Un passage du sauvage au domestique ?

On a pu faire du sacrifice un opérateur de distinction entre des formes sociales différentes. La différence de statut (et de socialisation) de l’animal, entre le domestique et le sauvage, participerait d’une distinction plus large entre sociétés de chasseurs (non-sacrificielles) et sociétés d’éleveurs (sacrificielles) : « sacrifice et domestication animale entretiennent (…) un lien étroit » (Bonte, 1995 : 234) 467 . Cette différence de statut et de mise à mort de l’animal partagerait ces deux types de sociétés sur le plan du rapport à la propriété, l’inclusion ou l’exclusion de l’animal de la communauté humaine renvoyant à deux « usages du monde » : l’un dans les termes de la réciprocité (Sahlins, 1976), l’autre dans les termes de la propriété (Bonte, 1995).

Chaque « usage du monde » doit trouver sa légitimité : c’est souvent le religieux qui la lui fournit. Un raisonnement similaire permet alors de distinguer entre religions sans sacrifice et religions à sacrifice : « le sacrifice n’est pas une pratique universelle. Il existe des religions qui ne le pratiquent pas comme cela semble être le cas de nombreuses sociétés vivant principalement de la chasse et de la cueillette. (...) Ces chasseurs qui vivent de la chair, du sang, du corps des animaux sauvages s’efforcent d’entretenir des relations d’amitié respectueuse et de reconnaissance envers “les maîtres des animaux” et de ne tuer ceux-ci “qu’avec mesure”, pour leurs besoins. (...) Les religions à sacrifice sont les religions où les dieux dominent l’homme de toute leur puissance et s’en font craindre. Mais comme le souligne également Alain Testart, pour qu’il y ait sacrifice, il faut des victimes et celles-ci sont souvent soit des êtres humaines dépendants (captifs de guerre, enfants, femmes), soit des animaux, surtout domestiques » (Godelier, 1996 : 250-251).

Notes
467.

« Il semble bien que la notion de sacrifice animal émerge dans des sociétés qui pratiquent la domestication animale. (...) J’adhérerai volontiers à la thèse développée par Zempléni qui oppose l’idéologie du chamanisme partagée par de nombreuses sociétés de chasseurs-cueilleurs et les systèmes symboliques et rituels propres aux sociétés pratiquant le sacrifice animal. Sacrifice et domestication animale entretiennent quoiqu’il en soit un lien étroit » (Bonte, 1995 : 234).