5.2.2. Une notion contestée

Voyons pour quelles raisons nous n’avons pas choisi d’utiliser l’E.P.L. afin de diagnostiquer une dysharmonie cognitive pathologique par constat de décalages à cette épreuve.

5.2.2.1. Chez les piagétiens eux-mêmes

Actuellement, La notion de décalage n'est plus considérée comme étant un fait exceptionnel dans une population donnée. J. Piaget lui-même, tout au long de ses travaux avait constaté la présence inexpliquée de décalages dans les structurations cognitives. Il avait remarqué qu’un enfant était capable à un certain stade cognitif, d'effectuer une tâche et incapable d'en effectuer une autre, de même ou de difficulté moindre, requérant l’utilisation de schèmes appartenant à un stade antérieur, alors que ce sujet était sensé avoir la structure cognitive nécessaire.

Par la suite, les disciples de J. Piaget ont noté la présence croissante de décalages chez les sujets testés. Cependant, cette particularité était encore considérée dans les recherches en psychologie cognitive, comme étant hors-norme. B. Inhelder (1943) par exemple, a mis l’accent sur ce qu’elle appelle la viscosité génétique. Elle expliquera que la lenteur du développement cognitif de certains sujets implique l'emploi maintenu de mécanismes intellectuels. Cet usage aboutit à fixer ces mécanismes de sorte que lorsqu’un stade est atteint, il persisterait une coexistence de niveaux fonctionnels qui, selon elle ne s’observe pas chez l’enfant normal. Pour B. Inhelder, ce que J. Piaget appelle alors la rééquilibration majorante (1963) s’effectuerait mal ou pas du tout pour certains sujets.

C’est seulement à partir des années 1970/80, que les néo-cognitivistes tels que Mounoud, Pascual-Léone, Fisher ou encore Case vont garantir l’existence persistante de déséquilibres dans la structuration intellectuelle de l'enfant. C’est à cette période, que la notion de décalage amorce un retrait du domaine pathologique ou tout du moins paraît moins insolite. La présence de décalages dans le fonctionnement cognitif commence enfin, à être considérée comme normal.

Actuellement, dans les neurosciences, si l’on ne conteste absolument pas les prodigieux travaux de J. Piaget, la structuration logique par paliers successifs est parfois remise en cause, par certains chercheurs. Pour des cognitivistes comme S.A.Gelman et L.A. Hirschfeld (1994) chaque domaine cognitif a son développement particulier. Il n’est donc pas étonnant d’observer des décalages. Ces derniers se retrouveraient ainsi, de façon plus ou moins importante, chez tous les enfants et les adolescents. Jusqu’à ce qu’il atteigne approximativement l’âge de 14 ans, le sujet présentant des écarts entre les différentes acquisitions et compétences a, pour de nombreux chercheurs cognitivistes, une intelligence normale.

A la lecture de cette notion, revue par la psychologie cognitive elle-même, il n’est pas étonnant d’observer que l'E.P.L. mette constamment en évidence des décalages. Cette échelle détecterait ainsi une trop grande variété de cas du normal au pathologique.

Toutefois, ces constatations ne doivent pas nous faire oublier qu’il y a des enfants et des adolescents présentant de graves difficultés d'apprentissage, caractérisées par de grands écarts dans les acquisitions et associées à des troubles importants de la personnalité et du comportement. La présence persistante de décalages dans la structuration cognitive de tout sujet rend donc d’autant plus difficile le dépistage de sujets présentant un réel échec scolaire électif.