2.1.2.2. Le clivage du Moi

Nous avons montré qu’il y avait bien clivage du moi pour Laëtitia, Alicia, Éric, Jérémy et Mélissa. Mais nous n’avons cependant pas eu la certitude, au cours de notre recherche, que le clivage puisse être en lien avec la totalité des comportements en double-faces observés. En effet, il a été difficile de démontrer qu'il y avait bien toujours présence d'un clivage du moi. Ce dernier n’a pas été clairement révélé pour Amin et Thomas par exemple, même si nous supposons que leur grande souffrance psychique a certainement généré des processus de défenses solides. Toutefois, René Roussillon (1999 c) précise que le clivage du moi ne s’observe pas clairement mais se déduit, d’où la difficulté à le mettre en évidence.

Selon S. Freud (1938) le clivage est le résultat du conflit. Le moi est pris dans une puissante revendication pulsionnelle qui si elle est satisfaite fait courir un grand danger au moi. Le moi doit prendre la décision de reconnaître le danger réel s’y plier et renoncer à la satisfaction pulsionnelle ou dénier la réalité, se faire croire qu’il n’y a pas de motif de crainte afin de pouvoir maintenir la satisfaction. Le clivage du moi,

‘« c’est donc un conflit entre la revendication de la pulsion et l’objection faite par la réalité. » (S. Freud, 1938, p. 284)’

Le succès de cette entreprise est atteint au prix d’une déchirure dans le moi. S. Freud précise que cette coupure ne guérira pas et grandira même avec le temps. Les deux réactions opposées vont se maintenir comme le noyau du clivage du moi.

Au regard des entretiens, le clivage qui se réactualise en permanence chez les sujets en échec scolaire électif n’est autre que celui issu du traumatisme primaire. Afin de pouvoir survivre au traumatisme, le sujet a dû « se tronquer dedans » dira Jérémy, se « couper » de sa subjectivité (René Roussillon, 1995). Par le passé, seule cette scission lui a permis de survivre et de ne plus sentir le traumatisme. Cependant, la situation traumatique se répète au présent. Il y a eu selon les termes de René Roussillon « conservation intra-psychique des traces ainsi revivifiées. » (R. Roussillon, 1995, p. 1357) La reconnaissance est la face cachée du clivage. Parvenu au seuil le plus bas de cette reconnaissance la psyché anéantie n’a qu’une seule issue : comme par le passé le seul moyen de survivre va être de se cliver. Le sujet

‘« ne se sent plus là où il est, il se décentre de lui-même, se décale de son expérience subjective. » (R. Roussillon, 1999 b, p. 20) ’

René Roussillon utilise le verbe « se décaler ». Les apprentissages déséquilibrés sont dus à ces décalages engendrés par le clivage du moi. L’ensemble des conduites révélées par les sujets touchés du syndrome d’échec scolaire électif est donc très certainement l'expression de ce processus de défense particulier. Ces sujets sont en grande souffrance psychique due à une séparation et/ou à des carences affectives. Ainsi, l’organisation psychique est très défectueuse. Nous avons ainsi pu mettre en évidence chez eux les deux mécanismes moteurs du clivage du moi et visiblement à l’origine de leurs grands décalages dans les capacités intellectuelles : le déni et la reconnaissance. Le maintien en soi de deux modes de pensée opposés caractéristiques du clivage aboutit aux comportements que nous avons observés. En effet, tous ces sujets déniaient souvent leurs difficultés mais avaient en outre des phases où ils les reconnaissaient. Ils présentaient probablement des facettes de leurs comportements en fonction de la prégnance de telle ou telle partie de leur moi clivé. Le clivage permet ainsi au sujet de dénier ses problèmes qu’il "oublie" pour un temps. L’impact de la réalité, à savoir entre autres les limites de ses capacités, vont ensuite l’obliger à reconnaître ses échecs. La réduction du déni aboutit à une reconnaissance totale des difficultés par le sujet. S.Freud précise que le clivage est constitué de ce

‘« va-et-vient entre le déni et la reconnaissance. » (S. Freud, 1938, p. 286)’

Cependant, le sujet n’a pas conscience de l’existence des parties opposées.

‘«Ces deux attitudes persistent côte à côte sans s’influencer réciproquement […] une des particularités de ce processus est de ne pas aboutir à la formation d’un compromis entre les deux attitudes en présence, mais de les maintenir simultanément sans qu’il s’établisse entre elles de relation dialectique. » (J. Laplanche et J.-B. Pontalis, 1967, p. 67-70)’

Même si les sujets décrits étaient parfois conscients d’avoir des difficultés, verbalisant sur ce sujet et ayant une attitude particulière en les réalisant, lorsqu’ils les déniaient, il semblait impossible de leur faire admettre qu’ils avaient des incapacités réelles dans certains domaines. Visiblement seul l’impact du réel grandissant les faisait passer du déni à la reconnaissance.

Au regard de ces éléments tentons d’aller plus loin dans la description de ces processus.