Conclusion générale

Ce travail avait pour objectif d’analyser sociologiquement les modalités d’appropriation de l’espace international d’étudiants ayant réalisé un séjour d’études à l’étranger au cours de leur cursus scolaire universitaire ainsi que le rôle de la dimension spatiale de la vie sociale dans leur processus de socialisation professionnelle. Rappelons qu’il ne s’agissait pas pour nous d’étudier les enjeux institutionnels et politiques de la mobilité étudiante internationale, tels ceux qui sont relatifs à l’accueil des étudiants étrangers, au problème de l’« exode des cerveaux » français ou québécois vers les États-Unis ou au positionnement stratégique de l’offre éducationnelle nationale sur le marché international de l’éducation. Il ne s’agissait pas non plus d’analyser les effets psychosociologiques et les modalités d’adaptation culturelle des jeunes au cours de leur séjour à l’étranger, même si les significations et les pratiques d’ajustement associées à cette « étape » de la carrière, puisqu’elles en sont constitutives, ne furent pas négligées. Notre travail a plutôt consisté à comprendre sociologiquement les pratiques spatiales internationales d’individus scolarisés ayant en commun d’expérimenter une socialisation professionnelle dans un contexte historique marqué par des forces globalisantes tout en étant inscrits dans des cadres sociétaux distincts sur les plans notamment des systèmes éducatifs, des offres institutionnelles de mobilité internationale juvénile et des marchés de l’emploi.

Précisons également que cette recherche n’a jamais eu pour but, ni en amont au moment de choisir l’objet, ni en aval lors de l’analyse des résultats, de porter un jugement sur la nécessité ou non, pour le bien-être individuel et collectif, de l’expansion de la mobilité étudiante internationale. Pour autant, nous n’ignorons pas que l’un des enjeux majeurs soulevés par ce phénomène est celui de la réponse politique qui doit ou devrait être apportée à la globalisation, enjeu qui est, au bout du compte, d’ordre idéologique. La diversité des suggestions apportées afin de contrer les inégalités sociales engendrées par les restructurations actuelles des sociétés salariales montre bien que, derrière elles, se profilent des conceptions différentes quant au rôle de l’État dans l’économie.

Par exemple, Reich (1993) prend acte de l’affaiblissement des pouvoirs étatiques au profit des forces économiques et de l’importance grandissante du savoir et du capital humain. Selon lui, le succès économique d’une société ne dépend plus de mesures protectionnistes, dont l’application est devenue utopique, mais plutôt de l’amélioration des compétences et de la compétitivité de la main-d’œuvre. Pour cela, les États doivent augmenter les investissements publics afin de réformer l’enseignement de manière à mieux préparer la future main-d’œuvre aux nouvelles qualifications exigées sur des marchés du travail internationalisés. Si Castells (2001) constate également que les qualifications supérieures et l’éducation avancée font désormais partie des traits fondamentaux caractéristiques des sociétés informationnelles, il ne suit toutefois pas totalement Reich lorsque celui-ci affirme que la désagrégation de la main-d’œuvre résulte de l’inadaptation de ses qualifications face aux nouvelles exigences d’emploi. Selon lui, il vaut mieux parler en termes d’éducation et de formation que d’amélioration des qualifications. Alors que les qualifications peuvent devenir rapidement désuètes si les technologies et l’organisation de la production évoluent, l’éducation permet de développer les connaissances et les aptitudes de base sur lesquelles s’appuieront les apprentissages ultérieurs :

[l’éducation est un] processus par lequel les gens, c’est-à-dire la main-d’œuvre, peuvent acquérir la capacité constante de redéfinir les qualifications nécessaires à une tâche donnée et d’accéder aux sources qui permettent d’obtenir des qualifications. Toute personne qui a reçu l’éducation nécessaire peut (si l’organisation est de bonne qualité) se reprogrammer continûment au fur et à mesure que les tâches changent (Castells, 1999a: 404).

Martin et al. (2003), pour leur part, ne partagent ni les conceptions de Reich ni celles de Castells quant au rôle que devraient jouer les autorités publiques face à la globalisation de l’économie. Selon eux, les deux perspectives tendent à concevoir l’éducation et le capital humain comme des facteurs de croissance économique, ce qui contribue à faire des États les partenaires du marché, et surtout à occulter leur responsabilité dans le développement d’un marché international foncièrement concurrentiel. Ces auteurs remettent au centre du débat la question de la vocation fondamentale de l’éducation – doit-elle être prioritairement placée au service de l’économie? – mais aussi et surtout la responsabilité des gouvernements. Puisque les conditions de vie actuelle résultent en bonne partie de leurs décisions antérieures, les gouvernements ne devraient pas faire reposer sur les seules épaules du citoyen la tâche de tirer, individuellement, son épingle du jeu.

Or, notre posture fut plutôt celle défendue par Weber selon laquelle le sociologue se doit, pour prétendre à l’objectivité, distinguer le jugement de valeur du rapport aux valeurs. Ainsi, notre intention n’était pas tant de faire l’apologie de l’institutionnalisation de la mobilité étudiante internationale ou de dénoncer sa contribution au développement du système capitaliste, que de prendre acte des systèmes de pensée, au demeurant multiples, dans lesquels et à partir desquels les acteurs sociaux, à la fois institutionnels et individuels, orientent leurs conduites. Au fondement de notre entreprise se trouvait l’objectif d’éclairer les expériences vécues à l’aide des transformations des conditions de vie matérielle et des systèmes de valeur dans un contexte historique défini et des sociétés particulières.

Cela étant dit, affirmer qu’il n’était pas de notre ressort de fournir des réponses politiques ou institutionnels aux valeurs qu’il faudrait viser, en tant que société, à travers un tel phénomène, ce n’est pas nier les enjeux que celui-ci soulève concrètement dans la vie de certains acteurs sociaux. Si nous n’avons pas cherché à identifier les obstacles qui contreviennent à l’expansion de la mobilité des étudiants ou à définir les objectifs qui devraient être assignés à l’éducation dans un contexte globalisé, nous pensons néanmoins que cette recherche peut apporter certains éléments de réflexion à ceux qui, de près ou de loin, sont aujourd’hui engagés dans les mondes de l’éducation et du travail, travailleurs et citoyens.

Notre travail a emprunté deux directions qui, bien qu’elles soient séparées pour les besoins de la présentation, ne sont pas moins complémentaires. Dans un premier temps, nous avons défini sociologiquement les conditions de l’action sociale dans les sociétés modernes, le concept d’espace ainsi que les dimensions de la socialisation professionnelle, cette dernière notion étant théoriquement pertinente étant donné l’âge social des acteurs engagés dans le phénomène étudié. Après avoir présenté le dispositif méthodologique grâce auquel les analyses ont pu être menées, nous avons dressé la toile de fond historique, sociale et politique sur laquelle se dessine notre objet d’étude : celle de la globalisation économique et sociale et de l’internationalisation de l’éducation. Dans un second temps, nous avons présenté une à une les phases constitutives des parcours des étudiants. Le choix d’étaler chronologiquement l’ensemble des dimensions objectives et subjectives des carrières spatiales se voulait une méthode permettant de rendre compte du caractère construit de ces dernières. Ce procédé permettait en effet de saisir les multiples engagements plus ou moins déspatialisés, selon les cas, qui meublent les processus de socialisation professionnelle ainsi que les efforts déployés par les individus, en fonction des contraintes et des opportunités, afin de les négocier et de les ordonner. Cette seconde partie aboutit à une typologie des carrières spatiales et des socialisations professionnelles qui est d’autant plus compréhensible qu’elle fait suite à l’exposition des phases qui les composent.

L’ensemble de ce travail s’est efforcé de montrer que l’espace international constitue une ressource appropriée concrètement et symboliquement de façon différenciée par les individus. Les motivations des jeunes à partir à l’étranger sont plurielles et complexes : elles sont simultanément relatives à leurs multiples engagements sociaux et à leurs représentations de l’espace, et elles évoluent au fur et à mesure qu’ils avancent dans leur carrière.

L’appropriation et la rentabilisation sur le marché du travail d’une expérience d’études à l’étranger apparaissent liées à la position initiale des individus dans la structure sociale ainsi qu’au volume de capital spatial lequel, s’il est effectivement fortement corrélé aux autres formes de capitaux, ne leur est cependant pas conditionnel. Nous avons pu observer que la figure de l’étudiant étranger est hétérogène. Parmi nos informateurs, des jeunes ont été socialisés précocement à l’international lors d’un séjour familial à l’étranger prolongé occasionné par l’expatriation professionnelle de l’un des parents, lors de leur scolarisation primaire et secondaire dans une école bilingue ou internationale ou lors de séjours d’été répétés chez les membres de la famille élargie installés à l’étranger. L’expérience de ces individus s’apparente ici au modèle classique de socialisation à l’international, fondé sur les ressources sociales, économiques et culturelles de la famille. À l’opposé, nous avons constaté que des jeunes, grâce à certaines structures collectives placées à la disposition de leurs parents ouvriers ou employés, sont partis dès leur tout jeune âge et à plusieurs reprises dans des camps de vacances à l’étranger. Dans d’autres situations encore, des individus qui proviennent d’un univers social et familial où l’espace international ne fait pas partie des ressources potentiellement mobilisables ont vu leur horizon de possibilités s’élargir presque fortuitement à l’occasion d’une information saisie au vol. Il semble que la pluralité des mondes sociaux soumet les acteurs à une multitude d’expériences socialisatrices qui peuvent provoquer une prise de conscience d’un espace élargi d’action. Lorsque cette prise de conscience est jointe à une offre institutionnelle concrète de séjours divers à l’étranger, elle permet à des jeunes initialement peu disposés à la mobilité de vivre une première socialisation à l’international. Pour quelques-uns d’entre eux, il s’agit parfois de l’événement fondateur d’une carrière spatiale ponctuée d’une multitude de lieux.

L’augmentation du volume de capital spatial favorise corrélativement l’acquisition de savoirs et le développement de compétences qui sont susceptibles d’intervenir au cours du processus de mise au travail. Lorsque les expériences spatiales débutent suffisamment tôt, elles offrent un élargissement des connaissances et participent au développement de capacités à communiquer dans plusieurs langues, à contrôler différents codes culturels, à maîtriser les technologies de l’information et des communications, à se détacher physiquement de son environnement socioculturel familier, à s’adapter rapidement aux changements d’espace, à créer des liens et à les entretenir dans le temps et la distance, etc. Ces savoirs et ces aptitudes sauront profiter à l’organisation graduelle des engagements en faveur d’une activité professionnelle privilégiée. Le capital spatial semble ainsi intervenir dans le processus de socialisation professionnelle au même titre que d’autres formes de ressources (économiques, culturelles, sociales). En somme, les individus qui possèdent un volume familial élevé de capital spatial sont certes privilégiés quant à l’accès à l’espace international et à la rentabilisation éventuelle des expériences internationales sur le marché du travail. Cela ne nous a pourtant pas empêchée d’observer des situations où des individus plus faiblement prédisposés à l’international se sont quand même forgés, grâce à des ouvertures institutionnelles, un bagage de lieux et de compétences qu’ils ont pu échanger de façon profitable, académiquement et professionnellement, contre d’autres formes de ressources.

À ce titre, la perspective comparative empruntée dans cette recherche nous a permis de constater que la structure des systèmes d’éducation agit sur la formation du capital spatial international et la construction des carrières spatiales. Le fonctionnement du système d’enseignement au Québec, plus flexible que le système français quant à la durée des cursus scolaires, offre des interstices que les étudiants peuvent s’approprier pour l’expérimentation de séjours prolongés à l’étranger à des fins autres qu’académiques. En revanche, les étudiants français qui s’inscrivent dans un parcours d’études supérieures limitent généralement leurs expéditions non scolaires dans l’espace international aux périodes de vacances estivales, un retard dans le cursus étant le synonyme d’une scolarité moins réussie. Cela dit, bien que le premier semble « laisser le temps », il est également susceptible de favoriser la dispersion des ressources et des engagements.

Ce résultat s’ajoute à une autre tendance sociétale que nous avons repéré au cours de l’analyse mais qui ne peut malheureusement pas, étant donné la constitution de nos matériaux d’enquête et un manque de données complémentaires, être rationnellement expliquée en ces termes. Alors que des étudiants québécois sont partis étudier à l’étranger de manière autonome, même sans l’obtention d’une bourse d’études, aucun Français rencontré ne présente un parcours semblable. Il se peut donc que les représentations du rapport « espace éducatif national/ espace éducatif international » ne soient pas les mêmes en France qu’au Québec. Des travaux menés auprès d’autres catégories de populations mobiles ont conduit leurs auteurs à stipuler que malgré l’internationalisation de l’économie et la circulation accrue des cadres et des travailleurs qualifiés, la hiérarchisation des statuts sociaux, en France, est encore fortement tributaire de l’appartenance au territoire français et du passage au sein de ses institutions 249 . Si nous pouvons supposer que les grandes écoles bénéficient d’un fort prestige en France, peut-on penser que celui-ci se répercute sur l’ensemble du système d’enseignement, ce qui expliquerait que les étudiants français démontrent moins d’intérêt pour les diplômes étrangers (à supposer qu’ils en démontrent effectivement moins)? Est-ce que cela peut également s’expliquer par le rôle historique de la France sur le marché international de l’éducation, qui en est traditionnellement un de pourvoyeur plutôt que de solliciteur d’éducation? Et qu’en est-il, exactement, des représentations collectives des Québécois à l’égard de leur système d’enseignement? Notre étude comparative fut menée dans une perspective sociétale plutôt que culturaliste dans le but délibéré d’éviter de rigidifier outrageusement les cultures nationales. Cependant, une recherche orientée davantage sur la méthode culturaliste permettrait sans doute de « repérer les survivances des structurations passées et de mieux comprendre leurs impacts sur les actes et les structures contemporaines » (Collet, 2003 : 239). Les institutions sociales étant des « typifications des actions habituelles […] édifiées tout au long d’une histoire partagée » (Berger et Luckmann, 1996), la mise en parallèle historique des institutions d’enseignement françaises et québécoises pourrait dévoiler des conceptions culturelles en matière d’éducation et de formation et apporter un éclairage aux conduites actuelles.

Pour finir, nous voudrions revenir sur l’une des questions principales posées dès l’introduction : nous nous sommes demandée si l’institutionnalisation de la mobilité étudiante internationale, en favorisant une certaine démocratisation de l’accès à l’espace international et aux apprentissages qui lui sont associés, participe à la globalisation par le haut. Cette dernière expression, si elle a l’avantage d’être illustrative, contient l’inconvénient d’être floue. Pour les uns, elle renvoie aux « élites des élites », à ceux qui sont à la tête des grandes organisations internationales telles que le FMI, la Banque mondiale, l’OMC, etc. Il s’agit en somme de ces hommes politiques qui dominent à la fois dans leur espace national, principalement états-uniens, et dans l’espace international (Dezalay, 2004). Pour d’autres, la réalité désignée est un peu plus générale : elle réfère aux individus qui circulent sur les routes (réelles et virtuelles) et les espaces (que ceux-ci soient des quartiers, des villes ou des pays) creusés par la nouvelle économie. Il s’agit des cadres de la fonction publique, des professionnels libéraux, des cadres commerciaux, des intellectuels et professionnels scientifiques, des ingénieurs, des informaticiens, etc. Évidemment, puisque les structures nationales d’emplois et de professions sont en pleine reconfiguration sous l’effet des transformations économiques en cours 250 , cette énumération ne peut être exhaustive, en plus de référer à des réalités qui divergent parfois d’un pays à l’autre. Il n’empêche qu’à partir des travaux existants, il est possible de délimiter la globalisation par le haut comme étant l’accroissement des réseaux d’échanges internationaux créés, développés et contrôlés par les grandes entreprises et les gouvernements et comme l’augmentation corollaire de ceux qui y circulent, soit les acteurs qui, en participant à la production, au traitement et à la diffusion du savoir, contribuent activement à la génération des profits.

L’analyse de notre typologie, notamment à travers la carrière de type multispatial intégré, nous invite à penser que le phénomène de la mobilité étudiante internationale et son institutionnalisation participent effectivement à la globalisation par le haut en favorisant la socialisation à l’international d’individus qui investiront l’« espace des flux » (Castells, 2001) décrit à l’instant. Cette vocation socialisatrice ne lui est cependant pas exclusive si nous tenons compte du fait que les savoirs et les compétences qui tendent aujourd’hui à être socialement valorisés, du moins dans les secteurs de pointe de l’économie, sont d’autant mieux articulés à un engagement professionnel et d’autant plus facilement transférés et reconnus sur le marché du travail qu’ils sont prématurément acquis et accumulés dans la durée. Aussi, outre les plus privilégiés des étudiants qui peuvent recourir à leurs ressources familiales, c’est l’ensemble des dispositifs sociaux et politiques de mobilité internationale, ceux qui sont disponibles tant avant qu’après un séjour institutionnalisé d’études universitaires, qui interviennent dans le processus de socialisation à des apprentissages « internationaux ». Ces programmes d’encadrement, surtout lorsqu’ils sont assortis d’une aide financière, s’allient aux mesures politiques et aux dispositifs des établissements d’enseignement supérieur d’échanges d’étudiants pour participer à la construction sociale des carrières multispatiales intégrées.

Cela étant dit, les observations réalisées tout au long de ce travail nous conduisent à nous interroger plus avant sur ce qui semble actuellement se dessiner dans le paysage de la globalisation. Nous pouvons affirmer que le marché mondial de l’éducation est, à l’instar du marché économique, hiérarchisé en fonction des domaines d’expertise et de la notoriété des universités. Les États-Unis constituent aujourd’hui le pôle scientifique par excellence, bien que les vieilles universités françaises et anglaises conservent leur prestige historique et continuent d’attirer bon nombre d’étudiants étrangers respectivement inscrits dans les filières littéraires et économiques (Halary, 1994). À cet égard, rappelons que certains étudiants rencontrés au cours de cette recherche ont mobilisé les ressources nécessaires afin de s’inscrire directement auprès de l’établissement d’enseignement étranger de leur choix. Cette décision était motivée par la volonté de choisir en toute liberté un programme de formation parmi les mieux adaptés et une université parmi les plus reconnues dans leur champ d’expertise. Il apparaît également qu’à leurs yeux, l’expérience d’un séjour institutionnalisé d’études à l’étranger n’était pas investie du même capital symbolique que la réalisation complète d’un programme de formation à l’international.

Parallèlement à cette hiérarchisation des espaces éducatifs nationaux, nous savons que les pouvoirs publics s’attachent aujourd’hui à épandre et à densifier les canaux internationaux de circulations académiques. Cela a deux effets notoires. D’une part, les gouvernements occidentaux semblent se détourner de l’accueil traditionnel d’étudiants étrangers en provenance des pays en voie de développement au profit de la promotion des mobilités étudiantes internationales contrôlées par des ententes de réciprocité. D’autre part, les accords signés par les gouvernements et les établissements d’enseignement, s’ils constituent des opportunités institutionnelles dont se saisissent les étudiants pour réaliser leurs aspirations personnelles, académiques et professionnelles, deviennent dans certains cas une contrainte. Lorsque l’établissement d’enseignement ne possède pas d’ententes avec l’université ou le pays convoité par l’étudiant, ou encore lorsque les « places » disponibles en vertu de cette entente sont limitées, celui-ci, à moins qu’il ne dispose des ressources lui permettant de partir à l’étranger en tant qu’étudiant autonome, est alors forcé de reconduire son projet vers une autre destination.

Ainsi, dans les sociétés soumises à une institutionnalisation de la mobilité étudiante internationale comme celles que nous avons étudiées ici, se peut-il que la mobilité académique « en autonome » procède d’une stratégie de distinction sociale 251 ? De la sorte, les acteurs sociaux les mieux positionnés à l’échelle nationale seraient prêts à accroître les investissements dans leur formation afin de s’assurer un accès direct aux meilleures positions sur les marchés du travail. Cette réalité entraînerait une différenciation de la reconnaissance sociale des différentes formes de mobilité étudiante internationale, et par-là même leur hiérarchisation. Par ailleurs, de la même manière qu’il existe des espaces économiques hiérarchisés qui stimulent des mobilités « en cascade », ne sommes-nous pas en droit de penser que la structuration du marché éducatif international produit également des mobilités étudiantes en cascade? Ceux qui possèdent des ressources moins saillantes s’inscriraient dans les parcours institutionnalisés de la mobilité étudiante internationale et les étudiants qui disposent des volumes de capitaux les plus importants auraient le loisir de se diriger vers les espaces nationaux et les universités les plus reconnus. Pendant ce temps, les moins privilégiés de par leur position sociale et géographique initiale dans l’espace mondial tenteraient tant bien que mal de se frayer un chemin vers l’éducation supérieure. La mobilité internationale des étudiants implique des enjeux politiques, sociaux et économiques. Sachant qu’elle n’est jamais totalement indépendante des autres formes migratoires, il semble que l’institutionnalisation de la mobilité étudiante internationale, par la mise en place de circuits internationaux à plusieurs dimensions et à multiples niveaux, participe à la différenciation de la globalisation.

Notes
249.

« Ainsi, dans nos enquêtés, les « transnationaux » pour l’accession aux positions dominantes, s’opposent à la « noblesse d’État », aux dirigeants français dont la légitimité repose sur l’excellence scolaire et la consécration par les concours d’état. En France, il est remarquable de constater que la notoriété sociale est d’abord liée à l’enracinement de la famille sur le territoire tandis que les diplômes qui confèrent les positions dominantes ont longtemps été les diplômes nationaux » (Pierre, 2003b : 43). Cette opposition est également vérifiée dans l’étude menée par Wagner (1998).

250.

Cela a été souligné au cours de ce travail en recourant aux travaux, notamment, de Castells (2001) et Reich (1993).

251.

Chez Bourdieu, la distinction est une stratégie de différenciation qui est au cœur de la vie sociale. À partir de son exemple de l’explosion scolaire, nous comprenons que des mécanismes de « classement, déclassement et reclassement » sont à l’œuvre au sein de la société : « L’entrée dans la course et dans la concurrence pour le titre scolaire de fractions jusque-là faiblement utilisatrices de l’école a eu pour effet de contraindre les fractions de classe dont la reproduction étant assurée principalement ou exclusivement par l’école à intensifier leurs investissements pour maintenir la rareté relative de leurs titres et, corrélativement, leur position dans la structure des classes, le titre et le système scolaire qui le décerne devenant ainsi un des enjeux privilégiés d’une concurrence entre les classes qui engendre un accroissement général et continu de la demande d’éducation et une inflation des titres scolaires » (Bourdieu, 1978 : 3).