2.2.1. INDIVIDUATION-SEPARATION ET OBJET INTERNE.

2.2.1.1. Un processus d’individuation-séparation échoué

Les sujets en échec scolaire électif n’ont pas connu un développement des relations objectales normales menant de l’indifférenciation à une relation différenciée. Cette étape capitale échouée très tôt dans la vie a abouti à ce que ces sujets ne se sentent pas différenciés de l’objet. Au stade de l’identification primaire normale, il y a non-différenciation de l’intérieur et de l’extérieur, donc du moi et du non-moi. Il y a donc absence de frontière. Mais par la suite, les identifications secondaires auraient dû ouvrir la voie à l’indépendance. Pour R. Spitz, le processus individuation-séparation, que M. Mahler (cité par R. Spitz, 1968) situe vers 18 mois est précédé de deux stades précurseurs au cours desquels l’enfant vit ses identifications primaires, les rompt et les surmonte : c’est le processus d’individuation primaire. Le processus d’individuation secondaire débute vers 6 mois. L’individuation-séparation débute alors vers 18 mois et permet de se différencier complètement.

‘« En contraste avec l’identification primaire qui est un état, l’identification secondaire est un mécanisme. » (R. Spitz, 1968, p.178)’

Ce processus est inconscient et va aboutir à une modification du moi. L’identification secondaire suppose donc qu’au moins un moi rudimentaire s’est déjà séparé du tout non-différencié au moment des identifications primaires. Ainsi, dans le cas des sujets en échec scolaire électif, lorsque l’objet maternel a rendu difficile l’identification primaire, en privant l’enfant d’expériences spécifiques, cela a entravé deux réalisations importantes du développement : les identifications secondaires et la formation complète du moi. C’est au terme de ce processus et plus précisément, du processus projection-introjection, comme nous l’avons vu avec les théories de M. Klein (1955) et W.R. Bion (1962), qu’auraient dû se réaliser adéquatement la différenciation sujet-objet et conjointement la représentation interne de l’objet (M. Klein, 1933).

Dans le dessin et l’histoire de Jérémy, nous avons vu qu’il représente une sortie de lui-même pour remédier au choc primaire. Il met en scène ainsi sous nos yeux le processus d’individuation-séparation et révèle le traumatisme primaire et l’effraction du pare-excitation comme origine de l’échec de ce processus. Mélissa rejoue, elle aussi ce processus. Elle met visiblement en évidence, le processus projection-introjection (M.Klein, 1955) et le déroulement de la fonction contenante (W.R. Bion, 1962) en représentant la projection des éléments β et le retour de ces éléments en éléments α de la mère. Elle nous montre ainsi nettement comment elle est dans la nécessité permanente de passer à l’espace intermédiaire et ainsi finir par se différencier de l’objet. Éric nous représente aussi ce processus échoué en son temps. Toutefois, il est flagrant ici qu’il manque la représentation de la dernière voie à emprunter, figurativement représentée jusque là. Éric n’a donc plus de repère visuel et donc représentatif pour le guider. Laëtitia encore, a révélée qu’elle aurait dû sortir du cercle vicieux dans lequel elle se trouve, afin de rejouer adéquatement le processus et construire ce qui manque à la psyché afin de pouvoir se séparer de l’objet.

Les sujets tentent donc de rejouer le processus d’individuation-séparation et plus particulièrement le processus projection-introjection. Les carences maternelles ont été vécues comme des menaces graves contre l’existence personnelle du self (D.W.Winnicott, 1956). Ces sujets ont sans doute un moi très rudimentaire qui remonte à la période des identifications primaires et ils tendent vers une constitution d’un moi complet différencié.

Ainsi, si le processus s’était bien déroulé, cela aurait abouti à ce que se fasse dans la psyché de l’enfant, l’intériorisation de l’objet maternel. Mais cela n’a pas été le cas. L’objet maternel n’a pu se constituer au terme du processus normal en un objet interne stable pour le bébé. Et, donc cet objet interne manque continuellement au sujet.