ENTRETIEN

A cet entretien Alicia prouve donc qu’elle a ce processus auto lui permettant de parler d’elle et de ceux qui l’entourent. Elle comprendra très bien ma demande lorsque je lui poserai des questions sur sa famille et sur un ensemble d’éléments la concernant.

Moi : « Tu veux me parler de ta famille ? »

Alicia : « Oui... Ma maman s’occupe de personnes âgées dans leur appartement… Mon papa ne fait rien parce qu’il ne veut pas, il n’a jamais voulu travailler… Je vis avec ma mère, je vois des fois mon papa qui vit avec ma grand-mère…Mais, quand je vais chez mon père je vais voir ma copine qui habite en face »

Moi : « Tu t’entends bien avec ton père ? »

Alicia : « Oui… »

Moi : « Ça t’ennuie que tes parents aient divorcé ?»

Alicia : « Non parce que j’étais petite. Je pouvais pas savoir ! »

Moi : « Est-ce que tu sais pourquoi ils ont divorcé ? »

Alicia : « Nan ! »

Moi : « Et ta maman… Qu’a t-elle fait après ? »

Alicia : « Elle a refait sa vie avec mon beau-père puis y se sont mariés. »

Moi : « Est-ce que ton beau-père a des enfants ? »

Alicia : « Oui, mais y vivent pas avec nous… Y a que le frère à mon beau-père ! »

Moi : « Le frère de ton beau-père vit avec vous ? »

Alicia : « Oui. »

Moi : « Et tu t’entends bien avec eux ? »

Alicia : « Ouais. » Peu convaincant.

Moi : « Parle-moi maintenant de toi. Où tu étais avant ce centre ? »

Alicia : « Dans un autre comme celui là. »

Moi : « Tu es jamais allée en classe à l’extérieur ? »

Alicia : « Si, mais après je suis sortie. »

Moi : « Pourquoi ? Est-ce que tu le sais ? »

Alicia : « Oui. Parce que je travaillais pas assez ! Et je pensais toujours à mon papa et ma maman. »

( Le mot "papa" est à peine audible.)

Moi : « Tu pensais à quoi exactement ? Qu’est ce qui te chagrinait ? »

Alicia : « Ben… Beaucoup de choses ! »

Moi : « Tu saurais m’en dire au moins une ? »

Alicia : « Parce que mon papa y frappait maman. »

Moi : « C’est pour ça qu’elle a voulu divorcer ? »

Alicia : « Voilà ! »

Moi : « C’est ça qui te chagrinait ? Donc tu t’inquiétais plus pour ta maman ? »

Alicia : « Ouais ! »

Moi : « Et tu penses que c’est à cause de ça que tu as du mal à travailler à l’école. »

Alicia : « Ouais c’est ça, pis y a des autres choses ? »

Moi : « Quelles choses par exemple ? »

Alicia : « J’arrive pas, j’ai des difficultés. »

Moi : « Où est-ce que tu les sens tes difficultés ? Où est-ce que tu as vraiment l’impression que ça ne va pas ? »

Alicia : « Les maths… Les multiplications. Et du français. Je mélange les mots alors ça me prend la tête. J’ai appris une fois les multiplications mais je m’en rappelle plus ! »

Moi : « A l’école a l’extérieur, tu es allé jusqu’à quelle classe ? »

Alicia : « C.P., C.E.1… Je crois que j’ai fait le C.E.2…Oui j’ai fait le C.E.2 »

Moi : « Après on t’a réorientée ? »

Alicia : « Ouais. »

Moi : « Et toi, tu sentais que tu avais des difficultés ? »

Alicia : « Ouais. »

Moi : « Tu sentais que tu arrivais pas à suivre comme les autres ? »

Alicia : « Ouais. »

Moi : « Et ça te faisait souffrir de ne pas y arriver ? »

Alicia : « Ouais… Je m’énervais dessus. »

Moi : « Et quand tu travailles maintenant, tu penses encore à ta maman ? »

Alicia : « Ouais ! Elle me manque ! Elle me manque toute la semaine… Je dors ici sauf le mercredi je rentre chez moi. »

Moi : « Et tu penses à elle, même quand tu travailles ? »

Alicia : « Ouais ! »

Moi : « Est-ce que tu penses que lorsque tu travailles, le fait de penser à ta mère ça t’empêche de travailler ? »

Alicia : « Non ! »

Moi : « Qu’est ce que ça te fait alors ? »

Alicia : « Ça me motive ! »

Moi : « Parce que ta maman te dit qu’elle aimerait que tu travailles bien à l’école. »

Alicia : « Ouais. »

Moi : « Et à ton papa tu y penses ? »

Alicia : « Nan. » (Dit simplement. Peu convaincante.)

Moi : « Tu lui en veux d’avoir fait ça à ta maman ? »

Alicia : « Ouais. »

Moi : « Tu veux me dire autre chose sur tes parents ?»

Alicia : « Nan. »

Moi : « Et dis-moi, comment tu vois l’avenir ? Tu penses que ça va aller mieux en classe ? »

Alicia : « Ben oui, bien-sûr ! Je sais que je vais réussir ! » (Très affirmative.)

Je lui demande ensuite, comme le veut mon protocole, de me raconter une histoire tout en la dessinant. Elle dessinera tout d’abord sans parler. Le dessin sera fait en 10 secondes à peine. Elle racontera un événement qui se serait produit lorsqu’elle était petite.

Alicia : « Alors c’est une maison. C’est là où mon grand-père habite. Y a deux balançoires. C’est moi quand j’étais petite avec ma cousine. On était dans la balançoire et la balançoire elle est tombée. On était en dessous et voilà ! »

Moi : « Et, qu’est ce qui s’est passé après ? »

Alicia : « Après on est rentré à la maison et on a mangé c’était Noël. Et après on a ouvert les cadeaux et voilà ! »

Moi : « Vous vous êtes faites mal quand vous êtes tombées des balançoires ? »

Alicia : « Ouais… Mais on a fait attention parce que mon père il est arrivé juste à temps »

Moi : « Il a retenu les balançoires qui vous seraient tombées dessus ? »

Alicia : « Oui. »

Je lui demande de préciser si c’est chez son grand-père paternel ou maternel. Elle précise que c’est chez son grand-père maternel.

Moi : « Ton père était là alors ? »

Alicia : « Non ! »

Moi : « Mais alors c’est qui, qui a arrêté la balançoire ? »

Alicia : « Mon beau-père !! »

Moi : « Qui il y avait encore à cette petite fête ? »

Alicia : « Ben y avait pas ma grand-mère comme elle est morte avant ma naissance. Y avait mon papi… Moi… »

Moi : « Tu veux m’en dire un peu plus sur cette journée là ? »

Alicia : « Non ! »

Dessin 1 de Alicia
Dessin 1 de Alicia

Je lui demande si elle veut me raconter une autre histoire où ce n’est pas forcément un événement qui lui serait arrivé. Elle me raconte alors, ce qui semble être l’histoire du petit chaperon rouge qu’elle s’est appropriée et a transformé. Elle ne voudra pas dessiner en même temps. Elle racontera d’abord l’histoire d’une traite sans mon intervention les yeux baissés. Puis, elle fera le dessin très vite sans grand intérêt, semble-t-il.

Alicia : « C’est sur un loup. Il était une fois une petite fille qui se promenait. Et elle allait voir sa grand-mère et son grand-père. Elle partait et tout… Elle allait donner à manger à sa grand-mère. Et quant elle est partie la grand-mère elle était plus là. Elle dit : "Où t’es grand-mère ? Où t’es ? " Le grand-père y dit " Chai pas ! " Et après ils la cherchaient partout, partout, partout. Y trouvent une cabane de loups, plein de loups. Après y voient la grand-mère. Y vont appeler les bûcherons : " Bûcherons ! Bûcherons ! Les loups ! Les loups ! Ils l’on prie ma grand-mère, ma grand-mère !" Alors les bûcherons y s’y vont. Y disent : " On peut rien parce qu’y a trop de loups. " Alors y vont appeler la police. La police y dise : "On peut pas rien faire, on peut rien faire, parce qu’y a trop de loups." Alors la petite fille elle dit : "Et ben prenez-moi à ma place de ma grand-mère ! " Alors ys’ont laissé la grand-mère partir et y s’ont pris la petite fille, les loups !... Après le loup il a MANGÉ la petite fille ! La grand-mère elle a lancé une pierre dans la tête du loup, il est tombé dans les pommes. Et les autres loups y sont tous partis parce y s’avaient trop peur. Et, la grand-mère elle a ouvert le ventre du loup, elle a ressorti la petite fille, MORTE ! (Dit tristement et fermement) Et les autres loups y s’étaient morts parce que les grands-pères y tiraient tous dessus. Tous les grands-pères parce que y avait beaucoup de grands-pères en fait ! Parce qu’après il a appelé des renforts, tous des grands-pères, y s’ont tous tués les loups. Voilà ! La grand-mère elle pleurait et la petite fille elle est morte… La grand-mère elle voulait être à la place de la petite fille. »

Elle dessine ensuite le dessin très vite à ma demande. La grand-mère est à gauche, le loup au milieu et la petite fille à droite.

Elle dira ensuite en regardant le magnétophone : « Ouh ! Ouh ! Y a quelqu’un là dedans ? » Elle s’y intéressera beaucoup. Je lui demanderai alors si elle veut s’écouter, ce qu’elle acceptera vivement.

Dessin 2 de Alicia
Dessin 2 de Alicia