Les danses se pratiquent individuellement, mais en groupe, c’est-à-dire que les danseurs évoluent seuls, côte à côte. Très éloignées en cela du horo, les rondes qui sont l’ordinaire des fêtes en Bulgarie comme en Grèce, elles évoqueraient davantage les pratiques des derviches tourneurs : le danseur tourne souvent sur lui-même, décrit des virages, des circonvolutions qui le mènent d’un bout de la pièce à l’autre, les yeux fermés, très longtemps, dans une atmosphère confinée, le konak, et jusqu’à atteindre un « sommet » psychologique et physique marqué par l’entrée dans des « états de conscience modifiée ». Il peut dès lors se livrer aux pratiques de marche sur le feu. L’accession à cet état second, qui est aussi le moment où le saint « prend possession » du danseur, est présenté comme un épuisement libérateur et purificateur ; la fatigue, la tension, voire la souffrance mentales et physiques, lors desquelles il est peu à peu « investi » par le saint, préparent le danseur, physiquement et spirituellement purifié, à surmonter l’épreuve du feu « grâce à la puissance du saint » (Danforth, 1989 : 100).
Danforth (1989) interprète le culte comme un opérateur des relations intrafamiliales et intracommunautaires, notamment lorsque des femmes mariées à des habitants du village parviennent à intégrer la communauté en devenant anasténarisses. L’importance locale du rituel influe sur la relation que ces « pièces rapportées » vont nouer avec lui, et avec la communauté par son intermédiaire. Le récit mythique du voyage de Constantin symbolise la femme nouvelle-venue aux prises avec sa belle-mère : cette dernière maltraite sa bru en l’absence du fils et celui-ci tue sa mère à la fin. Mise en récit métaphorique de l’alliance et des problèmes que pose la virilocalité, les Anasténaria seraient un mode de résolution des conflits potentiels générés par l’alliance, notamment l’arrivée d’une femme extérieure dans le giron familial, et son acceptation par sa belle-mère.
Expression des « relations de genre », de leurs conflits et de la résolution symbolique de ceux-ci, le rituel rend aussi possibles aux femmes des comportements et des positions inhabituelles parce qu’elles sont « chevauchées » par le saint, voire « mariées » à lui : ce n’est pas elles, mais le saint qui danse. Par ailleurs, les anasténarides sont une « société » de guérison 235 par les danses sur le feu, et les caratéristiques de l’état d’anasténaris (possession, état de transe) entretiennent un lien avec la notion de maladie, voire de châtiment, faisant du rituel un système de reconnaissance de la déviance. S’il ne s’agit pas de maladie au sens physiologique, on dit souffrir d’anasténaria, avec des symptômes tels que la mélancolie, le soupir, l’altération du comportement : on n’est pas malade, mais on « souffre du saint » (Danforth, 1991) 236 .
Les icônes miraculeuses sont gardées à la maison de l’archianasténaris, et sorties pour être promenées lors des processions et des danses. Ce n’est pas l’icône qui appartient à l’archianasténaris, c’est l’archianasténaris qui appartient à l’icône et à ce titre doit lui accorder l’hospitalité, la protéger en la logeant. Le religieux se manifeste par une appartenance réciproque : la communauté sanctionnée par une élection extatique a autant propriété spirituelle sur les icônes que inverse. La dimension familiale est également très souvent présente dans la représentation des relations au divin : le Christ est un mari, Marie est une mère, Héléna et Constantin sont des « papoudes » (grands-parents, Camberoque, 1995) 237 .
Le vœu religieux s’exprime souvent sous forme de liens de filiation ou de mariage : les anasténarides sont des enfants ou des soldats de Constantin (o papous) ou bien le saint est conçu comme mari. D’autres termes d’adresse tels qu’afendiko (patron) ou nikokiris (chef de famille) attestent de cette personnification. Dans cet ordre d’idée, la notion d’appartenance familiale est à prendre en considération : l’interprétation selon laquelle les Anasténaria sont une métaphore de la relation conjugale, et notamment de l’acceptation de la femme étrangère par la famille du mari (Danforth, 1989), peut être rapportée à une trame plus générale qui fait jouer, dans la ritualité populaire, tous les registres des relations de parenté et d’alliance.
Ils peuvent aussi danser à la demande, pour guérir des gens, ce qui évoque la confrérie masculine des calusari, connue en Roumanie et dans les régions du nord de la Bulgarie comportant des populations roumanophones (Kligman, 1977). On danse avec des foulards de couleur rouge, dotée d’une vertu thérapeutique. Selon Danforth, les danses des anasténaridès, symbolisant l’union de l’anasténaris et du saint, sont comparables à celles du mariage.
On assimile parfois cet état à des maladies nerveuses : chorée – nevrika en grec. Par ailleurs, on trouve fréquemment l’interprétation de la maladie comme rencontre avec des êtres surnaturels féminins, qui rendent fou, soumettent la personne à un « vent de folie » (Mesnil).
De même que les saints hiérarques (Séraïdari, 2001).