3) L’ethnologie, la compréhension dans la distance

Le terrain consiste à produire des schémas de compréhension tirant parti à la fois de l’immersion dans une langue, des pratiques, des relations humaines plus ou moins inhabituelles, et d’une position décalée, distante vis-à-vis d’une « réalité » qui, de toutes façons, ne se laisse pas saisir comme un donné immédiat. On ne peut faire autrement que maintenir cette distance productrice de contrastes, mais également génératrice des situations dans lesquelles un « lieu commun » va s’ébaucher (Bazin, 1996 : 402-403), un lieu commun « ni exotique, ni familier » (Herzfeld, 1987). La position de l’ethnologue oscille entre la recherche d’une forme de connivence avec ses interlocuteurs, nouant des relations étroites, voire d’amitié, sur le terrain (sans quoi on se demande comment il pourrait y vivre), et le jeu sur la distance, le retrait dans les marges, la pratique du décalage (sans lesquels il n’a plus rien à observer).

Même s’il s’(auto)définit souvent comme praticien de l’altérité, l’ethnologue n’échappe pas aux jeux de l’identification et de la différenciation : par contre, il doit les soumettre à une démarche réflexive permanente (Ghasarian, 2002). Dans cette pratique transfrontalière, le chercheur ne cesse d’aménager des zones intercalaires entre lui et les autres : il entre et sort en permanence de ces interzones 646 . L’espace-temps dans lequel j’évolue sur le terrain semble tour à tour flou et net, incertain et précis, construit et réel, postulé et expérimenté. En cela, le « terrain » procure une sensation de déplacement, de franchissement et d’affranchissement, de libre circulation, mais aussi d’attente, de heurt, de buttée, de mise en quarantaine, de passage clandestin.

Notes
646.

Pour saisir cette approche des situations de terrain en termes de frontière, j’ai souvent en tête le mot interzone, emprunté à l’écrivain William S. Burroughs. Pour Burroughs, l’interzone est une sorte de dimension, d’environnement, situés au confluent de l’expérience sensible et de l’analyse, du conscient et de l’inconscient, de la réalité matérielle et du texte.