6.2. LA FONCTION CONTENANTE, UN DYNAMISME CERTAIN

Arrêtons-nous à la théorie de l'identification projective de M. Klein (1955) reprise par W.R. Bion afin d’aller plus avant dans notre problématique. Cette relation est primordiale dans notre recherche. C’est dans Aux sources de l'expérience (1962) que W.R. Bion, parlera pour la première fois de la relation contenu-contenant. Il précise :

‘« De cette théorie, je tirerai, pour m'en servir comme modèle, l'idée d'un contenant dans lequel un objet est projeté et l'idée d'un objet qui peut être projeté dans le contenant, objet que je désignerai du terme de contenu. La nature insatisfaisante de ces deux termes nous oblige à recourir à une abstraction plus approfondie. » (W.R.Bion, 1962, p. 110)’

W.R. Bion se réfère clairement ici à cette théorie : le bébé projette dans le bon sein des éléments de sa psyché, à savoir ses mauvais sentiments. La mère renvoie les éléments au nourrisson. Le bébé les ressent comme ayant été modifiés de telle sorte que l'objet qui est réintrojecté paraît supportable à la psyché. C'est donc cette transformation de l'objet projeté permettant qu'il soit réintrojecté dans la psyché du bébé, qui définit la fonction contenante.

Dès l'introduction de cette notion, W.R. Bion avertit de l’inadéquation des termes "contenant" et "contenu" et de la probable nécessité de développer la description de ce qui se déroule entre la mère et le bébé. W.R. Bion avait donc besoin de préciser qu’il ne décrivait pas des structures fixes en parlant des contenants. Et, c'est certainement pour cela que les termes de contenant et contenu ne lui convenaient pas. Il décrivait plutôt des processus psychiques et donc des systèmes nécessairement actifs.

Toute recherche contraint à nommer dans un premier temps, des éléments, des processus (etc.) afin de les décrire. Le chercheur est rarement satisfait de ses dénominations car elles fixent d’une manière presque définitive ce qui est en train d’être décrit. Mais cette façon de procéder nous permet en tant que chercheur de clarifier notre pensée et ainsi d’avancer. Ainsi, comme le dit Didier Houzel (1994) parler en terme de "contenant" et de "contenu" revient à utiliser des métaphores qui risquent inévitablement de figer la description. Les processus psychiques à l'œuvre sont alors occultés. Il est donc nécessaire de redonner le sens premier de ce que voulait exprimer W.R. Bion.

Les notions de contenant et contenu apparaissent pour expliquer le processus de fonction contenante. Ce processus est bien évidemment actif entre la mère et le bébé. Si le processus se déroule bien il permet non seulement des modifications constantes des contenus projetées et réintrojectées mais aussi la constitution d’une structure stable (contenant de pensée, B. Gibello, 1984) et constamment dynamique lors de sa constitution et jusqu’à sa parfaite structuration. C’est ce processus de fonction contenante qui va permettre la création de formes psychiques dynamiques mais aussi structurellement invariables.

Appréhender ces processus sous cet angle est beaucoup plus explicite pour notre recherche. Cela a pour avantage de mettre en évidence l’alliance entre stabilité et dynamisme des processus en cours. Dans le cas des sujets présentant un échec scolaire électif, il est selon nous, primordial de lire et de comprendre ces processus de cette manière.

D. Houzel pense que le travail de "démétaphorisation" de la relation contenant/contenu nous conduit vers un processus de stabilisation. Il propose le modèle suivant : le bébé serait agité par des forces pulsionnelles et des émotions qui n'auraient pas la capacité intrinsèque de se stabiliser et qui le conduiraient à des tensions désorganisatrices qu’il ne peut maîtriser. Si ces éléments rencontrent un objet capable de les stabiliser, ils vont alors se modifier ce qui va permettre de réintrojecter un objet tolérable pour la psyché. La rencontre avec un objet contenant va permettre l'acquisition par un processus de stabilisation, de formes stables, qui vont donc devenir représentables, c’est-à-dire pensables et communicables. La fonction contenante est donc, comme le dit si bien Didier Houzel, « un processus de stabilisation des pulsions et des émotions du bébé » (1994, p. 30) qui permet l’acquisition et la création de formes psychiques douées de stabilité structurelle :

‘« La notion de stabilité structurelle décrit un processus dynamique qui permet qu’un objet garde le même contour, et que par conséquent nous le reconnaissions comme identique à lui-même, malgré les perturbations des forces qui s'appliquent sur lui ou mieux, malgré des perturbations du système dynamique dans lequel l'objet est plongé. C'est donc d'un processus de stabilisation dynamique qu'il s'agit ; il se déroule dans un système ouvert, donc avec échange d'énergie. Non seulement ce processus permet de maintenir les objets identiques à eux-mêmes, donc de les identifier, mais il peut aussi être créateur de formes, en permettant la stabilisation de mouvements aléatoires, chaotiques, turbulents. » (D. Houzel, 1994, p. 31)’

D. Houzel assimile les modifications dues aux éléments α, à un processus de morphogenèse psychique.