Troisième partie : Du rituel au culturel

Chapitre 8
La « balkanité », entre souillure et valeur ?

1) Le rituel comme formulation du changement

L’anthropologie du kourban nous mène d’une part à décrire un certain nombre de traits culturels articulés et mis en œuvre dans le rituel, d’autre part à examiner la part de ce rituel dans la qualification des cultures et des sociétés dans lesquelles il est pratiqué. Nous sommes partis du constat que le kourban est une tradition votive et festive pratiquée dans différents contextes religieux et sociaux, constituant un « genre rituel » polymorphe et mobilisable dans des circonstances très variées.

Dans un certain nombre de situations rituelles, il apparaît que la pratique du kourban permet de se situer en référence à un « monde local », dans lequel des compétences individuelles servent explicitement un but collectif, lequel peut être résumé par les qualificatifs plus ou moins précis de « tradition », « santé », « foi », « don », « bonne volonté », etc. Qu’il soit personnel (litchen) ou collectif (obcht), le kourban suppose des transactions entre personnes et au sein de collectifs, via les notions de promesse, de vœu, d’offrande, de sacrifice. Ainsi du croisement des promesses personnelles et collectives, des kourbani privés et publics, dans l’espace-temps festif et célébratif.

Par ailleurs, dans les différentes modalités, les objets, les lieux, les contextes, les situations de l’échange, semblent se jouer des liens de proximité et de distance, des dispositifs relationnels. Chaque transaction est simultanément une forme d’investissement personnel et de jeu formel, de mise en scène rituelle des rapports interpersonnels. Les discours recueillis sur « le kourban des autres » suggèrent qu’au travers de la perception du rituel se négocie aussi un jeu de ressemblance et de dissemblance, du même et du différent, du commun et du singulier.

On a aussi tenté de souligner que le terme même de kourban est susceptible de multiples définitions, et de représenter une diversité d’actes, d’objets et de contextes : la relative indétermination avec laquelle le kourban est parfois désigné ouvre le champ à une approche interprétative des formes plurielles et intersticielles du fait rituel et ses représentations. Il nous semble en somme déceler dans les qualifications culturelles du rituel une certaine mise en forme des rapports du soi et de l’autre, qui dans le contexte balkanique soulève de multiples questions, à commencer par les conceptions floues et en même temps rigides de ces rapports.