CHAPITRE 7. LE SÉJOUR D’ÉTUDES À L’ÉTRANGER : MORATOIRE IDENTITAIRE ET MOMENT BIFURCATIF

« S’en aller – me disais-je – n’est-ce pas aller vers soi ? » (Médam, 1982 : 14).

Le contexte dans lequel les enquêtés français et québécois partent étudier à l’étranger se caractérise par la multiplication des offres institutionnelles de mobilité étudiante internationale, bien que celles-ci soient inégalement réparties et organisées selon les sociétés considérées, les niveaux de diplôme, les universités et l’année considérée. Rappelons que les établissements d’enseignement français et rhônalpins disposent notamment du programme ERASMUS et des bourses de mobilité depuis 1987, tandis que le Québec offre un programme de financement de la mobilité étudiante depuis 2000. Une différenciation de contexte institutionnel se présente donc entre les enquêtés français et les enquêtés québécois, mais aussi parmi le groupe de Québécois dans la mesure où ceux qui sont partis avant 2000 ne disposaient pas des mêmes moyens que leurs successeurs. En revanche, les doctorants québécois ont à leur portée un organisme de financement de la recherche qu’ils peuvent mobiliser, sur concours, afin de partir à l’étranger. Leur cas se distingue à la fois des autres étudiants québécois des niveaux inférieurs et des Français, lesquels n’ont pas de structure de financement équivalente. Enfin, tous les établissements d’enseignement supérieur, voire tous les départements et facultés, n’ont pas la même histoire d’internationalisation. Certains ont des ententes interuniversitaires plus anciennement établies que d’autres, ce qui se répercute sur les modes de promotion et d’organisation des séjours d’études à l’étranger. En somme, si les contextes sociétaux dans lesquels les personnes rencontrées sont parties en mobilité étudiante internationale se caractérisent globalement par une multiplication et une diversification des structures de mobilité étudiante internationale (gouvernementales, régionales, institutionnelles), bref par l’institutionnalisation progressive du phénomène, des distinctions sont encore repérables entre les deux sociétés et au sein même de chacune de ces sociétés. Ces distinctions ne manquent pas de structurer les expériences de mobilité concrètement vécues par les individus, voire même la suite de leur parcours de formation, comme nous le verrons.

Cela dit, l’ensemble de ces structures et de ces dispositifs institutionnels de séjour d’études à l’étranger est également utilisé par les acteurs jeunes en fonction des intentions à la mobilité et des ressources héritées et accumulées dont ils disposent pour expérimenter concrètement l’espace international. Le sens que les jeunes donnent à l’expatriation pour études est donc tributaire à la fois de la nature de l’offre institutionnelle de mobilité et de leur histoire personnelle et familiale. Les programmes de soutien à la mobilité apparaissent le plus souvent comme l’occasion d’investir l’espace international. Ils peuvent toutefois se présenter comme une contrainte lorsque le moment du départ, la durée du séjour, le pays et l’université de destination, déterminés par les ententes bilatérales et multilatérales signées par l’établissement d’enseignement d’origine, ne correspondent pas au projet de l’étudiant.

Les modalités d’interaction entre les acteurs jeunes et les institutions, nous l’avons vu, conduisent à des modes d’entrée différenciés dans l’expérience de la mobilité internationale, certains étudiants étant mieux préparés et d’autres plus contraints. Or, le jeu des négociations entre le niveau individuel et le niveau institutionnel du phénomène se poursuit tout au long du séjour : de l’arrivée dans la société hôte jusqu’à la reconnaissance universitaire de la période d’études à l’étranger, au moment du retour 192 . Le chapitre qui suit a pour objet d’élucider les modalités de transaction entre les étudiants et les différents acteurs institutionnels des sociétés de départ et d’accueil au cours du séjour ainsi qu’au retour au pays. Il sera exposé que les expériences des enquêtés varient en fonction des politiques d’accueil et de logement des étudiants étrangers, de l’antériorité de l’entente interuniversitaire et du volume de capital spatial, social, économique et scolaire des étudiants. Nous analyserons également en quoi ces structures d’accueil et d’échanges étudiants rencontrent les caractéristiques des jeunes pour faire du séjour un moment de redéfinition identitaire, voire de bifurcation de la carrière. Enfin, le chapitre se terminera par la présentation des formes de mobilités internationales réalisées par certains des enquêtés à la suite de leur séjour organisé d’études.

Notes
192.

Du moins, dans ce dernier cas, pour les personnes qui partent dans le cadre d’un programme de mobilité.