1.1 Structures d’hébergement et relations sociales 

Les modes de logement des étudiants étrangers sont tributaires de leurs motivations subjectives à s’expatrier pour un temps déterminé pour les études, de leurs limites budgétaires, des structures d’hébergement de la société d’accueil et des opportunités et contraintes rencontrées au cours de leur vie d’étudiant étranger.

Alors que certains étudiants ont la volonté affirmée de loger en résidence universitaire dans le but de se créer rapidement un réseau social, d’autres optent pour cette solution en raison principalement de son faible coût et de son aspect pratique. Des universités accordent en effet un certain nombre de chambres à l’accueil exclusif d’étudiants étrangers. Ces derniers peuvent ainsi réserver leur place depuis la société d’origine, ce qui leur évite de se tracasser à ce sujet à leur arrivée. D’autres étudiants, par souci d’approfondir la langue ou encore d’assumer les responsabilités induites par la vie en appartement, espèrent trouver un logement à partager avec des « locaux ». Certaines villes ont des systèmes locatifs qui le permettent toutefois mieux que d’autres et, devant les complications rencontrées lors des recherches d’une place en appartement, quelques enquêtés décident de se rabattre sur les résidences universitaires.

‘« Donc voilà, on est parti à quatre, débarqués là-bas à Milan on connaissait rien, il a fallu trouver… L’école avait réservé pour nous une résidence universitaire, donc on est allé là-bas. Nous on avait grand espoir de prendre un appart avec des Italiens, pour parler italien, etc. Pas du tout parce qu’en fait c’est très, très cher. Alors que la résidence, on payait 150 euros… » (Samy, 28 ans, Français, Italie).’

Les bilans quant aux structures d’accueil et d’hébergement en résidence étudiante sont partagés. Dans certains pays, un système d’accueil est mis en place à la fois par les responsables des relations internationales et les associations étudiantes, et fonctionne de telle sorte qu’il facilite grandement l’arrivée des nouveaux arrivants. Des enquêtés français et québécois sont accueillis à l’aéroport par un groupe d’étudiants de leur université d’accueil et sont jumelés – notamment dans les pays scandinaves – à un « parrain », c’est-à-dire un étudiant local chargé de les aider et de les informer des diverses modalités pratiques d’installation et de vie dans la société hôte. D’autres participent à des réunions d’information organisées par l’université d’accueil à l’endroit des étudiants étrangers ainsi qu’à diverses autres activités telles que les fêtes ERASMUS, un tour de ville, une remise à niveau linguistique.

Au contraire, d’autres sociétés offrent plutôt une image désordonnée et désorganisée de l’accueil des étudiants étrangers en résidence universitaire. À ce titre, les conditions d’accueil en France font particulièrement l’objet de critiques sévères de la part des étudiants québécois, comme l’exprime l’extrait suivant qui ne fait pas exception :

‘« Eux ont une résidence étudiante, quand on a su qu’on partait là – c’est ça, il y avait un autre gars qui partait avec moi – on a appelé, on s’est informé, on leur a demandé qu’ils nous gardent une place, ils ont dit qu’ils nous gardaient une place, tout ça. Là, à l’arrivée ça a été un peu différent, on n’avait plus de place de réservée alors que j’avais appelé cinq fois pendant l’été, ça m’a bien gros fâchée d’ailleurs. En plus, on est arrivé une journée trop tôt pour que les résidences ouvrent et que les étudiants viennent s’inscrire, ils ont rien voulu savoir de nous prendre une journée avant, ils ont dit "non, vous allez aller à l’Auberge de jeunesse", avec nos gros bagages et toute la patente… La journée d’après on va à la résidence, on arrive, on s’était levé tôt justement parce qu’on savait qu’il y avait une file pour s’inscrire, on arrive les premiers, on explique un peu à la secrétaire du directeur de la résidence,  "mais non j’ai pas de chambre pour vous…" Mais heureusement, c’est une école où les étudiants sont beaucoup impliqués et les étudiants en deuxième année étaient là, c’est eux dans le fond qui ont aidé, ils sont allés voir la secrétaire, ils ont fait  "il y a telle et telle chambre, mettez-les là pour l’instant" » (Lucie, 24 ans, Québécoise, France).’

Les mauvaises conditions d’accueil des étudiants étrangers en France sont connues et ont fait l’objet de nombreuses analyses tant au national et au régional que dans les établissements d’enseignement. Coulon et Paivandi (2003 : 28-38) rappellent, à la suite de Cohen (2001), que le manque de ressources humaines et matérielles, l’absence d’une politique d’accueil, les difficultés d’intelligibilité de l’offre d’éducation, un milieu universitaire rébarbatif sur les plans géographique et social, et le logement constituent les points faibles de l’accueil des étrangers qui viennent étudier dans un établissement d’enseignement français. Les étudiants les mieux reçus seraient les boursiers du gouvernement français et « les ERASMUS » puisqu’une certaine structure d’accueil ainsi que des logements en résidence universitaire leur sont réservés. Or, cela exclut tous les étudiants autonomes ainsi que tous ceux qui arrivent dans le cadre d’un échange bi ou multilatéral autre qu’ERASMUS, dont les étudiants québécois.

Outre cet usage plus ou moins voulu ou contraint des structures de logement et d’accueil offertes par les universités, les enquêtés activent leurs liens sociaux, forts et faibles, afin de faciliter leur arrivée dans le pays hôte. Quelques-uns, s’ils ne trouvent pas leur logis avant de quitter leur société d’origine, sont accueillis à leur arrivée à destination par un compatriote qui y est déjà installé, par un étudiant parti en mobilité l’année précédente, par un ami d’ami, par une toute nouvelle connaissance faite avant de partir, voire parfois par leur futur directeur de thèse. Ils se disent pour la plupart dans un état presque euphorique au cours des semaines précédant leur départ et n’hésitent pas à faire part de leur projet à qui veut bien les écouter. Parallèlement, ils sont à l’affût de toute information susceptible de faciliter leur arrivée et leur intégration dans le pays de destination. Les extraits suivants expriment bien en quoi les étudiants saisissent les occasions de contact et de liens avec leur futur lieu d’accueil, et montrent par le fait même que c’est parfois l’ensemble du réseau familial et amical qui se mobilise et participe à l’organisation de leur départ :

‘« Brésil… Chaque fois que quelqu’un entendait parler du Brésil, même après que je sois là, mes amis m’en parlaient. À un moment donné, mon amie avec laquelle j’étais en appartement rencontre un Brésilien à l’université : elle me le présente. Ça fait que là je le connais. Ça fait que là, j’avais plein de contacts avec le Brésil tout d’un coup… » (Martine, 24 ans, Québécoise, Brésil).’ ‘« Mon cousin était allé faire les vendanges, il a rencontré une Québécoise, et puis en fait il l’avait logée pendant une semaine et ça c’est je ne sais pas, 15 jours avant que je parte. Et je ne savais toujours pas où j’allais! […] Et là, la fille bien sympa, elle me dit "tu sais, tu débarques à Montréal, tu ne connais rien, je viendrai te chercher à l’aéroport et tu dormiras chez moi le premier soir". Tu vois, vraiment sympa, mais je crois que je n’étais même pas stressée, c’est ça le pire! Donc j’étais super contente, donc Josianne est venue me chercher à l’aéroport » (Maud, 27 ans, Française, Québec).’

Les mobilisations spontanées de relations sociales même les moins fortes ne sont pas rares, comme si le départ vers l’inconnu incitait les individus à s’emparer de toutes les opportunités possibles. Des enquêtés trouvent un futur colocataire lors d’une réunion d’information pour les étudiants en mobilité. D’autres créent des liens pendant le voyage en avion, par l’intermédiaire parfois de l’OFQJ qui réunit plusieurs participants à la fois. Le cas du jeune Français suivant illustre les liens auxquels il a eu recours afin de s’installer à Montréal, installation facilitée par le fait que le marché montréalais du logement locatif était, en 1997-1998, plutôt ouvert :

‘« Alors ce qui s’est passé c’est… dans l’avion j’ai rencontré deux autres personnes, deux autres Français qui venaient aussi pour un échange étudiant. Donc nous avons choisi un appartement tous les trois, au même endroit. Ensuite, il y a un Brésilien qui est venu, donc nous étions quatre dans un appartement, et ça s’est bien passé.
- Tu n’étais pas stressé de ne rien trouver?
- Déjà, j’avais la certitude d’avoir un appartement puisque l’ami qui m’a hébergé le premier jour était lui en vacances au Canada. Donc il pouvait me prêter son appartement pendant 10 jours. Donc j’avais 10 jours pour trouver un appartement. Et en ce temps-là, je ne sais pas si ça a changé depuis, c’était très facile de trouver un appartement parce que c’était une période de vide. Donc on a visité plusieurs immeubles, plusieurs appartements, et ça s’est bien passé, en fait » (Laurent, 30 ans, Français, Québec).’

Les démarches effectuées par les jeunes en vue de se trouver un toit dans leur ville hôte sont également grandement facilitées par les ressources spatiales dont ils disposent. Cette Québécoise, autrefois partie dans le cadre de AFS, trouve un endroit où loger à Paris grâce à son engagement bénévole au sein de cette association. Il semble qu’une sorte de sentiment d’appartenance puisse unir, même ponctuellement, les anciens participants à AFS :

‘« Donc j’avais écrit à eux et ils avaient mis comme une petite annonce dans leur journal d’information et il y avait une fille qui avait fait AFS aussi qui avait un appart, quelqu’un de sa famille, et elle habitait toute seule à Paris et puis il y avait deux chambres, ça fait qu’elle m’avait écrit. Je ne me souviens plus combien je payais mais je me souviens que c’était vraiment pas cher » (Nathalie, 27 ans, Québécoise, France).’

Une autre enquêtée québécoise, lorsque vient le moment de partir en France pour faire ses études de doctorat, trouve un logement à Paris dans la même structure de logement qui avait abrité sa sœur aînée deux ans auparavant.

Dans un même ordre d’idées, les étudiants qui effectuent plus d’un séjour dans le pays d’accueil, que cela soit prévu ou non, sont mieux armés que les nouveaux arrivants pour le choix d’un logis conforme à leurs besoins et moyens. Puisqu’ils ont alors une certaine connaissance des lieux ainsi que des relations sociales établies, ils sont mieux à même d’obtenir les informations utiles et d’opter pour un logement et un quartier de la ville répondant à leur budget, à leurs besoins de sociabilité et à leurs pratiques urbaines. C’est ce qui se passe pour ce Français, lequel retourne à Turin pour un doctorat après y avoir passé une année dans le cadre de la maîtrise :

‘« Pour l’appartement, comme j’avais passé un an, je connaissais du monde, donc je suis arrivé j’avais un appartement. C’était une copine, son père avait un studio, donc elle m’avait dit « si ça t’intéresse », donc j’avais téléphoné, j’avais dit « j’arrive à telle heure », son père m’attendait devant l’appartement et il m’avait donné les clés » (François, 26 ans, Français, Italie).’

Des jeunes sont amenés à changer de mode de logement en cours d’année universitaire, tantôt parce qu’une occasion se présente, tantôt parce qu’ils y sont plus ou moins obligés. Quelques-uns commencent leur vie d’étudiant étranger en résidence universitaire pour ensuite emménager en appartement avec des étudiants locaux avec lesquels ils font connaissance en cours de séjour. D’autres changent d’appartement après une mésentente avec leur(s) premier(s) colocataire(s).

‘« … j’ai l’impression que cette année d’échange, il y a beaucoup de gens qui la vivent sous le mode de l’euphorie. Tu sais, "je suis loin de chez moi", et très vite, il y a des espèces de groupe qui se font d’étudiants étrangers et des groupes, comme ça, qui font de 5, 10 personnes plus ou moins élastique, ces gens-là se cooptent très vite en début d’année et ils vont passer, comme ça, l’année à sortir avec un bon groupe où il y a un Italien, un Japonais, machin… […] Et moi je ne l’ai pas vu comme ça parce que je crois que je ne le voulais pas, parce que j’avais ce gros souci, quand même, de connaître des gens, des Québécois ou des Canadiens, pouvoir parler anglais… Donc pour la colocation, donc j’ai absolument cherché quelqu’un de Montréal qui parlait anglais, j’ai pas pris une colocation avec d’autres étudiants… Et du coup ça a été aussi assez dur parce que tu te retrouves à habiter avec des colocataires qui eux savent très bien que dans un an tu ne seras pas là donc ils n’ont pas hyper envie de s’investir plus que ça… Mais à la fois je voulais ça… Alors les trois premiers mois j’ai eu du mal à me loger, du coup j’étais avec des gens avec qui ça ne marchait pas… La première parce qu’elle écoutait la télé toute la nuit et moi je trouve ça insupportable de vivre dans une maison avec la télé allumée. La deuxième, parce qu’en fait, étant mal au premier endroit, j’ai cherché en toute hâte un deuxième endroit, et puis elle était complètement maniaco-dépressive, elle était dans le noir toute la journée… » (Brigitte, 28 ans, Française, Québec).’

En plus d’occasionner des soucis d’ordre matériel, une suite d’essais malheureux avec des colocataires originaires de la société d’accueil peut entraîner de la solitude et nuire à la bonne intégration de l’étudiant. Il en va de même lorsque, mal informé ou doté de ressources financières réduites, l’étudiant est contraint de s’installer à distance de son université : un étudiant québécois se fait cambrioler en banlieue parisienne, un autre connaît énormément de solitude après s’être installé, pour des raisons financières, loin de la vie sociale universitaire. Certains mettent quelques semaines avant de se loger de façon stable, non sans avoir dépensé une part plus large que prévu de leurs ressources financières à cet effet.