Troisième partie : du rituel au culturel

Un chapitre final nous conduira de l’ethnologie du rituel à une anthropologie des Balkans. Nous ferons retour sur notre questionnement initial : quel rapport entretient le kourban avec cette qualification culturelle problématique, la « balkanité » ? La revendication assez large (dans le champ savant comme dans le discours public) d’un multiculturalisme qui ne vaut pas abolition des distances, ouvre une réflexion sur une représentation positivée et renégociée de cette « balkanité », à défaut d’en sortir. Elle consiste à convertir les stéréotypes négatifs, qui voient dans les Balkans une Europe souillée par l’orientalisme, en une vision positive de la diversité culturelle et confessionnelle balkanique, formulée comme une valeur.

Par les discours de la coexistence, en partie produits pour un usage politique, un lien se noue entre « exotique » et « familier », mais aussi entre anthropologie « native » et anthropologie « globale ». La notion de coexistence en Bulgarie serait une catégorie négociée de l’anthropologie balkanique, collant au contexte social et politique global d’un pays en « transition », en phase de redéfinition de sa place dans le monde contemporain. La balkanité effectue ainsi, en un sens, son entrée sur la scène mondialisée de l’interculturel, signe d’un changement des contextes dans lesquels s’élaborent aujourd’hui les conceptions du soi et de l’autre.

Dans la conclusion, nous nous interrogeons sur les enjeux anthropologiques de ce travail. Les pays balkaniques post-communistes et « pré-européens », tant la perspective de l’adhésion à la Communauté Européenne conditionne leur histoire actuelle, et même s’il y a quelque ironie à les situer en attendant comme en dehors de l’Europe, sont un lieu d’expérimentation d’une anthropologie multi-échelles, « ni familière, ni exotique » (Herzfeld, 1987), attentive aux regards croisés, en miroir, entre ethnologies « natives » et « globales » ou en l’occurrence « européennes » (Vâltchinova, 1998b). Programme anthropologique qui passe par une mise en perspective critique de l’unité de l’objet, par le maintien d’un équilibre entre ces deux tentations complémentaires que sont l’identité et l’altérité, et en montrant à l’œuvre, dans le récit que l’ethnologie fait d’elle-même, ce travail de différentes échelles d’expérience, d’observation, d’analyse.