ANNEXE 4. LES RELATIONS CULTURELLES ET SCIENTIFIQUES HISTORIQUES ENTRE LE QUÉBEC ET LA FRANCE

L’importance occupée par la France dans le choix des lieux d’accueil des étudiants québécois peut en bonne partie s’expliquer par la communauté de langue, mais elle trouve une autre explication dans le fait que la France constitue l’un des premiers pays avec lequel le Québec a conclu des accords et des programmes conjoints de mobilité.

Si la constitution canadienne établit que l’éducation est du ressort des gouvernements provinciaux, elle réserve les relations internationales et les affaires extérieures au gouvernement fédéral. Or, que faire des activités internationales menées dans le domaine de l’éducation? Le croisement des domaines de l’éducation et des relations internationales laisse donc place à un flou politique que n’hésitera pas à investir, dans les années 60, la première personne à être ministre de l’Éducation du Québec, monsieur Paul Gérin-Lajoie.

Il faut rappeler que la création d’un ministère de l’Éducation dans la province de Québec correspond à l’arrivée au pouvoir du Parti libéral de Jean Lesage en 1960. Le Québec sort alors de quinze années de noirceur sous le règne de l’Union nationale de Maurice Duplessis et souhaite affirmer son identité québécoise, défendre les intérêts propres au Québec et surtout, promouvoir le changement (Linteau et al., 1994 : 366). Le ministre Gérin-Lajoie élabore alors une « doctrine » qui servira d’orientation non seulement à son Parti, mais aussi aux gouvernements provinciaux ultérieurs. Selon son principe, le Québec doit refuser toute ingérence du gouvernement fédéral dans les domaines de compétence qui lui sont décernés par la constitution canadienne, notamment dans le domaine de l’éducation, et sa politique extérieure peut et doit se fonder sur le prolongement international de ses compétences internes (Burignat, 1997 : 12). Or, le gouvernement fédéral ne l’entend pas ainsi puisqu’il voit en cela une atteinte directe à son autorité d’abord sur la scène nationale – étant donné qu’aucune autre province canadienne n’a prétendu, jusque-là, s’affirmer à l’étranger – mais aussi et surtout sur la scène internationale.

En dépit de ces guerres constitutionnelles, la province de Québec, qui dans les années 60 a besoin de ressources afin de développer un système d’éducation accessible à l’ensemble de la population, se tourne vers la France en qui elle trouve une réponse favorable, notamment en la personne du général de Gaulle (Burignat, 1997 : 1). C’est à partir de ce moment que la France vient en quelque sorte cautionner le souhait d’ouverture au monde manifesté par Québec : en 1964, la France et le Québec signent une entente sur un programme de coopération pour les stages d’ingénieurs et de techniciens; en 1965, les deux gouvernements signent l’entente sur la coopération culturelle franco-québécoise; trois ans plus tard, en 1968, les gouvernements français et québécois font de la jeunesse un outil de leurs politiques étrangères et diplomatiques, à l’image des principes sous-jacents à la fondation de l’Office franco-allemand pour la jeunesse quelques années auparavant, et créent l’Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ). Comme l’ouverture au monde du Québec émanait du haut, de la classe politique, on cherchait à créer une demande au sein de la population. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire du Québec, un pays offre à ce dernier une certaine reconnaissance politique. Encore aujourd’hui, il est admis que la France est le seul pays qui offre au Québec un statut quasi diplomatique 256 .

À ses débuts, l’OFQJ avait pour mission de sensibiliser les deux jeunesses à l’existence de l’autre. Pour ce faire, il organisait des stages de groupes sur des thèmes spécialisés. Il s’adressait plus particulièrement à des jeunes cadres, professionnels et étudiants âgés entre 15 et 30 ans. Depuis, l’organisme s’est adapté aux réalités de la conjoncture économique. Avec la crise économique qui persiste dans les années 80 et qui affecte particulièrement l’insertion professionnelle des jeunes, l’OFQJ passe d’un instrument d’échanges entre la France et le Québec à un moyen de favoriser l’implication des jeunes dans le développement de leur collectivité. Il s’adresse moins à de jeunes cadres qu’à de jeunes stagiaires capables de faire bénéficier leur société d’origine de l’expérience acquise à l’étranger. En d’autres termes, l’objectif qui consistait à la connaissance mutuelle de l’Autre, bien qu’il demeure toujours l’une des visées de l’OFQJ, cède peu à peu sa place à celui de la formation et de l’insertion en emploi. D’ailleurs, les échanges se font moins en groupes, comme c’était la norme au début, et davantage sur une base individuelle. Enfin, depuis 1993 l’OFQJ opère un autre virage et se veut le vecteur de l’intégration sociale des jeunes. D’une conception plutôt élitiste de sa mission, il dirige désormais davantage d’actions à l’endroit des jeunes publics marginaux, c’est-à-dire qui ne sont pas en situation d’emploi ni étudiants.

Néanmoins, parmi les cinq programmes de la section québécoise de l’OFQJ se trouve le Programme d’études collégiales et universitaires en France (PECUF), lequel s’adresse directement au étudiants québécois désireux de poursuivre une partie de leurs études en France. Les effectifs d’étudiants québécois participants à l’OFQJ dans le cadre de leurs études sont en augmentation, passant de 264 participants en 1997 à 400 participants en 1999 et 580 en 2001, avant de connaître un léger recul en 2002 avec 563 participants 257 .

Parallèlement à ces échanges entre les jeunesses québécoise et française, la nécessité de coordonner plus étroitement les recherches universitaires effectuées en France et au Québec, jusqu'alors plutôt dispersées, et de favoriser les recherches conjointes, se fait sentir. En 1984, c’est au tour du Centre interuniversitaire de coopération franco-québécoise de voir le jour (Goy, 2004 : 11). La principale mission du centre est de « stimuler les échanges universitaires, impulser de nouvelles coopérations, définir les axes de développement et diffuser de l’information sur les divers programmes et mécanismes de la mobilité » (Monière, 2004a : 17). Alors que le CCIFQ, depuis sa création, n’avait qu’un seul bureau à Paris, en 2003 il s’est doté d’un représentant français auprès des universités québécoises dont le bureau est installé à l’Université du Québec à Montréal.

En 1996, la CREPUQ, le CPU (Conférence des Présidents d’Universités) et le CDEFI (Conférence des Directeurs d’Écoles et Formations d’Ingénieurs) signent l’entente sur la Convention-cadre de cotutelle de thèse. Les étudiants québécois et français peuvent désormais préparer une thèse de doctorat sous la direction d’un directeur en France et d’un directeur au Québec et ainsi obtenir, sous condition de l’acceptation du jury de thèse, le double grade de docteur et de Ph.D.

Si nous résumons l’histoire des mobilités étudiantes entre la France et le Québec, il semblerait que durant les années 70, environ 5 000 Québécois partaient chaque année réaliser des études supérieures en France alors que le phénomène inverse se vérifiait beaucoup plus rarement. Cela était causé par l’offre alors faible en programmes de doctorat dans les universités québécoises et par de généreuses bourses offertes aux étudiants québécois par la France. En revanche, les Français étaient peu nombreux à se diriger vers les universités du Québec, non seulement parce que les universités québécoises n’étaient encore qu’à leurs débuts mais aussi en raison de la force du dollar canadien et de l’absence de bourses destinées aux étudiants français.

Cependant, dès la décennie 80, la tendance s’inverse progressivement. Alors qu’en 1984, la CREPUQ dénombre deux Québécois en partance vers la France et deux Français en partance vers le Québec, les nombres tendent à se distancier au fil des années. En 1990, ils sont 231 Français à se diriger vers la province pendant que 98 Québécois vont en France; en 1995, l’écart se creuse avec 931 étudiants français au Québec et 188 étudiants québécois en France; en 2000, ils sont désormais 1 299 étudiants à partir de la France en direction du Québec alors que 153 Québécois se destinent vers un établissement d’enseignement français. Selon le CCIFQ, si on ajoute des mobilités individuelles aux étudiants bénéficiant d’un accord de la CREPUQ, il y aurait 4 107 Français au Québec en 2000 comparativement à 554 Québécois en France; en 2001, ils seraient 4 690 Français au Québec et 715 Québécois en France; en 2002, enfin, presque 5 000 Français étudieraient au Québec (Monière, 2004a : 32). L’information sur l’ensemble des étudiants québécois en France est difficile à obtenir puisque le ministère français de l’Éducation nationale, de la recherche et de la technologie amasse effectivement des statistiques relatives à la nationalité des étudiants présents sur son territoire, mais pas sur leur adresse ou leur province d’origine (CCIFQ, 2000 : 89).

Les flux des étudiants français vers le Québec auraient atteint, en trente ans, la même importance que celle que détenait les Québécois étudiant en France dans les années 70. Si on peu estimer à un peu plus de 700 le nombre de Québécois étudiant actuellement en France et à environ 5000 le nombre d’étudiants Français au Québec, cet écart à première vue démesuré est à relativiser eu égard aux populations étudiantes respectives des deux sociétés. En termes proportionnels, 0,39% des étudiants québécois choisiraient d’aller effectuer leurs études ou une partie de leurs études en France alors que 0,2% des étudiants français choisiraient de partir au Québec (Monière, 2004b : 3). Néanmoins, force est de constater l’affaiblissement, depuis les années 70, de la popularité des établissements d’enseignement français auprès des étudiants québécois.

Notes
256.

Extrait d’un entretien mené avec un représentant du ministère de l’Éducation du Québec.

257.

Source : Bilans des activités (1997, 1999, 2001, 2002) de l’Office franco-québécois pour la jeunesse.