2) Loger la différence : pluriconfessionnalité n’est pas
transconfessionnalité

Une (re)construction anthropologique

Bien que les récits de voyage et les observations ethnographiques ne relèvent pas des mêmes objets ni des mêmes discours, on peut souligner que l’intérêt pour le kourban dans le contexte balkanique est somme toute à la fois ancien et récent, puisqu’il apparaît fréquemment dans les descriptions des sociétés balkaniques de l’époque ottomane, et fait l’objet depuis une vingtaine d’années d’un certain nombre de travaux. On peut esquisser quelques pistes concernant l’intérêt « balkanique » pour ce genre de rituel : il s’agit d’aborder le contemporain par la mise en lumière, sinon la valorisation de certains éléments de la tradition : ainsi, le kourban musulman devient-il une clé de lecture des traditions, et donc des populations musulmanes en Bulgarie et dans les Balkans (Blagoev, 2004).

Par ailleurs, dans la mesure où on s’intéresse à des ensembles pratico-rituels et à des matrices de sens communes à plusieurs religions (par exemple le mythe d’Abraham), le débat est généralement situé sur un plan inter-confessionnel, inter-religieux, voire inter-culturel. La question des relations entre communautés est immanquablement posée et le kourban devient l’un des multiples exemples des croisements pratico-rituels, des influences communes et réciproques de ces communautés et des ces confessions.

Par ailleurs, il s’agit de présenter une ethnographie du soi et de l’autre, où apparaît le jeu de la distance et de la proximité aux objets construits, entre une ethnologie at home et une anthropologie du religieux à visée « universelle ». Par le comparatisme, l’emploi de méthodologies diverses et le recours à des questionnements thématiques, c’est une manière de faire participer une ethnologie de et dans les Balkans à un cadre scientifique élargi, qui témoigne de l’ouverture du champ anthropologique à des influences nouvelles. Ce nouvel intérêt pour une pratique comme le kourban peut semble-t-il être compris dans le cadre d’un renouvellement des perspectives anthropologiques : tout en ne relevant d’une perspective d’anthropologie du religieux proprement dite, des travaux portant sur l’usage social et politique de tels rituels (Petrov, 1997 ; Bochew, 2002b, 2002c) s’inscrivent dans ce renouvellement. Le présent travail se veut une lecture à plusieurs échelles de ce « genre rituel », à la fois en tant que situation rituelle contemporaine et construction sociale.