III Nourriture terrestre, nourriture céleste

1) La cuisine : socialiser pour incorporer

La cuisson comme passage

Notre appréhension du kourban s’appuie entre autres sur l’idée qu’il constitue un rituel en partage, mais aussi un opérateur de distinction, entre traditions chrétienne et musulmane. Il ne s’agit pas seulement de comparer des pratiques mais de saisir en quoi, dans un même genre rituel, ces pratiques s’entrecroisent, se rapprochent et se distinguent. Si, pour expliciter la mise à mort, nous avons eu recours à la tradition sacrificielle musulmane, nous mobiliserons principalement la tradition chrétienne pour appréhender la dimension commensale. Le kourban est un rite alimentaire : son produit concret est la chair et les différentes préparations culinaires auxquelles elle donne lieu ; son accomplissement consiste en repas et actes communiels.

C’est par une chaîne globale d’opérations incluant l’être vivant, le sacrifice, le partage et la consommation 341 , que s’accomplit le passage du naturel au spirituel, le problème central étant : comment faire du vivant une nourriture ? L’articulation de toutes ces phases réalise l’équilibre entre vif, nutritif et votif. Alors que dans le kourban musulman, le sacrifice est la forme licite de l’accès aux chairs, la sanction religieuse du kourban chrétien est une « bénédiction d’un repas de fête » 342 . Ainsi, « le papas bénit la nourriture à partir de formules contenues dans des livres liturgiques. Des prières “pour le sacrifice d’un bœuf” existent dans les manuscrits byzantins à partir du VIIIème siècle » (Papamanoli-Guest, 1991 : 98). L’inscription chrétienne du kourban s’effectue clairement dans et par le champ communiel.

Le rapport à la nourriture sert d’interface entre le domaine privé et le domaine public, tout comme il peut relever simultanément du liturgique et du festif. Les modalités de sa consommation en témoignent : elle prend place à la fin, hors de l’église proprement dite (dans la cour), lorsque l’intensité religieuse de la bénédiction s’abaisse, laissant place à une rencontre collective joyeuse. D’autre part, la participation sous forme de nourritures offertes constitue une forme d’expression personnalisée d’une foi représentée par le mets culinaire préparé à la maison et mis en commun. Le rapport sacralisé à la nourriture et sa conversion en objet rituel, peuvent être compris en regard des relations qui lient l’église à la maison, le collectif et le privé, l’intime et le communiel : dans le plat partagé s’effectue la transition d’un ordre à l’autre, et les relations entre les deux.

Le produit alimentaire du rituel existe précisément en vue de l’échange, de la consommation, de la distribution. La cuisson, passage de la nature à la culture (Lévi-Strauss, 1964), est également passage au pur et au consommable (Détienne et Vernant, 1979 ; Malamoud, 1989). La cuisine marque le passage de l’animal à la nourriture, et en cela elle constitue le travail du kourban sur la promesse, sa transformation en produit disponible pour l’homme. La cuisson du monde signale l’artefact, la fiction du monde. Le sacrifice est ainsi censé incarner dans la victime le processus fondamental du passage de la mort à la vie et de la vie à la mort : donnant sens à la mort, il donne également sens à la vie. La cuisson est une gestation, et la gestation une cuisson. Cette homologie du ventre et du four, de la gestation et de la cuisson, présente dans l’hindouisme (Malamoud, 1989), est également répandue dans les Balkans (Brouskou, 1988).

De nombreux rituels utilisent le four comme opérateur de la « renaissance » d’un enfant qui devient par là conforme à la maisonnée : le four serait un second ventre qui transforme l’enfant, et souvent le divinise lorsqu’il est offert en kourban et assimilé à une offrande pascale. Avant d’accéder au statut d’individu, l’enfant est un produit de la maisonnée, et à ce titre inséré dans une économie ; lorsque des déséquilibres se font jour (stérilité, enfants morts-nés), il faut les corriger rituellement. La première socialisation de l’enfant consiste ainsi à le transformer pour le maîtriser, sous peine qu’il mette en danger la maisonnée. C’est le cas lorsqu’on l’accuse d’adelphophagie : un enfant unique est soupçonné d’avoir mangé ses frères et sœurs, et il faut le mettre au four pour enrayer son instinct de dévoration (Brouskou, 1988).

Initialement, l’enfant est un être indéterminé que l’on façonne, mais que l’on peut aussi promettre, échanger, donner, voire vendre : « en cas de stérilité, on promet à Dieu l’enfant espéré ; en cas de maladie, on le lui promet pour qu’il guérisse ». Les promesses impliquant des enfants les mettent toujours dans la position d’une offrande, dont l’une des formes consiste à laisser l’enfant au service d’une église : « l’enfant qui subit ce rituel se trouve ainsi assimilé à un animal domestique marqué (clochette) ».

L’assimilation de l’enfant à l’agneau peut prendre un tour encore plus explicitement sacrificiel : « dans une autre forme de vœu le père, pour que le saint le guérisse, promet d’égorger un animal, le plus souvent un agneau, le jour de la fête du saint ; il s’agit d’un animal précisément désigné qui ne peut être remplacé par un autre, même plus valorisé. La bête, marquée, circule librement dans le village, soignée par tout le monde (...). Elle sera sacrifiée le jour de la fête du saint et sa chair consommée lors d’un repas commun. L’animal est dit kourbani “don”. Cette substitution évite ainsi d’engager l’enfant lui-même dans un contrat avec Dieu : le père “fait des sacrifices” pour garder son enfant » (Brouskou, 1988 : 83-84).

On raconte souvent qu’un étranger pauvre se présente dans une maison et manifeste le désir que l’enfant du foyer lui soit présenté en guise de nourriture : l’hôte, dénommé Abraham, ne pouvant se dérober aux lois de l’hospitalité, s’exécute, immole l’enfant puis le met au four. Mais lorsque l’on ouvre le four, on découvre l’enfant sain et sauf, rayonnant d’une lumière dorée, couronné et muni de différents attributs (une pomme d’or, un livre, un sabre...). En filant toutes les métaphores du récit, on peut y voir en condensé et par analogie l’Annonciation, la Nativité, la Passion, la Résurrection et la Transfiguration, le tout sur une trame « abrahamique ». La cuisson de l’enfant suggère ici que l’enfant renaît magnifié par son sacrifice 343 .

Mary Douglas cite un article éloquent consacré à la nourriture rituelle en Inde : « dès qu’un homme se sert d’un objet, celui-ci devient une partie de lui, et participe de lui. L’appropriation est beaucoup plus intime dans le cas des aliments. L’appropriation précède l’absorption, elle accompagne la cuisson. La cuisson implique l’appropriation totale de l’aliment par les membres de la famille. On dirait presque qu’avant d’être “absorbé intérieurement” par l’individu, l’aliment a été prédigéré collectivement par la cuisson. On ne peut partager les aliments préparés par autrui sans partager la nature d’autrui. C’est là un des aspects du problème. L’autre est que les aliments cuits sont extrêmement perméables à la pollution » (2001 : 141-142).

Le mode de cuisson indique le type de prestation sociale et sacrale à laquelle on se livre : au sein des catégories culinaires, le bouilli s’oppose au rôti comme le cuit s’oppose au cru (Lévi-Strauss, 1964). « Contrairement à l’agneau pascal qui, à l’instar des sacrifices de l’Antiquité, est grillé à la broche, le veau entier [le « veau communautaire » offert à saint Charalambos], y compris le gras, sera coupé en morceaux, mélangé à du blé et bouilli toute la nuit dans d’énormes chaudrons » (Papamanoli-Guest, 1991 : 98). La distinction entre sacrifice privé, familial et sacrifice public, collectif, apparaît ainsi dans la cuisine sacrificielle, le rôti s’opposant au bouilli.

Le bouilli relève du collectif et d’une gestion publique des conduites alimentaires : le kourban collectif est réalisé avec beaucoup d’ingrédients débités en petits morceaux de taille sensiblement égale. Réduite à des parts de viande de même volume, coupées de la même manière, l’offrande n’est plus identifiable. Le bouilli est communautaire : il permet des portions égales d’une nourriture homogène, que l’adjonction d’eau dilue en unifiant. En revanche, le rôti (petcheno au four, tchevermé à la broche), de mise dans le kourban personnel, met en œuvre des conceptions privatives et exclusives : il n’accomplit pas cette compénétration alimentaire qui rend le bouilli plus homogène et sans aspérités pouvant distinguer les parties entre elles et surtout conserve l’animal entier. De bout en bout, il s’agit de conserver à l’offrande son intégrité. Enfin, il ne se donne pas de la même manière que la tchorba, distribuée à la communauté réunie par des représentants de la communauté villageoise : il est apporté par une personne ou une famille.

Désignant un espace commensal collectif pour le premier, privatif pour le second, tchorba et petcheno ne relèvent ni de la même échelle sociale, ni du même genre de prestation. Entre les deux modes de cuisson, c’est déjà des rapports fluctuants et variables entre communauté et société qu’il s’agit, des limites qu’on assigne au soi et à l’autre, des pratiques d’inclusion et d’exclusion que permet la ritualité alimentaire. Nous avons vu d’autre part que le rapport entre le cru et le cuit peut être conçu en fonction de l’usage social, distributif et commensal des chairs sacrificielles.

La lisière entre le cru et le cuit est notamment saisie dans le cadre d’une réflexion sur l’échange et le don : selon qu’il est brut ou apprêté, mis en circulation ou consommé en commun, le produit du sacrifice peut autant servir à ménager les distances qu’à opérer la proximité. Là où le don de chair crue indique une sortie hors de la sphère rituelle d’une partie de son produit, la cuisine et la commensalité s’apparentent à un entre-soi au sein duquel on partage les mêmes valeurs par l’intermédiaire d’un même repas 344 . La cuisine comme élaboration se distingue de la chair comme objet de don.

Si « les aliments sont aussi des signes, qui déploient leur fonction communicative surtout pendant les fêtes » (d’Onofrio, 1998 : 203), une distinction peut être esquissée entre régimes alimentaires conventionnel et festif, quotidien et exceptionnel. C’est souvent dans le cadre cérémoniel que s’exprime la tradition culinaire : l’espace-temps de la conformité à la communauté, dont la réunion ponctuelle s’inscrit en rupture avec les temps dissociés et morcelés du quotidien, comme dans l’exemple des juifs d’Algérie (Bahloul, 1983). Les codes alimentaires sont significatifs des relations qu’entretient une communauté à sa propre ritualité, car ils renvoient à des prescriptions morales et religieuses contribuant à l’identifier autant qu’à la différencier : en ce sens, il est possible de parler d’« étiquettes alimentaires du soi et de l’autre » (Vâltchinova, 1998a). La portée classificatoire des usages alimentaires concerne les manières de cuisiner, de manger et leurs implications religieuses ou symboliques 345 .

Ces attributs, véritables critères culturels, incluent entre autres des considérations géographiques, économiques et morales, mais aussi techniques, lorsque par exemple « les auteurs classiques universalisent l’usage des boissons alcoolisés sur la base de céréales fermentées (...) et les attribuent exclusivement aux “barbares” » (Vâltchinova, 1998a : 13). Mais c’est aussi d’usages différenciés d’un même aliment que l’on tire des conclusions en termes d’identité ou d’altérité, recherchant des critères plus fins de différenciation, tels que la mesure ou la démesure : « la consommation de vin – encore plus sa consommation immodérée, est liée en principe avec le souverain thrace » (p.15) 346 .

La présentation et l’agencement des aliments, les postures et les comportements adoptés lors de la consommation, les significations sociales et culturelles qui circulent entre les mets, les convives et tous les événements qui ponctuent le repas indiquent ce que l’acte de manger veut dire dans des circonstances et pour des acteurs sociaux déterminés 347 . Autant de caractéristiques alimentaires de l’autre ou de l’altérité. La nourriture socialise, civilise, sexualise différemment : l’eau et le pain sont traditionnellement l’apanage des femmes, tandis que le vin et la viande sont celui des hommes (Herzfeld, 1985 : 126). Des chansons de haïduti font référence au repas par excellence : « petcheno agne i tcherveno vino (agneau rôti et vin rouge) » (Nenov, 1998 : 58), situant la viande et le vin du côté des hommes 348 .

Notes
341.

Jusqu’aux déchets qui, dotés d’une efficace rituelle, sont inclus dans cet espace-temps : ainsi, on dit qu’« il ne faut rien laisser du kourban », que « les os sont versés dans l’eau », « mis dans un trou » ou « jetés dans une fourmilière », invoquant à chaque fois des raisons circonstanciées (par exemple la fertilité : qu’il naisse autant d’animaux qu’il y a de fourmis).

342.

« Jésus-Christ notre Seigneur, regarde ces nourritures (ou ces animaux si vivants) et sanctifies-les comme tu as sanctifié le bélier que le fidèle Abraham t’as amené, et l’agneau qu’Abel t’a offert pour la fertilité, et comme tu as daigné leur donner satisfaction de ce qui a été sanctifié et béni par toi. Ainsi, que nous ayons satisfaction de tes dons (biens) parce que tu es la nourriture véritable et celui qui dispense les biens. Voilà pourquoi nous te glorifions avec ton Père sans début et le très saint, doux et vivifiant – ton Esprit, maintenant et toujours pour des siècles et des siècles, amen ». Prière dite par Otetz Kostadin, prêtre à Maritza (massif de Rila), traduction Bojidar Alexiev. Pour un repas de poisson, le début devient : « Jésus-Christ notre Seigneur, regarde ces plats de poisson et sanctifies-les comme tu as sanctifié les cinq pains et les deux poissons dont se sont rassasiés cinq mille hommes... » avant de poursuivre de la même manière.

343.

On en trouve des illustrations évidentes dans les chants traditionnels bulgares suivants, mis en évidence par Assia Popova :

« L'étoile brillante s'est levée, celle qui fait chanter les coqs et qui réveille les jeunes épouses. Ivantcho alors lui adressa une prière : Ma chère étoile brillante, je t'adresse ma prière que je demande de transmettre à Dieu. Demande au Seigneur qu'il m'accorde un enfançon mâle très désiré. L'étoile s'adressa à Dieu : Seigneur très cher, Seigneur, Ivan m'a demandé de te prier de lui donner un enfançon mâle chéri. Qu'il reste en vie pendant trois ans, ensuite il te le rendra, comme à un agneau de saint Georges il lui coupera la tête et le fera cuire au four. Le Seigneur consentit, lui donna de bon cœur l'enfant mâle si désiré. Stoïantcho grandit, grandit, il atteignit l'âge de 3 ans. Sa mère se mit à chauffer le four, ses larmes éteignaient le feu; son père se mit à aiguiser le couteau, le couteau mouillé de larmes se rouillait. Stoïantcho s'approcha de sa mère, à sa mère il demanda : Ma mère, ma chère mère, mon père aiguisait son couteau, son couteau se rouillait de larmes. Pourquoi son couteau se rouille? Stoïantcho s'approcha de son père, et il demanda à son père : - Père, mon vieux papa, maman allumait le four, ses larmes éteignaient le feu. Pourquoi le feu s'éteint ? Le père dit à Stoïantcho: Tu es obtenu de Dieu par prière, tu es promis au Seigneur. Nous couperons ta tête comme à un agneau de saint Georges. A peine il prononça ces paroles, que le ciel bleu s'est ouvert et Dieu fit descendre, fit suspendre trois escarpolettes, et dans la troisième il y avait un bélier de trois ans : pour qu'ils égorgent ce bélier.

Dans une autre variante chantée et dansée à Pâques, le héros dénommé Stoïan prie dieu de lui donner un enfant qu'il promet d'offrir en sacrifice à la Saint‑Georges:

Dieu entendit sa prière, saint Michel l'enregistra, Dieu lui donna un garçonnet, on l'appela Nikoltcho. Nikoltcho grandit, grandit, il dit "maman" et "papa". Le jour de la Saint‑Georges arriva, l'église de saint Georges. Sa mère se mit à allumer le four, son père se mit à aiguiser son couteau. Nikoltcho dit à son père : - Pourquoi ce couteau, mon père, tu veux faire des chaussures, ou bien tu veux m'égorger? Son père lui coupa la tête et le jeta au four. Lorsqu'on ouvrit le four, on vit Nikoltcho assis sur une chaise, il roulait une pomme d'or » (Popova, 1995 : 162-163).

344.

En revanche, des termes d’opposition tels que cru et cuit, qui indiquent le passage de la nature à la culture, semblent ne pas fonctionner dans le cas de l’hostie. A l’inverse des chairs animales, qu’il s‘agit de faire passer du vif au nutritif, la chair de Dieu ne se cuisine pas : la transsubstantiation la rend, non pas consommable au sens alimentaire, mais eucharistique, purement spirituelle.

345.

Dans l’Antiquité grecque, les Thraces et les Scythes sont régulièrement décrits comme « mangeurs de lait » (galaktofagoi) ou « buveurs de vin » (oinopotès), usages qui témoignent de la barbarie ou de la sauvagerie de ces non-grecs, i.e. non-civilisés (Vâltchinova, 1998a).

346.

Cela nous mène à considérer la question des « frontières alimentaires », de leur gestion et de leur franchissement. Plus l’écart sensible, patent ou objectif entre les « mangeurs » diminue, plus le besoin de recourir à des distinctions subtiles et variées se fait sentir : si entre l’homme et les herbivores, peu de points communs sont observables, l’écart diminue entre l’homme et les omnivores ; et au sein du genre humain, les distinctions varient selon de multiples critères d’éloignement ou de proximité : ainsi par exemple de l’anthropophagie (réelle ou symbolique), constante de l’accusation de « sauvagerie », de la consommation du vin ou du sang qui sépare les juifs et les musulmans des chrétiens, de l’observance ou la non-observance des prescriptions telles que consommer du poisson le vendredi, ou des régimes alimentaires variant dans les détails qui renvoient à des appartenances sociales plus ou moins définies, significatives, déterminées et déterminantes (ville ou village, région, classe sociale, etc.). Une échelle formelle, déclinable de multiples manières, dont les dérogations marquent autant d’écarts significatifs par rapport à des normes desquelles on s’affranchit plus ou moins : c’est le cas de ces confréries musulmanes hétérodoxes qui pratiquent la consommation rituelle d’alcool (Mikov, 1998). C’est aussi le cas des sectes qui, dans l’Antiquité, pratiquaient la dévoration ou, inversement, l’abstinence de tout aliment carné par opposition au régime sacrificiel officiel : les milieux orphiques et pythagoriciens, végétariens, d’un côté, le dionysisme prônant l’omophagie ou la dévoration d’un être vivant, de l’autre sont deux extrêmes qui « délimitent le système quant à ses interdits majeurs » (Détienne, 1979 : 13-17).

347.

En Occident, « au XVIIè siècle est apparu un interdit sur l’aliment touché par autrui. Cet interdit exprime non pas une distanciation par rapport à l’aliment [mais] par rapport aux autres convives. (...) Ainsi le couvert individuel élaboré au XVIIè siècle (...) traduit une distanciation des convives entre eux. Il est le signe d’une affirmation de l’individu par rapport au groupe » (Gourarier, 1986). « Le couvert individuel succède à la vaisselle collective de la même façon qu’à la comptabilité médiévale par feux succèdent les statistiques par individu » (Delumeau, cité par Gourarier, 1986 : 97-98).

348.

D’un côté comme de l’autre, il est renvoyé au modèle sacral du sang et de la chair : la transsubstantiation réalise d’un certain point de vue l’union des contraires ou des pôles, l’accord entre des plans de réalité dont la séparation ordonne le monde.