CHAPITRE 6. MOTIVATIONS DE DÉPART, NÉGOCIATIONS ET APPROPRIATION DES RESSOURCES

Le rapport à l’espace ne doit pas se lire comme une simple intention subjective d’appropriation. Un attrait subjectif pour l’international, par exemple, peut certes être un élément favorable à son appropriation éventuelle, mais c’est une tout autre chose que de vivre par un acte concret cette attirance. Toutefois, il n’est pas non plus, et nous avons insisté là-dessus au chapitre précédent, une simple fatalité. Le rapport à l’espace d’un individu ou d’une famille n’est pas un phénomène statique qui conditionne la suite des comportements et des représentations liés à l’international. Ce serait conclure de façon simpliste que les jeunes qui proviennent d’un milieu familial où l’international et les déplacements dans un espace décloisonné font partie de la socialisation reçue sont nécessairement appelés, dans leur vie future, à circuler internationalement. Inversement, cela voudrait dire que les individus pour qui les diverses formes de déplacement international ne font pas a priori partie de l’histoire familiale et de l’univers d’attentes normatives reproduisent des comportements caractéristiques d’un mode de vie sédentaire et localisé. Or, la question de la transmission des pratiques de l’espace s’inscrit moins dans une logique de reproduction que dans une logique d’interprétation et de réappropriation de la part d’acteurs sociaux soumis à une pluralité de modèles de comportement. Nous pouvons dire autrement que si les pratiques et les représentations de l’espace d’un individu ne sont pas étrangères à ses pratiques et à ses représentations antérieures, elles ne sont pas entièrement et à jamais déterminées par la position qu’il occupe initialement dans la structure sociale. Celles-ci se forgent, évoluent, se complexifient et se transforment au fur et à mesure de ses nouvelles expérimentations. Le rapport à l’espace doit être compris comme une disposition, un potentiel de mobilité à la fois produit par des événements passés et producteur de situations à venir.

Cela étant dit, il faut à présent prendre soin de ne pas enfermer l’analyse des parcours individuels du côté d’une logique endogène qui postulerait que les pratiques spatiales d’un individu se construisent à travers leur seul enchaînement. Des facteurs extérieurs ont aussi des effets appréciables dans la construction du phénomène de la mobilité internationale des jeunes, en ce qui concerne les modalités d’appropriation tant concrète que symbolique de l’espace. Les transformations des économies – qui invitent plus d’un jeune à acquérir des compétences liées au savoir, à développer des capacités de communication interculturelle, à retarder son insertion professionnelle – et les supports institutionnels de mobilité juvénile – les divers soutiens organisationnels et financiers qui facilitent, voire initient l’expérimentation de diverses formes de séjour à l’étranger – sont des éléments extérieurs aux histoires individuelles qui, notamment, agissent comme autant de contraintes et d’opportunités sur les parcours de vie. Les conditions objectives rencontrent les stratégies individuelles pour concourir ensemble à la construction sociale des carrières.

Après avoir abordé les expériences internationales antérieures des jeunes, à la fois engendrées par et engendrant des dispositions à la mobilité, le regard se déplace à présent sur la mobilité étudiante internationale proprement dite. Le chapitre suivant a d’abord pour but d’exposer les représentations que se font les jeunes Français et Québécois de l’espace international et du séjour d’études à l’étranger au moment de partir. Nous cherchons à comprendre les diverses motivations subjectives à une appropriation de l’espace international sous la forme spécifique d’un séjour d’études. Pourquoi avoir entrepris de partir étudier à l’étranger? La parole des jeunes sera placée, lorsqu’il y a lieu, sous l’éclairage des conditions structurelles dans lesquelles et face auxquelles elle s’est forgée – caractéristiques des marchés du travail, des systèmes éducatifs, etc. L’objectif est de montrer que derrière la réalisation d’une mobilité internationale sous des formes objectivement similaires se trouve une pluralité de motivations propres aux différents univers publics et privés de la vie sociale ainsi qu’à leurs sociétés d’origine et d’accueil, motivations plurielles qui s’entremêlent de façon complexe chez tous les enquêtés.

Si les motivations subjectives à la mobilité étudiante internationale ne sont pas conditionnées dans tous les cas par l’offre institutionnelle de séjours d’études à l’étranger, elles lui sont néanmoins inextricablement imbriquées. Quelques rares exceptions d’enquêtés français et québécois ont pu mobiliser les ressources nécessaires à la mise en œuvre d’un projet autonome de mobilité étudiante, mais même ceux-là ont dû agir en fonction des traits caractéristiques de leurs domaines de formation académique. Les étudiants organisent leur(s) séjour(s) d’études en interaction plus ou moins directe avec les structures institutionnelles des sociétés d’origine et d’accueil. C’est pourquoi la deuxième partie de ce chapitre sera consacrée à l’analyse attentive des diverses négociations qui ont lieu entre les jeunes et les institutions liées de près ou de loin à la mobilité étudiante internationale tout au long du processus menant à un départ effectif.