ENTRETIEN

Je demanderai à Amin de me raconter une histoire tout en me la dessinant. Il comprendra très bien ma requête. Au fur et à mesure qu’il dessinera son premier dessin puis les suivants, les éléments seront de plus en plus désordonnés et dessinés sur les uns sur les autres. La feuille sera en outre sans cesse inversée. Il déchirera même à la fin de son entretien un dessin que je récupèrerai alors en lambeaux.

Un petit sourire en coin, il débutera sur un ton moqueur et exagéré. L’histoire sera délirante. Il ne sera pas impressionné par le magnétophone devant lequel il prendra un ton emphatique tout en commençant son premier dessin .

Amin : « Il était une fois… » Avec un ton moqueur.

Il me regarde pour voir si j’accepte cette introduction. Je lui précise alors qu’il peut très bien commencer son histoire ainsi et je l’encourage à continuer.

Amin : «Un homme… Et une femme… Ils vivaient heureux. Un beau jour l’homme perda son doigt. Alors la femme elle était… Furieuse, elle pleurait : "Mon mari il a perdu son doigt ! " Et après le mari… Il parta chez lui, il rencontra les policiers… Alors il dit oui… J’ai perdu mon doigt…(inaudible) Ch’ai pas quoi faire !… Donnez-moi une solution ! Après le mari y perd son doigt, son doigt il est par terre. Il le prend, il…(inaudible) Il met son doigt… (inaudible) Et y repart et après y pleurait : "Mon doigt… J’ai perdu mon doigt. " Sa femme elle fait : "Ah !!! gros…" (Insultes inaudibles). »

Puis il s’interrompt, me demande ce que je suis en train d’écrire, regarde encore le magnétophone et me demande de l’arrêter. Visiblement il jouait un rôle pour être enregistré ainsi. Je lui précise alors qu’il doit essayer de faire une histoire sur une chose qui lui traverse l’esprit. Je lui demande de plus, s’il préfère que j’éteigne le magnétophone, ce qu’il refuse catégoriquement. Il me demande alors de rembobiner la cassette pour qu’il puisse tout recommencer et effacer ainsi ce qu’il a dit auparavant. J’arrive à le convaincre de laisser le magnétophone tourner ainsi. Il semble alors qu’il veuille à présent enfin être plus "sérieux".

Moi : « Qu’est ce que tu veux raconter comme histoire ? »

Amin : « Y a un homme il est dans le Far West. »

Il dessine sur la même feuille, sous le premier personnage.

Amin : « Un homme et un homme … Avec le chapeau … C’est des cow-boys… »

Moi : « Qu’est ce qu’ils vont faire tous les deux ? »

Amin : « Ils allaient se bagarrer !… Alors l’homme y sort un pistolet… Alors où se met le cow-boy ? Y se mets ici y dit : " Je tape leur… (inaudible.) ". Y tire y tue le monsieur y tombe par terre, y tombe par terre et après… Il est mort ! »

Je lui demande si l’autre n’avait pas d’arme.

Amin : « Si il en avait ! »

Moi : « Et il a pas tiré du tout ? »

Amin : « Non parce que y savait pas ! Parce que il allait l’appeler, il allait parler avec lui et hop il est mort ! Et après il a tiré. Tah ! Tah ! Tah ! Après l’homme il était mort. Après les gens du village y sont venu. Ouais ! Qu’est ce qui y a ! »

Il chuchote alors quelque chose d’inaudible. Comme s’il ne fallait pas ébruité ce qui vient de se passer.

Amin : « Après y a eu un mec, un monsieur. Un vieillard dans la cave. Et…(inaudible) Il a sorti un fusil à pompe. Après il a mis un gilet pare-balles. Après les autres, il est revenu et après lui il était mort. (Il semble parler du premier qui était déjà mort.)»

Dessin 1 de Amin (recto)
Dessin 1 de Amin (recto)

Entre temps il a tourné sa feuille pour continuer son histoire derrière. Puis, il fait un visage plus grand presque au milieu de la feuille. Ce visage est satisfait. Il semble avoir réussit quelque chose et en être content. Le visage est énorme, mais, le corps est minuscule. Un autre visage se superpose sur celui là mais il est moins constitué. Il y a seulement les yeux, le nez et la bouche. D’autres visages sont ensuite éparpillés dans la feuille. Ils semblent presque tous sourire. Seul le personnage de droite (verso) qui va mourir dans l’histoire, ne sourit pas.

Il me demande alors avec insistance d’écouter son propos au magnétophone. Je lui précise que je lui ferais écouter à la fin de l’entretien. Je lui demande alors s’il pense que nous pouvons arrêter là l’entretien. Il m’assure fermement que non et continue à remplir sa feuille avec différents éléments éparpillés dans cet espace. Il me parle ensuite, tout en dessinant, d’un comique qu’il semble apprécier « pour son délire. » dit-il.

Il semble faire ensuite un avion (centre droit du dessin au verso ). Puis, dit :

Amin : « Il se moque de eux ! »

Je lui demande s’il parle bien du grand visage au centre.

Amin : « Ouais ! »

Il fait beaucoup de bruit avec les crayons, touche toutes mes affaires et tente d’abîmer son dessin. Il veut encore tout effacer de son entretien et recommencer à zéro. Je lui propose alors une autre feuille, rangeant vite celle-ci qu’il dit vouloir déchirer.

Dessin 1 de Amin (verso)
Dessin 1 de Amin (verso)

Amin : « C’est un bonhomme… Que… Y prend une photo !… Oh vient ici !… Y se barre…(Il parle à son crayon.) C’est un mec de cuir ! Lui qui a raconté sa vie ! Ha !… Tu l’aimes bien Madame Quechot ? Ho !.. Elle est vieille… Madame Quechot !…»

Moi : « C’est qui ? »

Amin : « C’est une folle ! » Très affirmatif.

Moi : « Je ne l’a connaît pas !»

Amin : « Faut jamais la connaître ! »

Il signe, puis dit qu’il a plusieurs signatures et il les fait l’une sur l’autre en disant.

Amin : « Comme ça, pis comme ça et comme ça… »