui ne sont pas étrangères à la politique interne canadienne 122 . Cette stratégie, laquelle concerne les trois ordres d’enseignement du Québec – les commissions scolaires, les CEPGEPS et les universités –, comporte quatre axes. Le premier, intitulé Éducation et formation, consiste à intégrer une dimension internationale au contenu des programmes d’études et de formation. Le second axe est celui de la Mobilité et vise à accroître et à faciliter la mobilité des connaissances et des personnes, tant des étudiants que des professeurs et des enseignants. L’axe Exportation du savoir-faire, pour sa part, a pour objectif de rendre accessible les programmes québécois d’éducation et de formation à un plus grand nombre de partenaires canadiens et internationaux. Enfin, l’axe Rayonnement et positionnement concerne les activités plus politiques et diplomatiques de représentation du Québec sur la scène internationale en matière d’éducation. C’est dans le but qu’il y ait une meilleure coordination des différentes initiatives d’internationalisation entreprises séparément par tous les paliers de l’éducation québécoise que cette stratégie a été définie par le ministère de l’Éducation, en concertation avec les différents partenaires concernés.

Nous voyons bien, au regard des deux derniers axes, que le Québec désire comme la France et l’Europe se positionner de manière concurrentielle sur le marché international de l’éducation. En outre, le document de présentation de la stratégie ne manque pas de faire appel au contexte de la globalisation économique pour expliquer que les acteurs de l’enseignement et les acteurs politiques ont le devoir d’unir leurs efforts afin d’offrir aux Québécois une formation adaptée aux nouvelles réalités des marchés du travail :

‘La volonté d’internationaliser l’éducation québécoise ne date pas d’aujourd’hui. Le ministre de l’Éducation et ses différents partenaires que sont les établissements à tous les ordres d’enseignement n’ont cessé, dans les dernières décennies, de déployer des efforts en ce sens. Récemment, cependant, à la faveur des changements politiques majeurs sur la scène internationale, des progrès techniques et de l’explosion des échanges mondiaux, la donne a changé très rapidement (Gouvernement du Québec, 2002 : 3). ’

À l’instar de la France, cette nouvelle « donne » semble s’accompagner d’un changement de perspectives quant au rôle politique traditionnel du Québec en matière d’éducation internationale. Cet extrait d’entretien explique comment le ministère de l’Éducation du Québec s’est progressivement déplacé d’une approche en termes de développement international à une approche fondée sur l’internationalisation de l’enseignement supérieur :

‘Donc [historiquement], les ententes intergouvernementales en éducation ont été influencées par l’importance de la francophonie, et donc influencées aussi par une approche qui est l’aide au développement. On a signé des ententes avec des pays en développement et quand on regarde ces ententes, il y a peu de réciprocité. On est pris avec des obligations de relations internationales historiques, gouvernementales, alors que je suis au ministère de l’Éducation. Mes prédécesseurs ont été fortement influencés par cette problématique de relations internationales dans le cadre de la francophonie et du soutien au développement et c’est depuis 1996 qu’on s’est orienté différemment. Pour faire court, le discours du ministère de l’Éducation est : la première responsabilité du MEQ et de nos établissements, c’est de former les étudiants québécois dans le contexte d’aujourd’hui où la dimension internationale, que ce soit sur le marché du travail ou même dans la réflexion, ça peut varier selon les disciplines. C’est de former les Québécois avec des outils et des orientations telles que le Québec ne soit pas balkanisé et que sur le marché du travail, il y ait des perspectives. Donc, la mobilité étudiante des Québécois est devenue plus importante en termes d’orientation que la venue d’étudiants étrangers d’une part, et cette mobilité avait des objectifs non seulement de formation mais aussi de recherche » 123 .’

L’offensive politique du Québec ne semble pas étrangère aux initiatives de l’Union européenne quant à la création d’un espace européen de l’enseignement supérieur 124 ainsi qu’aux mesures entreprises par le gouvernement fédéral, lequel cherche à renforcer le rôle du Canada dans le monde 125 . Dune part, les universités québécoises n’ont pas voulu rester en marge du processus qui avait cours en Europe, cette dernière risquant de prendre le pas sur le marché international de l’éducation. De plus, les politiques établies en Europe et pour l’Europe pouvaient constituer un risque pour le Québec de voir la France se détourner de lui et s’engager plus activement avec ses voisins, alors même que la France constitue historiquement son partenaire étranger privilégié. Le temps était venu pour le Québec d’entrer dans la danse.

D’autre part, Ottawa offre depuis quelques années divers programmes et services de soutien à « la promotion des valeurs et de la culture canadiennes à l’étranger » afin « de faire connaître les talents canadiens à l’étranger et de communiquer nos valeurs et notre mode de vie aux populations du monde entier » 126 . Les programmes de soutien et de bourses qui appuient le développement de l’« industrie canadienne de l’éducation » au Canada et à l’étranger, les programmes canadiens et internationaux de bourses d’études, les programmes de soutien aux universitaires étrangers qui font de la recherche sur le Canada ainsi que le service de « commercialisation » de l’éducation, sont autant de mesures entreprises par le gouvernement fédéral canadien. Avec le lancement d’une stratégie d’internationalisation de l’éducation, le gouvernement du Québec répondait donc à la pression politique exercée par Ottawa dans un domaine qui n’est pourtant pas de compétences fédérales ainsi qu’à la pression des marchés du travail en processus d’internationalisation.

Notes
119.

Coulon et Paivandi (2003) recensent plusieurs rapports. Ceux-ci contiennent des recommandations qui ont trait à l’allègement des formalités pour la délivrance de la carte de séjour, l’assouplissement du système de visas, l’extension des possibilités d’emploi en cours d’études, etc. (Rapport Weil, 1997). Ils portent sur l’évaluation de la position de l’enseignement supérieur français sur le marché éducatif international et sur la place qu’occupe la France sur la scène internationale en matière de mobilité étudiante (Dufourg, avril 1999 et Clayes, septembre 1999). Ils mettent de l’avant des propositions afin d’améliorer l’accueil des étudiants étrangers (rapport Prévos, mars 1999 et Cohen, 2001).

120.

Fiche de présentation d’EDUFRANCE : www.diplomatie.gouv.fr/actual/dossiers/edufrance.html .

121.

À cet égard, toutefois, Slama (1999 : 13) avance que les données sur le nombre d’étudiants étrangers accueillis en France sont déformées par le fait qu’elles englobent également les jeunes issus de l’immigration, lesquels formeraient jusqu’à près de 40% de l’effectif total. Ainsi, la diminution du nombre d’étudiants en France véritablement en provenance de l’étranger serait masquée par l’entrée à l’université, vers le début des années 80, de ces jeunes d’origine étrangère résidant déjà en France.

122.

Afin de mieux comprendre le rôle de la province sur la scène internationale, nous invitons le lecteur à consulter l’annexe 4 sur l’histoire des relations France-Québec.

123.

Entretien mené auprès d’un représentant du Ministère de l’éducation du Québec.

124.

Entretien réalisé avec un représentant de l’Université de Montréal.

125.

Entretien avec un représentant du Ministère de l’Éducation du Québec.

126.

Ministère des affaires étrangères et du commerce international : http://www.dfait-maeci.gc.ca/culture/menu-fr.asp .