1.2.2 La recherche de qualifications et de compétences professionnelles

Nous avons vu, au chapitre 3, en quoi le processus de la globalisation économique entraîne la transformation des marchés du travail et, à sa suite, des qualifications et des compétences désormais exigées de la part de la main-d’œuvre. Parallèlement, les accords régionaux conclus entre les gouvernements dans des domaines économiques, sociaux, culturels et scientifiques – tels que l’Union européenne et l’ALÉNA – nécessitent des ressources humaines en mesure de communiquer avec leurs vis-à-vis étrangers. Le plurilinguisme, et particulièrement la connaissance de la langue « des affaires » qu’est l’anglais, constitue un atout que les employeurs réclament de plus en plus à leurs employés.

De fait, la nécessité de connaître l’anglais, voire une troisième langue afin de faciliter l’obtention des postes les plus convoités, fait partie des préoccupations d’une bonne partie des informateurs qui confirment avoir réalisé un séjour d’études à l’étranger dans cette optique. Tant pour les enquêtés qui font des études de langue (huit Français et deux Québécois) que pour ceux qui souscrivent à d’autres domaines de formation, il s’agit en effet de l’un des motifs du premier séjour le plus souvent évoqué. En ce qui a trait aux étudiants français et québécois inscrits dans une filière linguistique, aucun d’entre eux ne devait obligatoirement faire un stage ou un séjour de formation à l’étranger pour l’obtention de son diplôme. La jeune Québécoise suivante, en plus de déplorer cette situation, critique le fait qu’aucune promotion des possibilités d’immersion linguistique n’était faite par son département d’études hispaniques C’est elle-même qui, sensibilisée aux bienfaits d’une immersion lors de séjours linguistiques antérieurs à Toronto et à Barcelone, a entrepris les démarches afin de partir :

‘« C’est tout à fait décourageant. Il me semble qu’ils auraient pu en parler, je sais pas, surtout aux étudiants québécois, si vous avez l’intention d’enseigner l’espagnol, ou de travailler là-dedans, ça serait peut-être bien de faire une immersion, de connaître la culture » (Jeanne, 24 ans, Québécoise, Mexique).’

En somme, tous les étudiants en langues sont partis de leur propre chef, comme d’ailleurs l’ensemble des 80 enquêtés.

L’intérêt que les jeunes ont pour une langue étrangère est souvent repérable assez tôt dans leur parcours et connaît des origines diverses. D’un côté se trouvent les jeunes qui sentent le besoin, à l’instar de ce qui précède, d’apprendre l’anglais : « Je voulais pas un jour rater un boulot parce que je parlais pas anglais, quoi » (Armand, 27 ans, Français, Ontario). Ceux-là ont un rapport plutôt utilitaire à la langue, espérant que sa maîtrise ouvrira des portes sur le marché du travail. De l’autre côté, il y a les enquêtés qui apprennent une langue par intérêt pour une culture particulière, intérêt parfois né d’un séjour antérieur dans le pays : « j’ai donc décidé de faire anglais-russe à la fac, c’est un peu ça [le voyage en Russie au lycée] qui m’a motivée dans mon choix, parce que c’était pas commun non plus… » (Gwénaëlle, 24 ans, Française, Finlande). C’est également le cas d’Hubert qui a commencé à s’intéresser à la Suède par passion pour les films d’un cinéaste suédois ou de Geneviève qui est tombée amoureuse d’un Autrichien. Ici, bien que l’apprentissage de la langue puisse tout aussi bien leur être « utile » académiquement et professionnellement en raison de leur champ de spécialisation, c’est l’intérêt pour la culture plus que l’usage pratique qui est à la source des apprentissages – et du séjour d’études. Entre ces deux cas de figure, enfin, se retrouvent tous les jeunes d’origine immigrée ou issus d’un mariage mixte. Pour eux, les possibilités de séjour d’études à l’étranger constituent l’occasion rêvée de nouer des liens intimes avec leurs propres racines culturelles. C’est le cas de ce Québécois d’origine allemande, qui tenait à vivre pendant au moins un an dans le pays de ses parents :

‘« Parce que pendant mon voyage, j’étais allé en Allemagne pour voir le pays de mes parents, pour voir comment c’était vivre en Allemagne parce que je parlais l’allemand mais je n’y avais jamais vécu. Donc je voulais partir au moins pendant un an. […] J’avais quand même grandi dans une famille allemande. J’étais parfaitement bilingue en ce qui concerne le parler allemand. Écrire, je pouvais écrire presque sans faute mais j’avais pas l’habitude et donc, c’était intéressant pour moi de voir que je ne pouvais pas seulement fonctionner dans cette société canadienne, qui est déjà un petit peu plus compliquée que la plupart des pays, partagée entre deux cultures, mais aussi que je pouvais fonctionner en tant qu’Allemand » (Frederic, 34 ans, Québécois, Allemagne). ’

Comme les enquêtés précédents, leur rapport à la langue est souvent d’ordre plus affectif qu’utilitaire.

Cela dit, des informateurs issus de l’immigration manifestent parfois l’envie d’étudier à l’étranger pour d’autres motifs que l’apprentissage de la langue ou de leur culture d’origine. Contraints par les exigences de leur programme de formation ou par la liste des établissements étrangers avec lesquels leur université a signé des accords, ils peuvent cependant ne pas être en mesure de partir là où ils le souhaitaient initialement. Leurs compétences linguistiques deviennent dans ce cas une ressource utilitaire, leur offrant un plus large éventail de pays d’accueil. C’est ce qui s’est produit avec Annamaria qui, ne pouvant pas partir en Angleterre comme elle le souhaitait, s’est rabattue sur le pays d’origine de ses parents :

‘« En fait si tu veux, ça s’est présenté pendant l’année. J’ai su pendant l’année que c’était possible. C’est vrai qu’à l’époque, moi j’aurais préféré partir en Angleterre. Mais je ne pouvais pas puisque dans les universités anglaises, il n’y avait pas le niveau d’italien qu’on avait en France. Et il fallait quand même qu’on ait un diplôme équivalent à la licence française. Parce que c’est vrai que l’Italie, j’avais l’occasion d’y aller souvent, si tu veux. Mes parents étaient d’origine et tout, je ne dirais pas que c’était du gaspillage, mais bon… » (Annamaria, 25 ans, Française, Italie).’

Le fait de parler plusieurs langues constitue une ressource de première importance dans l’acte de s’approprier l’espace international puisqu’il élargit l’éventail de destinations envisageables. Par ailleurs, ce dernier extrait laisse entrevoir le travail de réajustement qui peut résulter d’un décalage entre les aspirations de l’étudiant et les possibilités institutionnelles, ce qui sera abordé sous peu.

Les deuxième et troisième langues apprises par les enquêtés sont des plus diverses et variées : l’anglais, l’italien, l’allemand, l’espagnol, le portugais, le taiwanais et le coréen sont les langues apprises par les Français, et l’anglais, l’espagnol, l’italien, le suédois, le norvégien, le danois, l’allemand, l’arabe, le turc, et le portugais, par les Québécois. Ce large spectre des langues apprises par les Québécois est étonnant au regard du fait qu’ils ne sont que deux à étudier dans un programme de langues, qu’ils n’ont pas la même diversité culturelle que les Français parmi leurs principaux voisins géographiques et qu’ils effectuent moins communément que ces derniers des voyages culturels et linguistiques pendant leurs études secondaires. Cela s’explique sans doute par le fait que certains Québécois proviennent d’une école secondaire ou d’un établissement collégial dits « internationaux », où on leur dispensait des cours intensifs d’anglais et d’espagnol. De plus, des enquêtés québécois ont appris des langues parallèlement à leurs études doctorales, soit au cours de séjours à l’étranger d’une durée moyenne de quatre ans (suédois, norvégien, danois, allemand, turc et arabe).

Si aucun des enquêtés ne remet en cause la qualité de l’enseignement dispensé dans sa société d’origine, certains jugent que la formation qu’ils ont reçue depuis le début de leur cursus manque parfois de perspective. Ce jeune français explique ainsi sa volonté d’aller faire une maîtrise d’histoire au Québec :

‘« Les études françaises sont souvent critiquées pour être franco-françaises, notamment au niveau historique, au niveau histoire et géographique. Je m’étais dit que c’était bien, ça allait à l’encontre un peu des mentalités qu’on pouvait avoir au travers de l’Éducation nationale et des études supérieures et je m’étais dis que c’était bien, qu’il fallait que je m’y frotte » (Stéphane, 27 ans, Français, Québec).’

Si d’autres se font moins critiques à l’égard des enseignements acquis dans leur société, ils interprètent le fait de réaliser un certain nombre de cours dans un autre pays et dans un tout autre système d’enseignement comme un moyen d’élargir les méthodes et les approches possibles de la discipline : « ça faisait longtemps que j’étudiais en France, j’avais envie de voir comment on faisait ailleurs » (Mathieu, 27 ans, Français, Québec).

Dans un même ordre d’idées, des enquêtés justifient leur départ à l’étranger en fonction de l’intérêt intellectuel et professionnel qu’a pour eux la société de destination. Pour ces étudiants, cet intérêt pour une culture particulière n’est pas d’ordre strictement personnel (comme c’est le cas par exemple de Geneviève qui s’intéresse à l’Autriche parce que son petit ami en est originaire) mais s’exprime concrètement à travers leur domaine de spécialisation et leur projet d’études. Ainsi en va-t-il de ce jeune Québécois étudiant en architecture qui, en plus d’adorer la ville de Paris pour laquelle il a eu un « coup de foudre incroyable » lors d’un voyage précédent, dit vouloir étudier dans une école parisienne parce que l’architecture française a « une identité très forte » et parce qu’il est « intéressé par ce courant-là » (Yann, 31 ans, Québécois, France). Ce long extrait d’Hubert est très évocateur de la jonction qui peut se produire graduellement entre l’attrait personnel pour une société donnée et le champ d’études :

‘« Vers l’adolescence, je dirais vers la fin de mon secondaire, je me suis intéressé à la Suède. C’est passé au début par intérêt pour les films d’Ingmar Bergman. Alors j’ai commencé à en voir vraiment, à m’intéresser à ce pays, c’est devenu un intérêt de plus en plus grandissant qui a un peu dépassé la culture, les arts mais qui s’intéressait aussi au modèle social. A l’État-providence. Et comme je me dirigeais vers la sociologie, c’est apparu dans plusieurs publications, on voyait que la Suède en termes d’égalité sociale était souvent en tête de rang. Alors ça m’a intrigué, fasciné, intéressé et j’ai commencé à prendre des cours de suédois un peu ici et éventuellement j’ai fait un premier voyage en 1990 pendant quelques semaines. C’était avec la carte de train pour toute l’Europe alors j’ai fait le tour, France, Suède et puis c’était mon premier contact direct avec la Suède. Il faut dire que je n’ai pas d’antécédents suédois. Personne dans la famille a un lien avec la Suède, c’est quelque chose de tout à fait… c’est une curiosité. Alors c’est un intérêt que j’ai développé seul pour ce pays […] Je m’étais dit que je voulais absolument vivre à l’étranger et plus particulièrement en Suède. Alors je me suis orienté, je crois que je commençais mon université, alors j’étais en socio, je faisais un bacc en socio et tout de suite pour ma maîtrise j’ai été à [nom de l’université] parce qu’il y avait quelqu’un, professeur, qui avait été en Suède déjà et qui connaissait la Suède. Alors j’ai écrit un travail de recherche sur la Suède en prévision d’un diplôme à faire là-bas. Un doctorat ou autre chose. La maîtrise d’abord avec lui et lui me permettait d’avoir des contacts là-bas et de m’inscrire à Stockholm. Et ça a été un peu comme prévu. Alors j’ai rencontré ce professeur, j’ai étudié avec lui, et il m’a mis en contact avec les professeurs là-bas à Stockholm et j’ai appliqué, j’ai été accepté. Alors j’ai eu une bourse de trois ans qui m’a permis de vraiment partir plusieurs années » (Hubert, 32 ans, Québécois, Suède).’

Les enquêtés qui sont parvenus à étudier dans le pays faisant l’objet de leur fascination sont souvent partis au niveau de la maîtrise et surtout du doctorat et semblent se trouver majoritairement au sein des disciplines des sciences humaines et sociales. Ce constat laisse à penser que des considérations telles que le secteur d’études, le degré de spécialisation offert par le niveau de diplôme et la disponibilité d’organismes boursiers susceptibles de financer le projet d’études participent activement à faire converger l’affection personnelle pour une culture et l’acte de partir étudier dans le pays de prédilection.

Alors que des jeunes n’accordent pas beaucoup d’importance à la notoriété dont bénéficie leur université d’accueil – « c’est là où je voulais aller malgré le fait que c’est pas l’école qui à l’époque avait la meilleure réputation, ça me préoccupait plus ou moins » (Yann, 31 ans, Québécois, France) – d’autres affirment au contraire être partis réaliser leurs études à l’étranger pour la qualité de l’enseignement qui y est dispensé et pour son prestige.

‘« En troisième année, parce que j’ai fait mon cours à [nom de l’université], en troisième année je me suis dit ce serait bien d’apprendre l’anglais, parce que mon anglais était minable, et d’aller apprendre ça dans une école qui est une des meilleures au monde » (Alexandre, 31 ans, Québécois, États-Unis).’

Cette motivation concerne davantage les étudiants des deuxième et troisième cycles d’enseignement supérieur et ceux qui ont réalisé une mobilité étudiante internationale en autonome. Ceux-là comptent recevoir une formation spécialisée et être officiellement diplômés d’une école internationalement reconnue dans le domaine, ce que ne permettent pas les échanges conclus dans le cadre d’une entente interuniversitaire 181 . Puisque l’échantillon québécois comprend davantage que l’échantillon français d’étudiants partis à l’étranger dans le cadre de leur doctorat et de façon autonome, cela explique certainement pourquoi les enquêtés québécois sont plus nombreux que les Français à avoir fait mention de ce motif. Cette motivation de départ est plus souvent évoquée afin d’expliquer les deuxième ou troisième séjours d’études, ce qui laisse entrevoir que les aspirations nourries par les étudiants évoluent au fil de leurs expériences de formation à l’étranger et de leur arrivée prochaine sur le marché du travail.

Enfin,des enquêtés espèrent que leur séjour d’études à l’étranger leur sera profitable professionnellement. Toutefois, à l’exception de ceux qui partent aussi en vue d’améliorer une langue ou de s’inscrire à un programme et une université réputés, peu d’étudiants savent dire en quoi, exactement, cela leur sera un « atout » et une « plus-value » sur les marchés du travail 182 . Ils misent sur le capital symbolique d’une telle expérience afin de se distinguer sur un marché du travail qu’ils ressentent comme étant très compétitif.

‘« J’ai fait une licence de physique, enfin ça s’est bien passé du point de vue humain parce que j’ai bien rigolé avec des amis parce qu’on s’est tous retrouvés dans le même TD, le problème c’est qu’on a trop rigolé et on a oublié de travailler, donc fatalement j’ai été obligée de recommencer mon année et recommencer les UV que j’avais ratés la première fois et je me suis dit, c’est là où il y a eu une petite prise de conscience de ma part, "ça va pas aller comme ça, si tout le monde fait la même chose on pourra pas être démarqué par rapport aux autres" et quand on sort du milieu universitaire c’est très dur de trouver du travail après. Donc il faut vraiment se démarquer, il faut vraiment avoir autre chose, il faut avoir un petit plus par rapport aux autres. Soit une double compétence, il y en a beaucoup qui se lancent dans l’informatique. Moi je me suis dit, étant pas branchée trop ordinateur, j’avais toujours envie de changer un peu de système du moins. Et j’avais entendu parler durant ma deuxième année de DEUG des échanges ERASMUS » (Charlotte, 28 ans, Française, Écosse). ’

En somme, les étudiants considèrent que si l’expérimentation d’une mobilité étudiante internationale ne garantit pas la gloire et le succès, elle ne leur causera certainement pas de torts, d’autant que les notes n’apparaissent pas sur les relevés 183 . Seule une enquêtée française dit s’être inquiétée du fait qu’elle partait pendant l’année précédant le CAPES qu’elle convoitait au terme de sa maîtrise :

« Je ne savais pas encore trop ce que c’était mais je m’étais bien dit avant de partir que j’allais certainement passer le CAPES en rentrant parce que mes copines de prépa, comme elles étaient pas parties en Allemagne, elles avaient passé le CAPES tout de suite. Et mes profs me disaient "vous savez, un an sans faire d’histoire, passer le CAPES, ça va vraiment être difficile…" Et c’est vrai que ça, ça m’a un peu titillée. J’y pense, ma colocataire est partie en même temps que moi, donc on avait fait les démarches en même temps, donc ça m’a peut-être un peu motivée » (Anne-Marie, 28 ans, Française, Allemagne).

En France comme au Québec, l’apport professionnel supposé du cursus à l’international fait partie des arguments évoqués par les responsables universitaires des échanges d’étudiants.

‘« Une autre raison pour avoir choisi de faire l’échange aussi c’est qu’une fois rendu [à l’université], quand on avait les séances d’information pour les échanges, ils nous disaient qu’on est 1000 étudiants qui finit chaque année […], et que la façon de se démarquer des autres étudiants c’est soit on a des très, très bonnes notes, soit qu’on fait l’échange international, donc on a un plus à notre CV, soit qu’on se démarque dans l’association étudiante ou dans quelque chose d’autre » (Martin, 27 ans, Québécois, Mexique).’

De quoi persuader les indécis même si, ce que nous nous sommes efforcés de montrer toute cette première moitié de chapitre, bon nombre d’autres motifs relatifs aux identités tant personnelles que sociales des jeunes, à leur sphère de vie privée comme à leur sphère de vie publique, participent à l’élaboration du projet.

Bien que des jeunes évoquent des motivations intimes et personnelles afin de justifier leur volonté de partir, les dispositifs de mobilité étudiante internationale ne constituent pas pour autant des moyens qu’ils s’approprient de façon opportuniste. Dans tous les cas, même les enquêtés qui profitent de cette offre institutionnelle pour rejoindre leur petit ami ou en raison d’un contexte familial qui leur donne envie de partir « pour toujours », nous verrons que les jeunes s’approprient les bénéfices académiques, sociaux, professionnels et symboliques de cette expérience et les intègrent d’une manière ou d’une autre à leur processus de formation et d’insertion professionnelle. Et s’ils prennent réellement conscience des connaissances et des compétences que promulgue le fait d’étudier dans un établissement étranger surtout lors de leur confrontation effective à des acteurs institutionnels et individuels « là-bas » et à leur retour « ici », ils comptent avant de partir sur le fait que cette expérience leur sera plus tard professionnellement profitable. En endossant le rôle d’étudiant étranger, acte facilité par une offre variable d’encadrement institutionnel et de support financier tant en France qu’au Québec, les jeunes peuvent répondre à leurs aspirations personnelles et relationnelles sans avoir à faire le choix d’interrompre leur processus de formation, tout en cumulant des expériences susceptibles d’intervenir favorablement sur leur insertion en emploi. Ce serait nier le caractère pluriel des acteurs sociaux que de tenter de dissocier les multiples facettes de leur identité pour ne retenir dans l’analyse du phénomène que les dimensions de l’identité sociale et professionnelle, en l’occurrence celles liées à l’école et au marché du travail. En vérité, les motivations propres aux sphères de la vie privée s’entremêlent à la sphère de la vie publique pour conduire à la réalisation du départ.

De plus, une appropriation du séjour d’études à l’étranger à des fins plus personnelles que celles généralement – mais non exclusivement – mises de l’avant par les acteurs institutionnels 184 conduit souvent, lors de séjours ultérieurs, à un (re)déplacement du sens de cette expérience vers un univers de significations cette fois plus orienté sur l’entrée prochaine en emploi et les possibilités de carrière professionnelle. Un premier séjour d’études à l’étranger peut favoriser l’appropriation de certaines ressources de toutes sortes grâce auquel le jeune formulera un second projet « spatio-académique » plus étroitement lié à sa transition prochaine sur le marché du travail.

Voyons à présent les tensions, décalages et ajustements entre les interprétations et les aspirations des jeunes d’un côté et les offres institutionnelles de l’autre. Car si les motivations subjectives à la mobilité étudiante internationale ne sont pas uniquement et entièrement déterminées par les divers dispositifs de séjours étudiants à l’étranger, elles leur sont plus ou moins liées selon les cas. La suite de ce chapitre a pour vocation de placer ces motivations subjectives sous l’éclairage des conditions institutionnelles dans lesquelles les enquêtés se trouvaient au moment de partir. Cela nous amènera à distinguer les modalités de négociation et d’usage des ressources.

Notes
181.

L’étudiant demeure dans ce cas-ci rattaché à son université d’origine, laquelle lui dispense son diplôme.

182.

Ils seront évidemment plus bavards à ce sujet au moment de leur retour, soit après avoir mesuré dans les faits les compétences qu’ils considèrent effectivement avoir développées.

183.

Les notes obtenues à l’étranger dans le cadre d’une entente institutionnelle n’apparaissent pas sur le relevé domestique. Sous condition d’avoir obtenu la note de passage, l’étudiant se voit simplement accorder les crédits correspondants. Cette règle est la même au Québec qu’en France.

184.

Les objectifs visés par les acteurs institutionnels de la mobilité internationale des étudiants ont été présentés au chapitre 4. L’approfondissement des connaissances et le développement de compétences interculturelles en vue d’une meilleure insertion en emploi sont les principaux bienfaits habituellement associés à la réalisation de cette expérience par un individu. Toutefois, il est également sous-entendu par les acteurs institutionnels que le fait de vivre à l’étranger pendant un certain temps favorise le développement de plusieurs aspects de la personnalité (autonomie, ouverture, tolérance...).