2.1 Les dispositifs de mobilité juvénile et la socialisation à l’international

Pour certains enquêtés français et québécois, c’est la présence d’un dispositif organisationnel particulier qui permet aux parents d’offrir une initiation à l’international précoce à leurs enfants. Dans le cas cette jeune femme et de ses deux sœurs, c’est par l’entremise de l’entreprise de son père, ouvrier qualifié, qu’elle a pu partir à quelques reprises en colonies de vacances à l’étranger :

‘« Par un comité d’entreprise, par le travail de mon père, on avait la possibilité de partir en colonie et donc ils nous ont tous fait faire, on était d’accord, on est toutes parties, trois semaines pas en même temps mais chaque année, chacune trois semaines en Angleterre pour un séjour linguistique. Et moi en ce qui me concerne, j’ai fait pas mal de camps à l’étranger, donc j’ai fait un tour de Scandinavie et j’ai fait un tour d’Europe aussi, toujours trois, quatre semaines, donc j’ai fait la Belgique, l’Allemagne, l’Autriche… toujours en colonie. Mes sœurs ont toutes fait le tour d’Europe. Vers 15 et 18 ans. Je suis allée au Maroc, donc c’est vrai que j’avais déjà le goût des voyages, de l’étranger » (Christelle, 24 ans, Française).’

Les voyages scolaires linguistiques et/ou culturels au niveau de l’enseignement secondaire constituent un autre moyen par lequel les enquêtés de milieux modestes sont initiés à l’international 162 . Ici, une légère distinction apparaît entre nos informateurs français et québécois. Alors que presque tous les enquêtés français ont dit avoir déjà fait au moins un voyage scolaire en compagnie de leurs camarades de classe dans un autre pays européen lorsqu’ils étaient au collège ou au lycée, seuls deux Québécois en ont fait mention en ce qui concerne le niveau de formation équivalent, soit l’enseignement secondaire. Tous les autres enquêtés québécois ayant expérimenté un séjour international dans un cadre scolaire l’ont fait au niveau collégial 163 ou universitaire 164 .

En France, les déplacements dans un cadre scolaire pré-universitaire sont généralement effectués en groupe et sont de quelques jours lorsqu’ils ont pour vocation la découverte culturelle d’une ville et d’une à trois semaines lorsque le volet linguistique y est adjoint. La majeure partie de ces voyages scolaires ont eu lieu dans un pays européen, les destinations les plus représentées parmi nos répondants étant l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. Dans quelques cas, le voyage s’est fait sous la forme d’une entente entre deux écoles et avait été précédé d’un échange de correspondances postales entre des élèves jumelés. Dans ce cas, chacun des correspondants est accueilli dans la famille de l’autre.

‘« Et puis j’avais des "corrès" quand j’étais plus jeune, en Allemagne, et puis ça s’était bien passé, quoi. C’était à l’école, en fait. Il y avait des échanges entre les écoles, quoi. Je devais être au collège. Donc il y avait un échange d’abord de lettres et puis après ils sont venus une semaine, et nous on est allé une semaine. Et ça s’était bien passé parce que j’y étais allée plusieurs étés de suite sans l’école, quoi. Toujours chez la même famille. Et alors eux donc étaient Allemands et d’origine hongroise donc on allait passer l’été en Hongrie. Donc en fait, j’ai découvert aussi la Hongrie. Et en fait, j’avais aussi envie de découvrir l’Europe de l’Est, quoi » (Delphine, 27 ans, Française).’

Il n’est pas rare qu’un lien d’amitié se développe entre deux correspondants au point que des séjours ultérieurs se passent chez l’une ou l’autre des familles, en dehors du cadre scolaire. C’est ce qui s’est produit pour la jeune Française suivante :

‘« C’était l’année de Première, j’ai un an d’avance, donc j’avais… 16 ans… Oui, j’avais 16 ans. C’était dans un cadre scolaire, en fait l’année d’avant j’avais reçu donc une Russe pendant 15 jours qui était venue, ça s’est très, très bien passé, on a noué des liens d’amitié quand même assez forts et l’année suivante je suis partie voir cette amie en Russie pendant 15 jours. C’était mon premier grand voyage à l’étranger aussi loin et c’est vrai que ça a été très, très marquant […]. C’était dans le cadre d’un groupe, on était une vingtaine de Français à partir, c’était un échange donc avec mon lycée et avec un autre lycée de la région lyonnaise » (Gwénaëlle, 24 ans, Française).’

Pour plusieurs jeunes, c’est cette première expérience au lycée qui motivera le choix de leur première ou deuxième langue à l’université ainsi que le pays de leur séjour d’études. Gwénaëlle, qui nourrit l’espoir de travailler un jour en Russie ou en collaboration avec des entreprises russes, choisira en effet le russe comme deuxième langue et, lorsque plus tard elle apprendra qu’aucun échange d’étudiants n’est possible avec une université russe, elle se rabattra sur la Finlande comme lieu de réalisation de son séjour d’études.

Au Québec, les séjours culturels et linguistiques de courte durée semblent moins répandus dans les écoles secondaires 165 . Annabelle raconte avoir eu une correspondante d’un lycée français avec lequel son école était jumelée. En secondaire 3, un groupe de Québécois était parti vivre pendant deux semaines dans la famille de leur correspondant français, après quoi le groupe de Français était venu au Québec. Deux autres jeunes ont expérimenté un voyage culturel et linguistique de deux semaines en Angleterre en compagnie de leurs camarades de classe. Outre ces cas isolés, les autres voyages scolaires des enquêtés québécois ont eu lieu au sortir de l’école secondaire, dans le cadre d’un projet collectif élaboré au CEGEP. Les formes et les motifs pris par ces séjours sont multiples : un long week-end à New York ou à Boston, 10 jours en France dans le cadre d’un festival; trois semaines en Israël et dans les territoires palestiniens; deux semaines au Maroc, etc.

Pour les jeunes disposant d’un faible capital spatial international, c’est souvent l’usage conjoint des liens forts et des liens faibles, jumelé à la disponibilité de programmes organisés de séjours à l’étranger, qui suscitent un agrandissement de l’espace d’action et invitent à la concrétisation du projet de séjour international. Dans l’extrait suivant, nous comprenons que la pluralité des contextes sociaux permet à la jeune femme d’avoir accès aux informations nécessaires à l’élaboration de ses projets de mobilité, son univers familial immédiat n’étant pas du tout orienté vers l’international :

‘« La première fois que je suis partie, quand j’avais 15 ans, je suis partie l’été à Toronto apprendre l’anglais comme gardienne d’enfant. J’ai connu ça… C’était de la parenté qui connaissait une fille qui avait fait ça. Ça fait que j’avais appliqué, et il y a une famille qui m’avait appelée. C’était un mois et demi, deux mois. J’ai aimé ça. J’étais contente de m’en aller. C’est ça que je voulais faire, je me rappelle, ma mère ne voulait pas. Elle me disait, "tu devrais attendre peut-être une année ou deux". Je l’ai fait pendant deux étés de suite. Dans la même famille. […] Après mon secondaire 5, bon là j’ai décidé d’aller au CEGEP. J’ai fait une année de CEGEP en langues et traduction. Et ça n’allait pas bien. Ça me tentait de partir, j’avais une amie qui était partie en Espagne, qui avait trippé, elle m’avait vantée la culture espagnole, je trouvais ça cool. Et après mon année de CEGEP, ça n’allait pas bien avec mes parents, ça n’allait pas bien chez nous. Je me chicanais avec mes parents, je me chicanais avec mes frères, donc ça, ça m’a vraiment poussée. Changer d’air aussi. Je ne savais pas où aller. J’avais pensé peut-être aller aux États-Unis pratiquer encore l’anglais. Je voulais prendre un programme qui s’appelle EF, je pense. Là on m’avait référée à un Québécois qui y était allé. Ils m’avaient dit " vous pouvez l’appeler si vous voulez avoir des renseignements". Je l’avais appelé. Il m’avait dit "si tu es bonne en anglais…" – j’étais quand même bonne en anglais – de ne pas y aller. Et là je pensais à mon amie qui était allée en Espagne. Oui, je pourrais apprendre une nouvelle langue, l’espagnol. Et là, il y avait une école à Barcelone. Finalement, j’avais pris les renseignements, je me suis décidée, je suis partie après ma première année de CEGEP, je suis partie neuf mois à Barcelone. J’avais des cours d’espagnol à tous les jours. Mes parents ne voulaient pas. C’est quand même assez cher. Mais je les ai convaincus… Je suis très déterminée » (Jeanne, 24 ans, Québécoise).’

Notes
162.

Bien que ces expériences scolaires ne leur soient pas exclusivement destinées.

163.

Le système d’enseignement québécois comprend, entre l’enseignement de niveau secondaire et le niveau universitaire, une formation collégiale (CEGEP) de deux ou trois années selon qu’elle est générale ou technique.

164.

Au Canada, les étudiants de niveaux collégial et universitaire ont la possibilité de s’inscrire à un programme d’immersion linguistique offert par le gouvernement fédéral pendant la période d’été. Plusieurs Québécois ont ainsi passé un mois et demi dans une autre province canadienne en vue d’apprendre l’anglais.

165.

Selon la personne de l’organisme Éducation internationale avec laquelle nous nous sommes entretenues, la situation serait en train de changer. Les Commissions scolaires portent une attention accrue à ce type d’activité interculturelle. Il n’en demeure pas moins que la position géographique de la province et l’étendue du territoire compliquent les escapades de courte durée à l’étranger, exigeant du temps et des sommes d’argent non négligeables.