Le kolatch : entre abattage et sacrifice

Les explications du sacrifice données par ses pratiquants ne renvoient pas à des motifs strictement religieux : on parle plutôt d’un rituel « pour la santé » (za zdravé) ; on dit, pour justifier le versement prolongé du sang, qu’il faut laisser l’animal mourir tranquillement ; on renvoie l’acte de l’égorgeur, et les jugements sur sa qualité, à un savoir-faire technique davantage que religieux. L’égorgeur n’est pas un prêtre ni même un « homme de religion », mais un maïstor, un expert ou un maître dans l’acception artisanale du mot. Les termes d’usage indiquent l’accent technique mis sur l’acte sacrificiel : le terme kolatch (égorgeur, abatteur, « tueur de bétail dans un abattoir », Yaranov, 1991) est le plus souvent employé pour désigner ces hommes, également qualifiés de maïstori (« maîtres », dans le sens de spécialistes). Alors que kolatch et maïstor portent l’idée d’un savoir-faire, d’un métier, le terme jretz (sacrificateur), plus savant et renvoyant explicitement à une fonction cérémonielle, n’est quant à lui jamais utilisé.

Le kolatch se situe ainsi entre le sacrificateur et l’abatteur professionnel : sa compétence consiste à maîtriser la proximité à la mort animale, une situation où « la distinction entre “souillé” et “propre” est réduite à sa plus simple expression », où « la mise à mort n’est pas (...) matériellement séparée de la dépouille et celle-ci n’est pas, comme dans la chaîne industrielle, morcelée entre plusieurs postes de travail » (Vialles, 1992 : 134-135). La mise à mort n’est pas plus au centre du kourban que la distribution, la bénédiction ou la promesse : toutes ces opérations se recouvrent mutuellement et contextualisent le moment de la mise à mort. On n’a pas besoin de s’entourer de précautions rituelles à ce moment précis, puisqu’il n’est qu’une des étapes d’un dispositif socioreligieux plus vaste. Bien que l’acte soit accompli avec sérieux et intensité, comme une mise à l’épreuve de compétences, les kourbandjii ne craignent pas que le rituel échoue ni ne ressentent leur activité comme potentiellement dangereuse ; la mise à mort est insérée dans un processus technico-rituel où priment la compétence et la reconnaissance sociale. Le soin qu’ils mettent à cet acte (qui n’exclut pas une certaine forme de brutalité pouvant agir dans le sens d’une dédramatisation de la mise à mort) et leurs qualités en la matière, reconnues par le groupe, suffisent à gérer cette dimension rituelle, en l’absence de prescriptions religieuses explicites.