3.3 Des degrés inégaux d’institutionnalisation de la mobilité étudiante internationale

Comme pour l’idéaltype de la carrière multispatiale intégrée, la carrière décrite au cours des pages précédentes met au jour des relations entre des conduites et des représentations individuelles d’un côté et des structures de contraintes et d’opportunités de l’autre. Il s’avère en effet que les individus qui développent ce type de carrière tendent à avoir un patrimoine de lieux restreint dans un contexte où l’offre universitaire de séjours d’études à l’étranger est solidement organisée. L’offre de mobilité académique apparaît alors comme une stratégie permettant d’élargir un répertoire de rôles et de ressources jusque-là forgé à partir de fragments d’inventaire locaux. Ils espèrent que cette expérience leur permettra de se distinguer sur le marché du travail. Il semble que les contextes qui présentent une institutionnalisation marquée de la mobilité étudiante internationale soutenue par une aide financière tendent à produire ce type de carrières spatiales et professionnelles. Les étudiants français partis grâce à une bourse de la région Rhône-Alpes, les Québécois issus des établissements d’enseignement les plus anciennement impliqués dans la mobilité étudiante internationale 242 et ceux qui sont partis après l’instauration des bourses de court séjour du MEQ présentent en effet des similitudes. Aussi, l’institutionnalisation dont sont marquées les expériences de nos enquêtés est probablement davantage un effet régional et institutionnel qu’un effet sociétal.

Si le programme ERASMUS est répandu dans toute la France, et qu’à ce titre il s’agit d’un phénomène généralisé à l’ensemble de la société, il s’avère que le programme de bourses de mobilité mis en place par la région Rhône-Alpes a donné une impulsion décisive non seulement au nombre de départs effectifs, mais aussi à l’organisation de l’offre de mobilité 243 . Comme l’explique cet acteur institutionnel lyonnais :

‘« [l]’accent placé sur la mobilité va de pair avec la politique de la Région, et la politique de la Région nous aide beaucoup. Parce que le fait par exemple que nous trouvions des systèmes de bourse pour faciliter la mobilité est très incitatif vis-à-vis de nos étudiants. Très incitatif. Les bourses de la Région sont souvent des compléments des bourses ERASMUS »244.’

D’une part, la disponibilité d’une aide financière importante et la forte promotion de l’expérience permettent à un plus grand nombre de jeunes, même les moins prédisposés à la mobilité, de partir. D’autre part, les écoles et les universités ont structuré les dispositifs de mobilité de manière telle que les étapes traversées par les enquêtés pour la préparation du départ, en dépit de variations institutionnelles, donnent à voir des similitudes. Elles informent les étudiants de la possibilité de partir dès leur entrée en première année de premier cycle universitaire, elles sollicitent les étudiants dans les classes, elles proposent une journée annuelle de la mobilité étudiante internationale, elles organisent des séances d’information pour les partants, etc. Ainsi, les jeunes qui jusque-là ne disposaient pas des ressources financières nécessaires ou qui n’avaient même jamais pensé partir vivre pendant un trimestre ou une année à l’étranger profitent de l’occasion pour le faire. Pour les étudiants qui ont un volume de capital spatial peu élevé et qui n’ont pas un projet de formation et de carrière professionnelle à l’étranger élaboré préalablement, la norme semble être de revenir au pays afin d’achever sa formation ou de commencer à chercher du travail 245 . Parmi les 80% de partants rhônalpins en 1997/98 qui poursuivent leurs études l’année suivante, 71% sont inscrits dans un établissement de la région Rhône-Alpes, 19% dans un établissement d’une autre région de France et 10% dans un établissement à l’étranger. À la lumière de ces observations, nous pouvons penser que dans les sociétés, les régions et les établissements d’enseignement où les séjours d’études à l’étranger s’institutionnalisent fortement, un plus grand nombre de personnes aux plus faibles prédispositions à la mobilité auront la possibilité de s’approprier cette expérience en vue d’accroître leur bagage de ressources et de s’inscrire dans une carrière unispatiale d’insertion professionnelle.

Notes
242.

Principalement les écoles d’ingénieurs et de commerce, lesquelles octroyaient de petites bourses de mobilité avant l’arrivée des bourses du MEQ.

243.

Il s’agit d’une région pionnière en la matière qui n’a pas d’équivalent dans toutes les autres régions de l’hexagone.

244.

Propos d’un représentant du Pôle universitaire de Lyon.

245.

Certains qui attrapent alors la « piqûre » des voyages, qui s’inscrivent dans une filière de formation tournée vers l’international et les secteurs de pointe et qui ont l’opportunité académique et professionnelle de repartir à nouveau par la suite (grâce à une bourse, à un poste dans une filiale à l’étranger, etc.), repartent néanmoins. Nous avons vu que le séjour d’études à l’étranger peut être un moment bifurcatif.