Le choix des animaux est un point important : il n’est pas indifférent de promettre le sacrifice d’une vache, d’une brebis, ou d’une poule. Chaque animal peut être crédité d’une valeur à la fois matérielle (financière entre autres) et symbolique qui l’identifie en tant qu’offrande ; ceci dit, il ne s’agit pas ici de brosser l’éventail des offrandes en kourban, mais de cerner les traits de la victime. Certains animaux, comme le porc ou le cheval, sont proscrits du kourban ; les caprins (chèvre, chevreau, bouc), parfois déconsidérés en fonction de représentations négatives, ne sont pas exclus des animaux sacrifiables.
On trouvera principalement dans la liste des victimes préférentielles des mammifères herbivores domestiqués et vivant en troupeau : bovins (veau, vache, bœuf, taureau) ou ovins (brebis, mouton, agneau), ces derniers constituant l’animal par excellence du kourban, qu’il soit public ou privé. Ainsi que le disait un prêtre de Samokov, otetz Emil, le choix de l’animal n’obéit pas à des règles stipulées mais puise dans diverses sources canoniques : le fait de ne pas égorger des animaux dont les sabots ne sont pas fendus, ou la surreprésentation de l’agneau comme victime font référence à des symboles bibliques.
Les animaux exclus du sacrifice et de la consommation (« tout animal qui a le sabot fourchu, fendu en deux ongles et qui rumine, vous pourrez le manger », Lévitique, III, A-11) sont également peu attestés pour le kourban : l’animal sur lequel porte l’interdit le plus explicite est certainement le porc (qui selon les critères du Lévitique est exclu car il a le sabot fourchu et fendu mais ne rumine pas). La mise à mort du cochon n’est jamais assimilée à un kourban, et il arrive que l’on décrive le kourban par contraste avec l’abattage du porc, en insistant sur le fait que « le kourban est obligatoirement un mouton » ou en faisant remarquer la différence des régimes saisonniers (on tue le cochon en hiver, on sacrifie l’agneau au printemps). On prend soin de noter que « pour les morts, un kourban est généralement égorgé – agneau, mouton, bœuf – dans les périodes grasses, poisson – au moment du jeûne, mais jamais un porc, et l’on n’utilise pas non plus de la viande de porc » (Vakarelski, 1974 : 588).
Le choix des animaux correspond à des critères de qualité physique et de présentation esthétique, à la fois lâches et récurrents, métaphoriques et allusifs à défaut d’être normatifs. On explique qu’il faut prendre « une brebis “entière”, sans défaut, et que l’on choisit comme s’il s’agissait d’une jeune mariée : jeune, belle et grosse ». La métaphore virginale et maritale est fréquente, qu’il s’agisse de l’onction au henné du Kourban Baïram (Blagoev, 1999), ou du kourban des Anasténaria : « le taureau sacré était amené richement paré de fleurs et de rubans, “comme une jeune épousée” » (Romaios, 1949 : 22).
De même, « la fière beauté de l’agneau est comparée à celle de la fiancée le jour de son mariage. Ces séries complexes d’images relient la jeune épouse, l’agneau sacrificiel et la nouvelle anasténarissa » (Danforth, 1989 : 90) 316 . Davantage que des qualités intrinsèques de l’animal, cette comparaison indique son insertion par le sacrifice dans l’ordre social et rituel : le mode de socialisation par lequel il se voit attribuer un statut symbolique comparable à celui d’une jeune mariée est métaphorique et pas normatif 317 .
Des considérations concrètes interviennent dans le choix de l’animal. Pour un kourban comme celui de l’Assomption, on choisira, d’après un habitant de Govedartzi, « une brebis grasse, âgée de trois à cinq ans, en bonne forme, et ayant enfanté » ; il ajoute que l’on choisit « pour le bien de la maison ». Si la victime doit être parfaite, on aura aussi tendance à sacrifier une brebis stérile parce qu’elle ne représente pas un capital animalier à long terme et revient moins cher à l’achat : un habitant de Raduil estime qu’« égorger une brebis féconde, c’est un crime. Il faut la traire ». On dit par ailleurs qu’une brebis stérile n’ayant pas allaité est plus grasse et meilleure : des bergers interrogés confirment que ces brebis sans enfants, qui gagnent en goût ce qu’elles perdent en fécondité, sont appréciées pour le kourban. Deux avantages semblent se conjuguer : d’une part on valorise la supériorité gustative, d’autre part, on destine au sacrifice des animaux déjà à part car inutiles d’un point de vue domestique.
Sans tomber dans l’utilitarisme, on constate une économie du choix de l’animal, qui prend en compte des critères qualitatifs, financiers, esthétiques, opportunistes : le sacrifice constitue un équilibrage entre l’investissement du sacrifiant et l’honneur que l’on désire rendre au saint célébré. Il est rare qu’une vache soit sacrifiée, d’autant plus que les comités comptent souvent sur les dons privés. Or, lorsqu’un animal est ainsi offert à titre personnel (célébration du saint dont on porte le nom, commémoration d’un événement...) pour le grand kourban, il s’agit généralement d’un ovin, plus abordable financièrement, et parce que beaucoup de particuliers possèdent un petit cheptel personnel dont ils offrent alors une bête. Ces donateurs prennent gratuitement du kourban auquel ils ont offert, et obtiennent parfois la tête de l’animal (comme à Govedartzi pour la saint Georges).
« The proud beauty of the lamb [is] compared to that of a bride on her wedding day. This complex series of images links the young bride, the sacrificial lamb and the new Anastenarissa ».
Ainsi, le principe de substitution, caractéristique du sacrifice comme opération de transformation, ne joue pas uniquement sur l’offrande, mais sur sa signification : c’est l’usage du comme qui permet de dessiner la scène imaginaire dans laquelle le sacrifice prend place comme opération substitutive, enchaînant les propositions : la victime comme une jeune mariée, le mariage comme sacrifice, etc. Cette langue imaginaire occupe les interstices du langage symbolique, comme une poésie prend forme dans une grammaire.