Tous les enquêtés français bénéficient d’une bourse de la région Rhône-Alpes et seulement 12 Québécois partent lors de leur premier séjour d’études à l’étranger sans aucune forme d’aide financière institutionnelle de la part de leur université d’origine, de leur université d’accueil, d’un fond privé ou d’un organisme boursier 194 . Ceux-là doivent, afin de réaliser concrètement leurs intentions de partir, se tourner vers d’autres formes de soutien financier telles leurs économies personnelles, les ressources de leur famille et/ou un emprunt bancaire.
Certains étudiants qui reçoivent une bourse de mobilité de la région Rhône-Alpes ou une bourse de recherche du FQRNT-FQRSC mentionnent que cette aide ne fut toutefois pas suffisante :
‘« Pour nous c’était une source de revenus. On ne pouvait pas dépendre que des parents. La Région… les loyers sont très chers en Angleterre, donc la subvention de la Région arrivait à peine à payer le loyer, donc il fallait quand même bien vivre au quotidien » (Sylvie, 26 ans, Française, Angleterre). ’Le coût de la vie élevé de la ville dans laquelle ils sont installés, une prolongation de la durée du séjour à l’étranger et le désir « d’en profiter » sont les principales causes mentionnées par les enquêtés pour expliquer la recherche de sources de revenu complémentaires à l’aide institutionnelle.
‘« En fait, à l’origine, le MEQ offre des bourses deux sessions, par contre en Hollande le problème c’est que ça se fait en une année complètement. Ça fait que normalement deux cours, deux cours, deux cours. C’est des sessions de trois mois, trois mois et demi. Donc si je voulais qu’on considère tous les cours que j’avais fait là-bas du temps complet, il fallait que je fasse trois cours, ce qui est plus que la charge normale. Et à la moitié du premier trimestre je me suis dit "non, je suis ici, je veux vraiment profiter, pas juste étudier, je veux être avec les gens, connaître" et j’ai donc décidé de… je ne pouvais pas demander d’autres bourses donc j’ai travaillé, on avait droit à 10 heures semaine en tant qu’étudiant donc en janvier je me suis mise à travailler dans les restaurants, à faire des petits boulots, et ça m’a permis de faire un troisième trimestre et donc garder la charge deux cours, deux cours, deux cours » (Julie, 25 ans, Québécoise, Hollande). ’Quelques boursiers de la région Rhône-Alpes – notamment ceux qui ne disposent pas dès le départ des informations appropriées – mentionnent également que le mode d’attribution de la bourse, dont une certaine somme n’est versée qu’en bout de parcours, les a poussés à occuper un emploi au cours du séjour afin de subvenir à leurs besoins.
‘« Même la bourse c’était quand même une sacrée galère parce qu’on recevait un pourcentage en début d’année et tout le reste à la fin. Donc entre les deux, qu’est-ce que tu fais, tu te démerdes, quoi. Ça aussi ça a été la grosse surprise. Notre seul contact, c’était un type du département, un type complètement dans la lune, un véritable extraterrestre pour tout le monde y compris ses collègues, et non, il avait pas jugé utile de préciser ce genre de détails! [rires] Je suis arrivée mi-août et j’ai vraiment réussi à m’installer correctement en septembre, octobre » (Fabienne, 30 ans, Française, Taiwan). ’Plusieurs étudiants occupent donc un emploi durant leur séjour à l’étranger, celui-ci prenant différentes formes selon la loi sur l’immigration du pays dans lequel ils se trouvent et le niveau de diplôme. Quelques étudiants français et québécois partis au niveau du premier et parfois aussi du deuxième cycle font divers petits boulots : serveur dans un café ou lors de réceptions, commis de librairie ou de bibliothèque, videur ou DJ en boîte de nuit, etc. Lorsqu’il ne leur est pas permis de travailler légalement à l’extérieur du campus universitaire, ils cherchent un emploi à l’université, telle cette Québécoise étudiante étrangère aux États-Unis :
‘« J’étais chargée de cours aussi à l’université, je donnais des cours de français aux étudiants du bacc. Je me disais "il faudrait bien que je travaille" parce que je n’avais pas eu d’assistanat de recherche la première année et il fallait que je trouve quelque chose et comme étudiant étranger, je ne pouvais pas travailler à l’extérieur du campus. Donc je suis allée voir la personne, je l’ai rencontrée, j’ai envoyé mon CV, j’ai envoyé une lettre et ça s’est décidé dans les premières journées de la session » (Emma, 26 ans, Québécoise, États-Unis).’Une autre Québécoise assume les frais de son échange scolaire aux États-Unis en retournant travailler au Québec à chaque période de vacances scolaires :
‘« Mes employeurs m’ont toujours reprise. J’ai toujours eu des bonnes relations aussi, j’ai tout le temps été à ma place. Westfield, j’avais mon auto, c’était à peu près à 5 heures et demie de route de chez mes parents. Ce n’était vraiment pas loin. Si j’y allais pendant le temps des Fêtes, je travaillais tout mon temps des Fêtes » (Marie-Claude, 27 ans, Québécoise, États-Unis).’Si certains jeunes se voient offrir un petit boulot à l’étranger par un ami qui les informe d’une place qui se libère, la plupart font preuve d’initiative et d’audace en allant directement offrir leurs services auprès d’un employeur potentiel.
Les étudiants de doctorat, pour leur part, reçoivent parfois des allocations ou occupent des postes d’assistants de recherche. Pour le jeune Québécois suivant, l’allocation qu’on lui a offerte est arrivée à un moment critique de sa vie d’étudiant, puisque des problèmes financiers et personnels étaient sur le point de le mener à l’abandon :
‘« En fait j’avais fait un peu de magouille. J’étais inscrit à l’Université de Haute-Savoie pour avoir un permis de séjour en France et je m’étais installé en France, à la frontière, et j’avais demandé l’aide au logement. Et j’allais à l’université [en Suisse] à vélo. Je suis un ancien cycliste! C’était chiant quand il pleuvait, et c’était pas bien non plus pour la vie sociale. J’ai fait ça les deux premières années, quand même. À partir de la troisième année, j’ai eu une allocation de recherche. Mais ça, c’était vraiment le truc génial. Pour deux ans, salaire… je pense que c’était 28 000$ la première année et 31 000$ la deuxième. J’étais vraiment, j’avais jamais été aussi riche de ma vie! […] Avant d’avoir cette bourse-là, j’étais sur le point sérieusement de tout abandonner. Sérieusement, j’y pensais beaucoup, beaucoup. Il y avait beaucoup d’autres raisons, mais ça c’était un facteur. J’étais très déprimé en fait. À la fin de ma deuxième année, j’étais plus déprimé je dirais que je ne l’avais jamais été dans ma vie. J’atteignais un espèce de fond du baril. Et à cause de ça, je ne travaillais plus. Je ne faisais même plus de philo. Qu’est-ce qui fait que j’étais déprimé, ça c’était un facteur. J’étais toujours sans le sou. J’avais beau habiter en France, j’étais toujours sans le sou. T’es pas à l’aise avec ça, tu ne veux pas le dire à tout le monde, donc je me suis isolé à cause de ça, il y avait la distance qui m’isolait des autres. Alors ça, ce n’était pas cool. L’autre truc qui était vraiment difficile, c’est que mon directeur de thèse s’en foutait de mon travail. Il disait au début qu’il était super intéressé par ce que je faisais. […] En plus, à l’époque, j’avais une histoire d’amour formidable qui durait depuis l’époque où j’étais arrivé en Allemagne, c’était une Française que j’avais rencontrée quand j’avais fait le cours à l’été. Elle, c’est ça le truc, elle voulait être normalienne et à l’année où je suis arrivé à Genève, elle venait d’échouer. Le drame de sa vie. […] Elle m’appelait en larmes quasiment toutes les semaines. Alors ça a commencé à mal aller, ça déconnait… Et tu te dis "mais ça va où? C’est une vie de merde que j’ai, c’est pas ça que je veux!" Le cauchemar, ma vie allait nulle part… Et l’allocation, ça a été comme une forme d’encouragement, je me disais "enfin, je ne serai plus dans la misère" » (Jean-Philippe, 30 ans, Québécois, Suisse).’La plupart des étudiants québécois en mobilité internationale au doctorat font mention des difficultés financières dans lesquelles ils se sont retrouvés après quelques années à l’étranger.
Des étudiants font également usage de leur double nationalité pour travailler durant leur séjour. Ce Québécois d’origine allemande apprend lors d’un premier échange étudiant en Allemagne qu’il peut demander la double citoyenneté. L’obtention d’un passeport allemand, comme il l’explique dans l’extrait suivant, facilite son parcours ultérieur puisqu’il retournera y faire une maîtrise en tant qu’étudiant autonome et pourra ainsi travailler et bénéficier d’un soutien économique du gouvernement allemand :
‘« En plus de ça j’ai découvert cette année-là que j’avais toujours droit à la nationalité allemande. Je pensais que je l’avais perdue parce que j’étais devenu canadien il y a longtemps. Donc j’ai reçu mon passeport allemand cette année-là. Ça aussi, pour quelqu’un qui veut travailler et voyager à l’extérieur, c’est extrêmement utile. Surtout avec l’Europe unie, comme ça, je pouvais pas seulement faire mes études, être là en tant qu’étudiant canadien en échange mais je pouvais pendant l’été travailler et c’est ça que je voulais, en fait. Et ça aussi ça m’a beaucoup aidé pour la prochaine étape. J’ai aussi fait ma maîtrise en Allemagne et ça en tant qu’Allemand. Parce que le financement pour ça, c’était difficile en tant qu’étranger. C’était quand même prévu que je revienne à Toronto pour finir mon programme d’études à Toronto. Donc déjà, à cette époque-là, après avoir passé une année en Allemagne, j’étais sûr de vouloir y retourner. […] D’abord, j’avais reçu pour mon bacc des Prêts et bourses du gouvernement du Québec, pour la maîtrise, j’ai reçu de l’argent du même programme allemand parce que j’étais citoyen allemand » (Frederic. 34 ans, Québécois, Allemagne).’Ici, les ressources spatiales incarnées juridiquement par la possession d’une double nationalité élargissent grandement l’éventail des autres ressources potentiellement mobilisables par les jeunes au cours de leurs pérégrinations.
La mobilisation de ressources financières durant le séjour d’études est dépendante du capital économique dont disposent les jeunes initialement (bourses, volume des économies personnelles et familiales, etc.) et de leurs aspirations en terre étrangère. Les enquêtés qui ont un capital économique jugé suffisant avant de partir et qui s’en tiennent à leurs prévisions budgétaires de départ ne cherchent pas à obtenir des revenus supplémentaires pendant leur expatriation. Pour d’autres dont les frais de scolarité sont très élevés (par exemple, en mobilité autonome aux États-Unis) et qui savent ne pas avoir les moyens exigés afin de couvrir toute la période à l’étranger, l’intention de travailler pendant le séjour d’études est manifeste dès le départ. Pour d’autres enquêtés, enfin, un désir de maximiser tous les aspects de la vie à l’étranger se révèle une fois sur place et les incite à se procurer les moyens matériels de le faire. L’expérimentation du rôle d’étudiant étranger, ce que nous abordons maintenant, est vécue par la majorité des enquêtés comme un intense moment de foisonnement social et de redéfinition de leur identité.
Certains établissements d’enseignement québécois disposaient, avant l’arrivée des bourses de court séjour du MEQ, d’un fonds (parfois de source privée) à la mobilité étudiante internationale. Parmi nos enquêtés, ils sont cinq à avoir reçu une telle aide pour leur séjour réalisé en 1997-1998, bien que cette aide soit dans certains cas à peine suffisante pour couvrir les frais de transport aérien (500$ et 600$).