2.1.3.3. Le risque de Noyade psychique

Ainsi ce fonctionnement en va-et-vient et ces "descentes" dus aux relations précoces spécifiques à l’objet primaire pourraient conduire à ce que nous nommons la noyade psychique ou noyade de la psyché. Il s’agit d’un engloutissement, puis d’un maintien contre la volonté du sujet dans un fonctionnement caractéristique du processus primaire. Alicia révèlera que, l’issue de ses processus échoués dans son histoire précoce, continuellement rejoué au présent, conduisent à une mort psychique. Pour Éric nous avons vu que les personnages de son histoire semblent s’enfoncer dans un abîme. Ne trouvant pas de représentions-mots à ses représentations-choses (S.Freud, 1915) l’issue est alors fatale : il est condamné à être perpétuellement en quête de représentations ou pire à s’enfoncer au plus profond de ce gouffre, c’est-à-dire à mourir psychiquement. Chez Amin encore, le processus conduit à une mort psychique qui se répète sans cesse au présent dans la psyché du sujet, tant qu’il n’aura pas trouvé de réponse à cette incohérence : Pourquoi l’objet a t-il tenté de le tuer ? Jérémy montrera qu’il y a un risque de mort psychique pour lui en utilisant le terme de kryptonite. Nous avons vu que dans l’histoire de Superman, la kryptonite est une roche qui vient de sa planète d’origine et qui peut le tuer. "Kruptos" en grec veut dire caché. Ceci révèle que ce qui remonte au tout début de son histoire, ce qui est caché, ce qu’il y a de plus originaire au plus profond de lui-même est en train de le tuer. Pour Thomas la seule alternative est cette chute dans le vide. Nous avons remarqué la spirale que dessine la chute de l’avion et la phrase de Thomas : « Après les gens y sont morts et après rien ! » Rien ne se passe c’est le vide.

Lorsque, ces sujets ont la force pulsionnelle, très certainement par leur volonté propre mais aussi, et parce que le cadre reste fixe et stable suffisamment longtemps et parce qu’il y a là un adulte double étayant (J. Guillaumin, 1996) pour les contenir et les soutenir, ils entament difficilement mais assurément une ascension psychique. Ils donnent alors l’impression de battre des pieds, pour sortir la tête de l'eau, pour se « décoller » (« Avant y a un hélicoptère qui décolle ! ») dira Mélissa, de l'objet et de leur situation. Rappelons-nous du Superman de Jérémy ou encore de l'avion de Thomas. La préoccupation de ces sujets semble-être en substance celle que décrit R. Roussillon en 2004 :

‘« Et la question qui surgit alors est celle de savoir comment vont se « décoller » moi et objet « double » de soi, comment vont se différencier sujet et objet. » (R. Roussillon, 2004, p.20)’

Mais très vite le sujet nous révèle qu’une force le tire en arrière. Plusieurs entretiens ont montré ce retour obligé vers la mère et le passé. Le personnage de Jérémy redevient comme avant, simple fourmi. Celui de Thomas doit retourné chez sa mère (sa grand-mère). Quant à celui d’Éric, il témoigne de l’impossibilité totale à enclencher ce détachement. Face et à l'inverse de cette force les sujets ont montré qu’ils déployaient un dynamisme pour favoriser la sortie de cet état. Visiblement cette évolution demande beaucoup d’énergie. Nous constaterons qu’ils se fatiguent vite et finissent par "couler" retournant ainsi à l'origine, à la mère comme le verbalise nettement Thomas, mais aussi à ce qui est angoissant, à ce qui tue, à la « kryptonite »dira Jérémy. Seule cette force psychique déployée par le sujet permet une progression qui aboutira au décollement et au passage dans l’aire transitionnelle (D.W. Winnicott, 1971) comme nous le montrera si bien Mélissa. Cette transition donne enfin, au conflit une forme acceptable, moins aiguë, elle aide à l’aménager et d’une certaine manière à le gérer (R. Roussillon, 1999c). Car comme le dit B. Golse, pour tout sujet :

‘«La mise en place des liens primitifs s’effectue en atmosphère binaire, duelle ou dyadique, permettant à l’enfant la sortie de la fusion ou de la symbiose mais au prix, parfois d’angoisse de décollage ou d’arrachage. » (B. Golse, 2003, p.192)’

On remarque cependant très vite que ces sujets ne sont jamais assez résistants pour garder la tête hors de la mère c’est-à-dire pour pouvoir se détacher de l’objet et se maintenir ainsi hors de la symbiose sujet-objet. Ils éprouvent visiblement de grandes difficultés à rester dans cette aire, pour user et abuser de l’air (comme le montrera Mélissa ou même Jérémy) de ce médium enfin malléable (R. Roussillon, 1985) et ne risquant pas de les engloutir.

Comment cette progression est-elle possible ? Comment la psyché du sujet passe de l’un à l’autre état ?

Rappelons notre Hypothèse II.