Deuxième partie : du kourban au sacrifice

La deuxième partie, composée de trois chapitres, est consacrée à l’analyse du kourban comme forme sacrificielle. Partant de la description du kourban en différents contextes, nous nous pencherons sur sa définition normative comme sacrifice sanglant. Nous traiterons de la mise à mort proprement dite, de la notion de santé (zdravé), du rapport aux animaux, des pratiques commensales, des dynamiques d’échange et de don. Le kourban nous semble constituer un opérateur de transformation, servant à articuler des passages d’un état à un autre, à lier lieu de culte et lieu de vie, à susciter la rencontre du particulier et du commun, du privé et du public.

Le sacrifice constitue notamment un discours spécifique sur l’alimentation : la manipulation du vivant et sa transformation en nourriture est un problème moral et religieux, notamment en islam où la maîtrise des comportements alimentaires constitue « une condition stratégique du salut parce que ce dernier exige la soumission des appétits physiques et des passions » (Benkheira, 2000 : 29). Mais c’est aussi le cas dans le champ chrétien oriental : « la consommation de viande, exceptionnelle en milieu rural, était et est encore souvent associée à un acte sacrificiel, pratiqué tant par les Grecs de Grèce (kurbania) que par les Arméniens de Turquie (madagh) » (Saunier-Leroy, 2001 : 495).

La construction d’un objet ethnologique est en même temps l’élaboration et la réélaboration d’un champ anthropologique. Il s’agira, en saisissant la configuration rituelle étudiée, le kourban, de reconsidérer la notion de sacrifice, un objet de référence de l’anthropologie du religieux. Dans ses relations avec le religieux et le rituel, dans les problématiques du don et de l’échange, et de manière diffuse sur de multiples terrains contemporains (concernant le rapport aux animaux, à la violence, à l’alimentation), le sacrifice est simultanément une thématique, un outil descriptif, un concept.

Nous tenterons de comprendre comment le kourban reflète des conceptions à la fois proches et différentes du sacrifice, entre islam et christianisme : nous verrons que, par son biais, se constituent des figures de l’autre religieux, social et culturel. Par ailleurs, le sacrifice constitue une manipulation de deux notions qui nous semblent centrales pour appréhender ce passage du vif au votif et au nutritif que représente le kourban : celle d’intégrité et celle de transformation. Enfin, nous développerons l’hypothèse que le sacrifice occuperait une place intermédiaire, transitoire voire transitive, entre ces deux modalités de la relation, ces deux paradigmes du social que sont le don et l’échange.