3.2 La reconnaissance locale des expériences internationales

Les expériences et les connaissances accumulées au cours du séjour d’études à l’étranger des jeunes ayant une carrière unispatiale d’insertion professionnelle agissent sur l’accroissement du volume de capital scolaire et professionnel et obtiennent la reconnaissance dans les espaces éducatifs et les marchés du travail de la société d’origine. Si les enquêtés ne sont pas toujours en mesure d’affirmer avec certitude qu’ils ont été retenus lors d’un concours d’entrée ou d’un entretien d’embauche en raison même de leur séjour de formation à l’étranger, ils se disent convaincus que cette expérience a été considérée. Cette incertitude quant à la rentabilité effective sur le marché du travail du séjour de formation à l’étranger rejoint les propos de cet acteur institutionnel:

‘« Alors, les entreprises ont un double langage. Les entreprises disent "c’est obligatoire d’avoir fait une partie à l’étranger". Quand on pose la question aux recruteurs, la réponse est "oui". C’est-à-dire, si dans un curriculum vitæ il y a une période à l’étranger, c’est considéré comme un facteur favorable, d’ouverture d’esprit, etc. Mais quand on interroge les chefs d’exploitation, c’est-à-dire les ingénieurs qui dirigent une unité de production ou autre, on s’aperçoit que le fait qu’il y a eu un stage à l’étranger n’est pratiquement pas pris en compte. Et donc les étudiants vous diront « moi le fait que j’ai fait des études à l’étranger ne m’a pas servi dans mes études ». Ce qu’ils oublient de dire, c’est que ça leur a servi au moment du recrutement. Ils ne s’en sont peut-être pas rendus compte. Mais ça ne leur a pas servi dans leur travail de tous les jours ».241

Ainsi, dans certains secteurs d’emploi du moins, le « profil international » d’une formation universitaire constituerait l’un des premiers critères de sélection sans forcément que les candidats n’en soient informés.

Les témoignages sont nombreux et variés autour des effets bénéfiques que le séjour d’études à l’étranger a eus sur les activités qui ponctuent ultérieurement le processus de socialisation professionnelle des enquêtés. Une jeune Québécoise partie étudier en France à une époque où les échanges d’étudiants n’étaient pas chose courante dans son département se dit persuadée que son directeur, sollicité quelques années plus tard pour la proposition de candidats à un concours de journalisme, s’est souvenu d’elle en raison de son entêtement à partir. Elle considère que son séjour a provoqué un enchaînement d’événements favorables à l’obtention de son poste : son ancien directeur la réfère au concours, sa participation au concours la conduit à faire des reportages au Liban et au Maroc, ses expériences professionnelles s’accumulent, son réseau de relations professionnelles se densifie :

‘« Et finalement, à l’hiver j’avais un stage à faire mais en janvier j’avais toujours pas trouvé de stage, parce qu’à [nom de l’université] en journalisme, il n’y a aucun système de placement, c’est complètement « démerde-toi ». J’étais complètement découragée […] et puis finalement, fin octobre j’ai eu un appel du directeur du programme de journalisme qui me dit "TVA reprend la subvention [du concours]". Si le directeur de journalisme a pensé à moi, c’est sûrement à cause de l’année à Paris. C’est là, déjà, que tu commences à te démarquer, c’est aussi sûrement ce qui a fait que Radio-Canada m’a pris comme stagiaire, qu’après ça j’ai eu des contrats. […] L’année d’après, j’ai refait application du Liban ou du Maroc pour être en stage. C’était encore mieux, j’avais fait de la télé, j’étais allée au Maroc et au Liban en plus de la France, ça s’était accumulé. Donc j’ai été prise en juin à [nom du journal] alors que j’étais encore à TVA, j’ai fait les deux, des doubles journées. Donc c’est comme ça que j’ai commencé à [nom du journal], comme stagiaire d’été » (Élise, 26 ans, Québécoise).’

Quelques jeunes disent avoir obtenu ultérieurement à leur embauche la confirmation qu’ils avaient été sélectionnés grâce notamment à leur expérience de mobilité internationale. Les autres affirment avoir été longuement questionnés à ce sujet dans toutes les situations où cela s’avérait pertinent, du concours d’entrée dans une école à l’entretien d’emploi, en passant par les candidatures de stage :

‘« Tout le reste de ma scolarité, de mes expériences en stage, à chaque fois, le fait que je sois partie un an à l’étranger, ça a toujours été un point positif. Ça c’était communiqué directement. On demande "pourquoi vous êtes partie", ils voient qu’on est revenu en entier, c’est peut-être un signe qu’on est capable de faire pas mal de choses, quoi! Et après, l’ouverture, l’anglais, l’esprit d’ouverture. C’est évident. Pour l’entrée à l’IEP, pour l’entrée en DESS, pour tous les stages que j’ai faits…même le stage au Conseil régional, là tu ne peux pas vraiment compter sur le fait qu’on parle anglais, l’ouverture internationale, ça a été un point important. Je pense que ça montre une maturité, en fait. À tort ou à raison. J’en suis convaincue, souvent on me l’a dit en entretien, "vous êtes partie en Angleterre, c’est bien" c’est un peu pour ça qu’on est parti aussi, on savait que ce serait un plus indéniable. Après, on savait tous que si tout le monde ne partait pas c’est que c’était pas un enjeu facile et que c’était pas gagné d’avance » (Sylvie, 26 ans, Française).’

Qu’ils se soient sentis contraints de s’installer au pays d’origine à la suite de leur séjour d’études à l’étranger ou qu’ils l’aient fait de leur plein gré, les individus ici représentés ont en commun que leurs différents engagements sociaux et leurs pratiques de la spatialité s’agrègent pour offrir un parcours objectivement cohérent au regard d’un métier ou d’une profession. Mais si leur carrière professionnelle se déroule généralement dans un espace local, cela ne signifie aucunement qu’ils s’y restreignent ou que leur champ potentiel d’action est cloisonné. Ils entretiennent un réseau de relations intimes déspatialisé établi lors de leur séjour à l’international et certains ne rejettent pas l’idée de repartir à l’étranger pour une durée déterminée s’il advenait qu’ils perdent leur emploi, que leur conjoint soit envoyé en mission à l’étranger, etc. :

‘« En tout cas, je ne me vois pas toute seule, en tant que célibataire, y aller. Voilà. Si j’ai une vie de famille compris, c’est-à-dire que, enfin… et qu’on doit partir à l’étranger, pourquoi pas. Mais c’est pas dans les mêmes conditions. De moi-même, là, toute seule, non » (Joëlle, 27 ans, Française). ’

Pour l’instant, ils manifestent un désir de bâtir (un couple, une famille, une carrière professionnelle…), ce qui passe pour eux par l’établissement de solides fondations dans l’espace d’origine. Leurs pratiques spatiales internationales prennent, en attendant, la forme de voyages touristiques.

Notes
241.

Propos d’un représentant du Pôle universitaire de Lyon.