2.2 Des projets planifiés de mobilité étudiante internationale

À l’opposé de la dynamique entre les acteurs jeunes et les acteurs institutionnels présentée précédemment, d’autres enquêtés ont initié eux-mêmes les démarches nécessaires à la réalisation d’une partie de leurs études à l’étranger. Ces individus peuvent évidemment, tout comme les premiers, avoir vu leur intérêt pour un séjour d’études à l’étranger influencé par les offres faites par les acteurs institutionnels (universités, gouvernements, etc.). Toutefois, ce qui distingue principalement ces enquêtés-ci des jeunes précédents, c’est qu’ils connaissent depuis un certain temps les possibilités de poursuivre une partie de leur formation à l’étranger et qu’ils mûrissent depuis un moment l’intention sinon d’étudier à l’international, du moins d’y travailler. En d’autres termes, partir fait déjà partie des attentes normales, et ce sont ces attentes qui, à leur entrée à l’université, les font initier les démarches nécessaires auprès de leur établissement d’éducation et des organismes de soutien financier. En corollaire, les significations qu’ils attribuent à l’expérience concernent davantage des motivations d’ordre scolaire et professionnel (apprendre une langue, approfondir la connaissance d’une société et d’une culture en particulier, obtenir une formation reconnue internationalement, etc.), même si nombre de motivations personnelles et relationnelles peuvent également contribuer à l’intention de partir (renégocier certains rôles au sein de la famille, sortir du milieu universitaire, rejoindre sa petite amie, etc.).

Ce qui caractérise la situation des individus qui initient eux-mêmes les démarches nécessaires à l’organisation de leur séjour d’études, c’est à la fois la présence d’opportunités institutionnelles (ententes interuniversitaires, programmes gouvernementaux, organismes de soutien à la recherche ou à la mobilité) et la possession de ressources spatiales, sociales et économiques héritées et/ou acquises.

D’une part, les acteurs institutionnels jouent un rôle important lorsque la promotion des possibilités d’échange est faite suffisamment tôt dans le cursus de l’étudiant, notamment avant le choix du programme d’études et de l’établissement d’enseignement. C’est ainsi, par exemple, que cette jeune française d’origine portugaise, élève en classe préparatoire pour l’École normale supérieure, a pu organiser son cursus de manière à partir en séjour d’études à l’étranger :

‘« En fait, ERASMUS, j’en avais déjà entendu parler… peut-être même au lycée, je sais pas… Oui, enfin je savais que ça existait en tout cas, et en fait, quand j’ai fait ma prépa, je faisais cubé. Normalement, la prépa c’est deux ans, et si tu veux repasser le concours, tu as la possibilité de refaire une année qu’on appelle cubé, faire une 2e khâgne, en fait. Et j’avais commencé à cuber, donc normalement ça voulait dire que je serais rentrée à la fac seulement en maîtrise. Mais, en maîtrise conditionnelle, c’est-à-dire que comme le programme n’est quand même pas tout à fait le même, j’aurais eu des UV, enfin des unités à rattraper. Et je savais que je voulais partir en tant qu’ERASMUS donc déjà, en fait, en licence, et si je faisais ma maîtrise, comme j’aurais eu des unités à rattraper, je n’aurais pas pu partir. Et donc, j’ai commencé à cuber pendant deux semaines, et au bout de deux semaines, donc j’étais retournée en prépa, donc je suis partie avec une copine, elle aussi voulait partir en ERASMUS, en Italie par contre. Et si on restait en prépa donc on ne pouvait pas partir l’année suivante à l’étranger, bien on a quitté la prépa et on est venu faire la licence normalement à la fac. À cause de ça, vraiment » (Maria, 25 ans, Française, Espagne).’

À cet effet, les journées portes ouvertes et tous les événements durant lesquels les établissements d’enseignement informent et recrutent d’éventuels nouveaux étudiants ne sont pas à négliger :

‘« A l’université, l’histoire de mon échange, premièrement, je savais qu’il y avait un bon programme pour les étudiants qui voulaient aller à l’étranger, il y avait des bonnes connections. Je le savais avant de rentrer à [nom de l’université]. Ils avaient fait toute une visite spéciale pour certains étudiants, ils nous avaient fait visiter de fond en comble les programmes, et ça c’était un des gros services qu’ils offraient » (Benoît, 27 ans, Québécois, Angleterre).’

Lorsque les informations appropriées sont transmises suffisamment tôt dans son parcours scolaire, l’étudiant a alors l’occasion de réfléchir à son projet et dispose du temps nécessaire afin d’accumuler le plus d’informations, de ressources financières et de soutien moral et relationnel possible afin de contribuer au succès de son entreprise.

Cela dit, une intervention institutionnelle précoce ne semble atteindre son plein effet que lorsque l’étudiant possède déjà des ressources spatiales et sociales qui lui ont permis d’accumuler des territoires connus, de se forger un réseau social et de développer des compétences liées au « savoir-se-déplacer » et au « savoir-s’informer » 185 . Dans le cas de Benoît cité à l’instant, c’est un séjour linguistique de deux mois à Toronto, à l’âge de 19 ans, qui lui fait réaliser qu’il veut être mobile professionnellement, dans tous les sens du terme : « C’est là que je me suis dit : "moi je vais être quelqu’un qui va aimer aller d’une place à l’autre. Qui va potentiellement aimer aller d’une job à l’autre quand il ne trouve plus ce qu’il cherche" » (Benoît, 27 ans, Québécois, Angleterre). Ainsi, la possession d’un certain bagage de ressources spatiales prédispose l’individu à accueillir une éventuelle offre institutionnelle et peut le conduire à arrêter son choix pour l’établissement d’enseignement porteur de l’offre. C’est également ce qui se produit dans le cas de la jeune Française suivante :

‘« Depuis que j’étais partie au Japon, que j’avais fait 2-3 petits trucs à côté, j’avais envie d’aller ailleurs. Par contre, quand je suis rentrée en IUT, c’était la possibilité d’une alternance à l’étranger qui m’a fait aller en IUT. Ça, c’est sûr. Ils nous l’ont présenté comme ça, d’ailleurs il y avait plusieurs filières en IUT, il y avait achat, marketing, d’autres choses. Dont affaires internationales aussi, et c’était plus ou moins conditionnel, c’est-à-dire qu’on devait sur tout le cycle partir étudier à l’étranger. Ça, c’était plus ou moins obligatoire. Et le fait que ça nous facilite aussi, il y avait des échanges, il y avait plein de structures mises en place. Ça, ça m’a fait me décider en me disant je rentre là-dedans, c’est ce que je veux faire » (Florence, 27 ans, française, Australie).’

Dans certains cas, le capital spatial à la fois hérité et acquis, symbolique et concret, conduit l’individu à opter pour un secteur professionnel en lien avec sa multiculturalité. Pour quelques jeunes, le fait d’avoir des origines étrangères les a très tôt éveillés à l’international. L’aspiration à une future carrière « internationale » peut alors être mue par une quête identitaire profonde et par la volonté d’exploiter au maximum les compétences héritées.

‘« Donc j’ai fait économie, je ne sais pas si tu sais. Donc j’ai choisi économie, déjà, j’avais déjà mon but de partir à l’étranger dès le départ. Je ne voulais pas rester en France, je voulais partir un peu n’importe où. Et puis ce que je voulais, justement j’avais ce but en tête, c’était de retrouver mes origines… J’avais vu le décollage asiatique, c’était les années 90-95, c’était vraiment le boom, c’était vraiment le miracle économique asiatique. Je me posais aussi des questions sur mes origines…» (Vanessa, 25 ans, Française, Angleterre).’ ‘« J’ai voyagé beaucoup, tout seul, et ça a commencé, ça m’a éveillé à ma propre internationalité, le fait que je parlais trois langues couramment à cette époque et que j’avais quand même une vision en tant qu’immigrant au Québec et la ville de Québec c’est quand même différent de la ville de Montréal. Ça m’a montré à quel point je devrais user de cette internationalité que j’avais déjà pour en faire une carrière. La diplomatie, ça me paraissait le plus évident pour travailler, voyager à l’extérieur, mais une fois que j’étais inscrit à l’université et que j’étais parti à l’étranger comme étudiant mais dans un domaine plutôt académique que politique, diplomatique, j’ai vu qu’il y avait d’autres voies aussi » (Frederic, 34 ans, Québécois, Allemagne) 186 .’

L’acquisition précoce d’un volume de capital spatial contribue de façon majeure non seulement à l’émergence d’intentions personnelles de séjour d’études à l’étranger, mais aussi à diriger l’individu vers des filières scolaires et professionnelles où l’espace international est plus susceptible de constituer le territoire d’action. L’étudiant est alors mieux à même de prendre des décisions au bon moment et dispose du temps nécessaire à la mobilisation des ressources qui lui permettent d’organiser efficacement son départ. De plus, le séjour d’études à l’étranger peut d’autant mieux s’intégrer de façon logique et cohérente au cursus scolaire que le contenu du domaine d’études a déjà une dimension, même relative, internationale (économie et politique internationales, étude des sociétés et des cultures, langues…). Et c’est sans compter que certaines connaissances préalables sur un pays, une culture, une langue, facilitent grandement l’élaboration d’un projet corrélé de stage ou de recherche et obtient plus aisément la faveur des acteurs institutionnels responsables de la sélection des étudiants partants ou des candidats à une bourse, notamment de doctorat. Plus le projet de mobilité est médité et s’intègre rationnellement au secteur d’études, plus l’obtention d’une reconnaissance sociale à son endroit, y compris sur le marché du travail, en sera facilitée.

Souvent en lien avec la possession d’un important capital spatial, l’accès à des ressources sociales nombreuses et diversifiées caractérise également les étudiants qui vont à la rencontre des acteurs institutionnels en vue de partir étudier à l’étranger. Nombre d’étudiants se sont vus informés par un proche ou personnellement conseillés par un professeur quant à leurs différentes décisions académiques et spatiales.

« Je savais que c’était possible, en plus ce qui m’intéressait c’était l’histoire française, européenne en général mais surtout française. Et en fait, ce qui est arrivé, c’est que ma directrice de maîtrise, qui elle avait fait son doctorat en partie en France, qui avait vécu là-bas plusieurs années, elle savait que je voulais partir et elle m’a beaucoup encouragée là-dedans. C’est vrai que si ça n’avait pas été d’elle, mon premier départ en France ne serait pas arrivé. Parce qu’elle m’avait engagée comme assistante de recherche pendant ma maîtrise et puis elle a eu une lettre, à un moment, du FCAR, il y a des bourses disponibles pour les assistants de recherche des groupes de recherches FCAR pour aller faire un stage de recherche en France. Elle reçoit la lettre, tout de suite elle m’appelle, "j’ai un truc pour toi, je suis sûre que ça t’intéresse de partir six mois en France pour faire un stage de recherche" […]. En fait, j’allais travailler pour elle dans les archives de communautés religieuses dans le coin de Clermont-Ferrand, mais le but c’était surtout de préparer mon terrain pour ma cotutelle de thèse. En fait, toute ma cotutelle de thèse, je l’ai organisée sur place avec mon co-directeur de thèse actuel.
– Tu savais que tu voulais faire une cotutelle?
– En fait, j’avais une amie qui était étudiante au doctorat à ce moment-là qui elle faisait déjà une cotutelle » (Édith, 29 ans, Québécoise, France).’

Le recours à des personnes-ressources permet non seulement d’obtenir les renseignements les plus éclairés sur l’opération engagée mais aussi d’avoir accès à d’autres ressources sans lesquelles le séjour n’aurait pu se concrétiser ou du moins pas aussi commodément.

« Oui mais aussi ma mère était très présente là-dedans parce que de la position, c’était l’adjointe d’un président d’une compagnie et ce monsieur-là je le connais depuis que je suis toute petite, qui est un homme d’affaires côté Québec, Canada, États-Unis, alors ça, ça a beaucoup aidé aussi ce contact-là, ça m’a beaucoup aidée à rencontrer des gens, j’écrivais des lettres, j’ai préparé des dossiers, "voici ce que je fais, voici mon projet…" J’ai été acceptée. J’ai eu ma réponse, je pense, au mois de mars. C’était pour septembre. Je savais ce que ça coûtait parce que de toute façon, quand on applique dans une université américaine, dans l’application pour un visa, il faut démontrer qu’on est capable d’assumer… et j’ai été très chanceuse parce que le patron de ma mère avait signé une lettre en disant qu’il se portait garant de moi, de mon visa et de mon financement. J’avais toute ma famille… et je suis la première personne dans toute ma famille au complet qui fait une maîtrise, aussi. Même mon oncle et ma tante, absolument adorables, ils comprennent absolument rien à ce que je fais de ma vie, ont demandé à un de leur voisin qui est prof d’anglais pour aller m’acheter le meilleur dictionnaire qu’il y avait… toutes sortes d’affaires super cute » (Emma, 26 ans, Québécoise, États-Unis).

Ces enquêtés, de toute évidence, possède des liens forts et des liens faibles bien positionnés socialement. Ils ont ainsi accès à des ressources et à des informations primordiales qui leur permettent de faire des choix judicieux de pays, de ville, de programme, d’établissement, de directeur de recherche… et de se diriger sciemment et à temps vers les structures de soutien à la mobilité internationale.

Tout aussi déterminant est l’effet d’un réseau social décloisonné, forgé lors de l’appropriation antérieure de lieux étrangers. Les étudiants ont alors accès à des informations, à des conseils et à des ressources qu’ils auraient pu difficilement obtenir autrement. La jeune Québécoise suivante, par exemple, obtiendra le stage international tant convoité de son programme d’études grâce notamment à un autre stage préalablement effectué au Brésil, sur une base volontaire,  avec les organismes « Club 2/3 » et « Québec sans frontières » :

‘« J’ai été sélectionnée. Je l’ai su à la fin de la deuxième année. J’avais monté un projet pour faire un stage à l’organisme autochtone que je venais de découvrir [au Brésil] et puis ça avait passé. Ça donnait du poids, parce qu’il fallait quand même avoir un bon projet, on était sept… Mais là je voyais l’importance de savoir la langue. Je me dis ça "oui j’aimerais bien ça aller au Népal, parler hindi ou je ne sais pas quoi, mais c’est le problème de la langue. Alors le plus différent que je peux avoir tout en maîtrisant la langue – maîtrisant, c’est un grand mot –, mais tout en sachant un peu… on continue avec le Brésil! Oui mais ça ne suffit pas un stage, je veux partir une session, je veux savoir comment ça va avec les autres universités, et je veux approfondir mon portugais. Ok. […] Mais là, comment je fais pour m’organiser avec l’université?" À [nom de l’université], le département qui avait le plus d’expérience c’était en littérature, et puis c’était avec l’université de Porto Alegre. Porto Alegre… le forum social mondial! "Ça y est, les dieux ont parlé : en plus, je vais être au cœur de la mobilisation de l’altermondialisation!" J’ai habité là 12 mois » (Martine, 24 ans, Québécoise, Brésil).’

Cet exemple fait écho à ce que nous venons de dire à propos du rôle favorable des ressources spatiales accumulées pour la reconnaissance par autrui du projet de l’étudiant. Dans le cas de cette jeune femme, il faut rappeler que son « goût » de l’international est plutôt ancien et qu’elle connaissait déjà, pour être partie à plusieurs reprises, de nombreux organismes de soutien à la mobilité de la jeunesse. Elle a également choisi son programme d’études universitaires en fonction de la possibilité d’y faire un stage international, même si elle savait que seulement sept candidats sur 140 étaient choisis. Sa connaissance préalable du Brésil et des organismes communautaires qui y sont actifs, jointe à ses capacités à mobiliser toutes les informations et les dispositifs susceptibles de l’aider à réaliser ses ambitions, jouent finalement un rôle fondamental dans l’obtention de son stage. Dans le prochain chapitre, nous verrons que l’accès, lors du premier séjour d’études, à des ressources sociales à l’étranger permet à des étudiants d’élaborer un nouveau projet de mobilité étroitement articulé au domaine d’études et/ou à la société dans laquelle ils ont passé leur premier séjour. La création d’un réseau déterritorialisé de liens à la fois forts et faibles peut élargir les représentations que se fait l’étudiant de son espace potentiel d’action, faciliter l’obtention de certaines informations utiles pour l’élaboration d’un projet d’études cohérent et favoriser l’obtention d’aides financières.

Les personnes qui entament des démarches auprès des structures institutionnelles en ayant déjà en tête un projet plus ou moins bien défini d’études à l’étranger ne sont toutefois pas exemptées de tout obstacle. Le fait de posséder un volume important de ressources spatiales et sociales promulguant des connaissances et des compétences les plus utiles pour préparer une expatriation étudiante n’est effectivement pas suffisant pour garantir la bonne marche de toutes les procédures qui les conduiront au départ effectif. Les jeunes sont appelés à transiger avec les institutions et à accepter de modifier certaines de leurs aspirations personnelles en fonction des contraintes et des opportunités qui se présentent à eux. Il peut arriver par exemple qu’ils doivent reporter leur départ à plus tard, lorsqu’ils n’ont pas suffisamment de crédits accumulés dans leur programme, que les dates limites de dépôt des candidatures sont dépassées ou que leur université n’a pas encore conclu un accord avec le pays souhaité.

‘« Même avant de m’inscrire à [nom de l’université québécoise], j’ai essayé de partir par mes propres moyens en France, mais faute de temps, faute d’organisation… je m’étais pris un peu trop tard. Mais j’ai fait des démarches personnelles pour tout de suite être accepté dans une école en France, sans passer par une université québécoise. Et je pense que c’était ça, je m’étais pris un peu trop tard, et puis l’été c’était impossible de faire les démarches, ce qui fait que je me suis plutôt tourné vers une université québécoise, sachant que je pourrais éventuellement participer à un programme d’échange » (Yann, 31 ans, Québécois, France).’

Parfois, ils se verront dans l’obligation d’accepter de se diriger dans un autre pays que celui visé initialement, comme c’est le cas de ce jeune Français qui voulait faire des études en Australie :

‘« J’avais demandé un dossier pour l’Australie, ils m’avaient dit que ça n’existait pas, alors après j’avais demandé pour l’Europe. Alors on m’avait donnait ça. J’avais demandé Londres et ils m’ont proposé Liverpool à la fin » (Hervé, 25 ans, Français, Angleterre).’

Les étudiants peuvent être amenés à réinterpréter leurs ambitions personnelles, à reformuler progressivement leur projet et à se réapproprier les objectifs de l’expérience en fonction des limites institutionnelles qui s’imposent à eux au cours de leurs démarches.

L’une des plus grandes contraintes que doivent surmonter les jeunes décidés à partir est évidemment d’ordre financier. Car bien que les personnes dont il est ici question prennent l’initiative de cogner aux portes des services et organismes déjà armés de l’idée de s’approprier l’espace international, tous n’ont pas pour autant un volume de capital économique familial suffisant. D’ailleurs, spécifions pour l’occasion que la majeure partie des enquêtés Français ayant bénéficié d’une bourse de la région Rhône-Alpes et des enquêtés Québécois ayant reçu une bourse de court séjour du MEQ ont été mis au courant de la possibilité de recevoir une telle aide après avoir entrepris la récolte des informations relatives aux échanges d’étudiants 187  :

‘«  Et tu connaissais l’existence de la bourse de la Région?
– Je ne la connaissais pas. C’est à la fac, à la fac dans le dossier que tu retires pour partir en ERASMUS. Ils disent, enfin, de remplir un papier pour avoir la bourse régionale. Donc moi je l’ai rempli, et puis voilà. Donc ça, j’étais pas au courant » (Odette, 24 ans, Française, Espagne).’

La recherche de financement fait habituellement partie de l’ensemble des actions posées pendant le processus d’organisation du départ. L’attitude de ces jeunes semble être : « Je veux partir, voyons maintenant comment je peux rassembler les moyens pour y parvenir ».

Au total, cinq enquêtés, l’une française et quatre québécois, réalisent l’un de leur séjour d’études en tant qu’étudiant autonome et sans avoir reçu aucune bourse que ce soit de leur société d’origine 188 . Ici, l’assurance de pouvoir compter sur les ressources financières de la famille est décisive. Pour les autres, la contrainte économique se pose plus fortement, bien que de façon différenciée. L’offre d’une bourse doctorale du FQRSC-FQRNT, d’une bourse de l’université d’accueil ou d’un financement de la part d’un réseau de chercheurs est conditionnelle à une expatriation pour les enquêtés partis dans le cadre d’un doctorat. On ne veut pas s’engager dans des études de longue durée loin de sa société d’origine sans la certitude d’avoir un minimum de ressources afin de répondre à ses besoins matériels. Pour tous les étudiants candidats à un autre diplôme, les situations varient : certains ont finalement reçu, non sans un sentiment de soulagement, une bourse de mobilité 189 , d’autres – surtout les Québécois qui sont partis avant l’arrivée des bourses du MEQ– sont mus depuis longtemps par une telle volonté de partir qu’ils font les économies nécessaires grâce à des petits boulots, quelques-uns empruntent à la banque 190 , d’autres enfin font appel à des organismes de soutien tels que l’OFQJ, etc. La capacité à mobiliser les dispositifs institutionnels et à activer les liens sociaux est ici fondamentale.

Notes
185.

Sur la question de l’accès aux dispositifs de mobilité, l’extrait de cette jeune femme québécoise est éclairant : « Je dirais qu’il y a deux catégories d’étudiants, en tout cas de jeunes. Il y a vraiment ceux qui semblent toujours au courant des dates limites. Pour être au courant de ces programmes-là, je veux dire, les programmes ont beau exister, on a beau apprendre que le gouvernement du Canada donne tant de bourses du millénaire, il faut trouver l’info, il y en a tellement. Il faut faire l’effort de trouver l’info sur des sites pour les jeunes, il y a des portails mais sincèrement, avant de trouver ton info… Bref, j’ai pris cette initiative de parcourir le Web. Chose que je ne fais plus. Donc maintenant, je peux dire que je suis dans l’autre catégorie, je manque toutes les dates limites! Ce qui peut expliquer que c’est souvent les mêmes qui partent. Ça a beau… moi je trouve que l’OFQJ, ça je leur donne ça, c’est assez démocratique. Je pense vraiment que toute personne qui coïncide avec le profil… ils affichent des stages, moi c’est ce qui m’est arrivée en 2002, j’ai répondu à une offre de stage, c’était en professionnel » (Marie-Eve, 27 ans, Québécoise).

186.

Déçu des faibles opportunités de séjour d’études à l’étranger offertes par le programme de relations internationales dans lequel il s’est inscrit, il déplacera peu à peu ses aspirations professionnelles dans un autre domaine, toujours en lien avec des intérêts nés de son « internationalité » et de ses voyages. Nous y reviendrons.

187.

Ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils disposent préalablement des moyens financiers de partir.

188.

Ils sont d’ailleurs allés dans une école privée belge et dans des universités états-uniennes et anglaises, là où les frais d’inscription ne sont pourtant pas les moindres.

189.

Sur l’ensemble des 80 enquêtés, précisons ici que seuls quelques boursiers de la région Rhône-Alpes et du MEQ affirment qu’ils auraient sans doute pu partir sans cette aide, grâce au soutien de leurs parents. La majeure partie s’entend néanmoins pour dire qu’ils auraient dû abandonner leur projet ou s’endetter.

190.

Cinq enquêtés québécois (un étudiant parti en autonome à la maîtrise, deux doctorants et deux étudiants de baccalauréat ayant choisi de prolonger d’une année leur séjour) mentionnent en entretien s’être lourdement endettés après avoir fait un emprunt auprès de leur institution bancaire canadienne. Aucun Français, tous boursiers de la région Rhône-Alpes, n’y fait allusion.