4. La reconnaissance universitaire du séjour : des transactions inégales

Si la majorité des enquêtés sont rentrés au pays comme prévu au terme de leur année ou de leur trimestre d’études à l’étranger, ils sont nombreux à avoir envisagé sérieusement de rester dans la société d’accueil. Mais le manque de ressources économiques, la nécessité de faire valider le diplôme par l’université d’attache ou la maladie auront raison de leur souhait. Quelques-uns trouvent toutefois le moyen de prolonger leur expatriation. Du côté français (4 enquêtés), il s’agit principalement de jeunes en fin de formation universitaire qui obtiennent un stage ou un emploi ainsi que d’étudiants en IUT qui choisissent en cours de route de rester une année supplémentaire en vue d’obtenir le « bachelor » européen. Du côté québécois (5 enquêtés), il s’agit souvent d’étudiants qui n’étaient partis que pour un trimestre et de ceux qui obtiennent un stage de formation qui peut leur être crédité dans le cadre de leur programme. À nouveau, la présence d’un(e) petit(e) ami(e) n’est souvent pas étrangère à cette initiative.

Pour les mobilités étudiantes internationales réalisées dans le cadre d’un accord interuniversitaire, le retour dans la société d’origine coïncide avec la demande, auprès de l’université d’attache, de la reconnaissance des cours suivis à l’étranger. Si des étudiants obtiennent sans problème la validation de leur trimestre ou de leur année universitaire, d’autres doivent négocier âprement avec les acteurs responsables de leur établissement d’attache, parfois non sans quelques résultats fâcheux pour la carrière scolaire de l’étudiant. Dans leur cas, la nouveauté de l’entente interuniversitaire et une certaine négligence avant et pendant le séjour de la part tantôt des acteurs institutionnels, tantôt des étudiants, sont en cause.

Parmi les étudiants qui n’ont pas de problèmes avec la validation des cours suivis à l’étranger se trouvent notamment ceux qui réalisent leur séjour dans le cadre d’un accord signé depuis quelques années par leurs universités d’origine et d’accueil et qui ne sont donc pas les premiers à expérimenter l’échange. Ici, les acteurs responsables des questions administratives connaissent bien les particularités du programme et des conditions d’accueil à l’étranger, ce qui leur permet d’informer judicieusement les étudiants. De plus, des séances d’information au cours desquelles les participants des années précédentes sont invités à témoigner de leur expérience sont organisées par les responsables des mobilités étudiantes. Cela facilite la transmission aux « successeurs » d’informations qui, bien qu’elles soient parfois de l’ordre du détail, ne sont pas moins utiles afin d’éviter tout obstacle imprévu. Ce cas de figure est surtout observé parmi les étudiants français qui sont partis « en ERASMUS », l’ancienneté du programme sous-entendant que les échanges sont plutôt bien rodés et institutionnalisés.

Dans certains établissements québécois où les accords avec des universités étrangères sont plus récemment signés, des enquêtés disent tout de même n’avoir eu aucun problème à se voir octroyer les crédits pour les cours suivis dans leur université d’accueil. Dans leur cas, le fait d’être consciencieusement attentifs aux exigences à remplir lors de l’échange et de pouvoir compter sur le sérieux et l’importance que le responsable de l’université d’attache accorde à l’expérience de la mobilité étudiante internationale, constituent des conditions de réussite. C’est ainsi que, au fur et à mesure que se présentaient les obstacles administratifs, ils ont obtenu les conseils et les assentiments nécessaires afin d’éviter les complications au retour.

En revanche, les enquêtés qui rencontrent des résistances à leur retour s’inscrivent dans un échange interuniversitaire qui a encore peu d’antécédents et font face à la négligence ou à la rigidité des différents acteurs de leur université d’attache en charge de veiller au suivi du séjour. C’est ce qui s’est notamment passé avec l’interviewé suivant, lequel a reçu une première approbation verbale de ses choix de cours par son établissement français, pour se les voir désapprouver à son retour :

‘« Non, le problème c’est qu’il y a eu un couac au niveau de l’administratif. Avant de partir, j’ai proposé mon programme d’études au responsable de la formation de licence. Qui l’a lu, qui l’a trouvé correct et qui m’a donné un accord. Les cours que je devais faire à Montréal, j’ai eu l’accord. Mais un accord oral. Donc un peu le piège. En arrivant à Montréal, je suis allé voir, donc, le responsable de la filière chimique là-bas qui m’a dit que tel et tel court n’étaient pas adapté à mon niveau, et donc il m’a recadré mes cours. J’ai envoyé ces modifications à mon responsable en France, à la personne qui était responsable de mon départ, pas forcément celle qui m’avait donné l’autorisation de suivre le programme défini. Donc j’ai donné ça à la coordonnatrice on va dire en France, qui m’a donné un accord de principe, j’ai suivi les cours, et en revenant en France l’année d’après on m’a dit "bien, écoutez, il fallait voir chaque professeur pour que chaque professeur valide ou non son année de licence". Et donc j’ai eu la moitié des cours de licence qui ont été validés seulement. Et donc je suis allé voir aussi les professeurs de maîtrise en disant voilà j’ai fait telle ou telle chose, donc là j’ai pu faire valider certains acquis mais bon, c’était moins que ce que j’aurais pu avoir normalement. En fait, j’ai pu faire valider trois-quarts d’une année au lieu d’une année complète » (Mathieu, 27 ans, Français, Québec).’

Il semble que les démarches de départ à l’étranger ne soient pas aussi claires d’une faculté ou d’un département à l’autre. Aussi, l’étudiant ne sait pas toujours à qui s’adresser pour obtenir les informations et les autorisations académiques. De plus, la présence d’intermédiaires entre l’étudiant et la personne ayant le pouvoir de certifier la validité des cours suivis à l’étranger multiplie les risques d’erreurs et de mésententes.

Certains établissements d’enseignement français, se fondant sur l’affirmation que le système de notation de certains pays tend à surévaluer les élèves, abaissent automatiquement les notes obtenues à l’étranger par leurs étudiants. Plusieurs enquêtés expliquent s’être fait soustraire quelques points à leur retour, ce avec quoi ils n’étaient pas du tout d’accord :

‘« Et là, grosse déception du système européen, ERASMUS, c’est là que je me suis dit que l’Europe, c’étaient que 3-4 bonhommes qui étaient dans des sphères qui comprenaient rien parce que j’ai eu ma maîtrise et j’avais une moyenne de 13, 995 sur 20. Donc j’espérais quand même avoir la mention bien, parce que bon, pour 5 centièmes je pensais que ça pouvait basculer à 14, et bien non, ça a été même le contraire. Je suis allée voir le directeur de la maîtrise, je lui explique, et quand je suis revenue dans son bureau chercher les papiers, j’avais 12 de moyenne. J’ai dit "attendez, comment vous avez calculé votre coup, quoi". Là je commençais à être verte. Il a dit "de toute manière, c’est beaucoup plus facile de faire des études à l’étranger". Là je me suis vraiment mise en colère. Je me suis dit "c’est pas possible d’envoyer des personnes à l’étranger pour à la fin obtenir ça". Alors vraiment, en discutant fort j’ai réussi quand même à lui faire écrire sur ma feuille de notes françaises, il y a des notes qui correspondent à rien du tout, on ne sait pas d’où elles sortent, que ces notes proviennent d’un calcul savant, on ne sait pas lequel, des notes acquises pendant mon année d’université en Écosse » (Charlotte, 28 ans, Française, Écosse).’

L’enquêtée suivante, qui était la première Française à se diriger dans cette école espagnole dans le cadre d’une entente récemment conclue, explique avoir régulièrement communiqué durant son séjour avec la personne responsable de son échange pour lui faire part de son désarroi quant à la sévérité des évaluations espagnoles. Alors qu’on lui répond de ne pas s’inquiéter, à son retour, elle subit ce qu’elle considère être une injustice :

‘« Qu’on baissait les notes, alors ça je l’ai découvert. Ensuite, on m’a servi comme excuse qu’on était surnotés. Ils baissaient de deux ou trois points, en fait, les notes. Donc c’était quelque chose d’incroyable. Et ça, par contre, j’étais pas du tout d’accord. Je veux bien croire que certaines universités surnotent, mais moi le problème c’est que j’étais pas du tout surnotée, au contraire. J’étais notée comme tout autre Espagnol, et assez sévèrement.
- Tu n’as pas pu te battre?
- J’ai essayé mais ça n’a pas marché. Ils ont des barèmes et c’est vrai qu’ils peuvent pas faire de cas par cas parce que déjà ils n’avaient pas le recul sur le mien. Parce que la fac de gestion, c’était la première fois qu’elle accueillait des ERASMUS et du coup bien voilà, quoi. Moi j’avais entendu dire qu’on considérait que les étudiants qui allaient en Espagne étaient surnotés, mais je ne savais pas…. Ils ont carrément des grilles. Alors moi, ça m’a choquée. Ils ont une grille et puis voilà, ils considèrent que les étudiants en Espagne ont des super notes donc ils les baissent, que les étudiants Anglais ont des notes à peu près normales, donc ils laissent les notes, les étudiants de je ne sais plus quel pays, par contre, ils augmentaient les notes parce qu’elles étaient… » (Sabine, 25 ans, Française, Espagne).’

Par conséquent de cette diminution automatique des notes, l’étudiante échoue quelques cours, en plus de se voir refuser la validation de certaines matières qui ne correspondent pas suffisamment aux exigences du programme français. Elle doit repasser sa licence en France, perdant une année scolaire. D’autres enquêtés prennent également du retard en raison du rattrapage de certains cours, pourtant réussis, que leur université d’attache refuse de leur valider 202 . La question des équivalences entre les cours exigés à la maison et ceux qui sont offerts et suivis à l’étranger est une zone floue lorsque les conditions d’échange ne sont pas encore parfaitement établies.

Enfin, des étudiants possédant des qualités et des compétences personnelles qui leur permettent de défendre leurs vues, de faire valoir leur point ou de réclamer la réparation d’erreurs administratives sont parvenus, malgré des problèmes de conformité, à obtenir la validation des crédits obtenus à l’étranger.

‘« J’ai un bon pouvoir de persuasion! [rires] Il y en a beaucoup que je connais qui n’ont pas eu tous leurs crédits. Moi, je pense que c’est juste une question de mots, de bien envelopper… parce que dans le fond, la personne qui approuve, elle ne le sait pas. Il faut quand même pas que tu écrives n’importe quoi parce que bon, je suis quand même une personne éthique et intègre là, mais je veux dire il faut que tu leur donnes ce qu’ils veulent. Et puis je me voyais mal faire une 7e session. J’ai eu des bonnes notes » (Julien, 26 ans, Québécois, Italie).’

C’est ce qui est arrivé à la jeune Française dont nous avons parlé un peu plus tôt, laquelle s’est retrouvée dans une université qui ne disposait pas des services nécessaires à l’accueil des étudiants étrangers et dans des cours dont le niveau était trop élevé pour ses connaissances linguistiques en chinois. Alors qu’elle cesse d’assister aux cours, elle réussit, non sans détermination, volubilité et capacités de persuasion, à obtenir les crédits correspondants :

‘« Et comment tu as fait? Il te fallait des équivalences quand tu es revenue…
– [rires] Des équivalences quand je suis revenue… On m’a zigouillé des trucs et c’est passé, quoi. Entre temps, quand même, j’avais fait un barouf total à l’université en disant "c’est quoi ce bordel dans lequel vous nous avez envoyés en espérant qu’on va retirer quoi que ce soit de ce séjour". J’ai bombardé la fac, le président de la fac – comme ma mère est fonctionnaire, j’ai un peu gardé ça d’elle – donc j’ai écrit des grandes lettres… Mais c’est grâce à mon prof que j’ai eu mes équivalences, parce qu’il a vu que je parlais chinois… » (Fabienne, 30 ans, Française, Taiwan).’

Dans un ordre d’idées similaire et probablement avec la même attitude acharnée et le même pouvoir personnel de conviction, un jeune Québécois réussit à faire inscrire ses notes sur le relevé de son université d’attache. Or, rappelons-le, le règlement administratif concernant la validation des crédits obtenus à l’étranger dans le cadre d’une entente institutionnelle stipule l’octroi d’une « simple équivalence de crédits » :

‘« … la difficulté aussi par rapport à [l’université d’origine]… Historiquement, semble-t-il, les étudiants au retour choisissaient seulement succès ou échec. Moi je me disais "non, non, non, je m’en vais à la maîtrise, ça ne peut pas être juste succès ou échec". Donc j’avais pas réussi à finaliser la négociation et tout ça avant de partir mais c’était clair que pendant que j’étais là, ma job c’était d’avoir des notes pour pouvoir entrer à la maîtrise. Finalement, j’ai eu des lettres de recommandation par des profs là-bas, ça a bien aidé à faire mes candidatures. Honnêtement, [l’université d’origine], ça a été quand même pas mal de discussions… je leur disais "je veux vraiment que mes notes soient transférées". J’ai vraiment insisté et finalement ils ont accepté » (Patrice, 28 ans, Québécois, France).’

Les mobilités étudiantes internationales effectuées grâce à des accords bilatéraux et multilatéraux entre les établissements d’enseignement supérieur donnent à voir des degrés différenciés d’encadrement universitaire du phénomène. Dans les cas où une zone d’imprécision institutionnelle persiste, généralement dans les débuts de l’entente, les attitudes personnelles des acteurs responsables de l’organisation administrative de l’échange et de la validation des crédits, de même que les aptitudes individuelles des étudiants à prendre en main la bonne conduite des démarches et la défense de leurs intérêts, contribuent à déterminer l’issue académique du séjour.

Notes
202.

Dans leur sondage auprès d’étudiants ayant participé au programme ERASMUS au cours de sa deuxième année d’implantation (1988/89), Teichler et Maiworm (1994 : 24) rapportent que 79% des 1339 Européens sondés ont obtenu des équivalences pour la totalité des cours suivis à l’étranger tandis que 90% des Français obtenaient leurs crédits. En revanche, les anciens participants ont vu leur formation prolongée de trois mois en raison de cette période d’études dans un établissement étranger.