2.2.2.2. Un prototype d’objet maternel interne

Ainsi pour les sujets en échec scolaire électif l’objet n’a pas été adéquatement introjecté et n’a donc pas de représentation dans la psyché.

Dans nos observations et principalement au W.I.S.C., les sujets ont montré que la pensée était peu conceptualisée. La pensée est plus figurative et perceptive que représentative et conceptuelle. En outre, ils ont révélé une exacerbation du visuel, caractérisé par une attention très développée sur ce qui se passe autour d’eux. Comme s'il fallait rester hypervigilant, car l'objet risque de disparaître ou/et d'oublier l'enfant. Ces éléments vont dans le sens d’un objet maternel interne qui ne serait pas une représentation mentale mais plutôt une représentation figurative. La peur d'être pour le sujet oublié par l'objet et faute d’une représentation interne de l’objet, entraînent la nécessité de maintenir l'image de celui-ci au devant de la scène de la vie psychique. Plusieurs cas nous ont montré cette nécessité essentielle pour eux. Cependant, l'image de l’objet n'est pas sa représentation. La représentation c'est l'image interne, alors que l'image est plus superficielle, dans le sens de "limitée à la surface". Elle est une représentation figurative. D.W. Winnicott précise:

‘« Quand la mère est absente pendant une période qui dépasse une certaine limite […] le souvenir de la représentation interne s’efface. » (D.W. Winnicott, 1971, p. 26)’

Ainsi, pour ces sujets, ne plus avoir la représentation de la mère c'est ne plus avoir d'existence de la mère du tout. L’exacerbation du visuel est l’expression de cette crainte de lâcher l’objet des yeux car les sujets ne peuvent se représenter l’objet en son absence.

‘« Penser à sa mère c’est se séparer d’elle puisque le sujet la lâche alors des mains, des yeux, ce qui n’est possible que pour un enfant qui se sent en sécurité. » (M. Berger, 1997, p. 15)’

Chez Jérémy la trace de l’objet dans le moi est en creux. Il manque une sorte d’image qui représentera l’objet dans le moi. Il va alors créer une trace de l’objet interne : le signe de Superman, représentant l’intériorisation de l’objet. Pour J. Guillaumin, cette représentation d’objet

‘« sera considérée comme le représentant explicite d’un objet que le moi renonce à détenir comme étant lui et désigne au-dedans de lui-même comme le messager de l’altérité. » (J. Guillaumin, 1996, p.163) ’

Jérémy essaie donc de se représenter en lui l’objet qui est à l’extérieur de lui. Mélissa en trouvant-créant l’objet transitionnel se forme une ébauche d’objet interne qui va lui permettre de se différencier. Éric encore nous montre par son dessin que sa psyché comporte des manques que nous supposons être du non-représenté. Le souci est pour ces sujets d’essayer d’inscrire au-dedans d’eux quelque chose qui est au-dehors d’eux (J. Guillaumin, 1996).

Les sujets qui ont donc un système de pensée plus figuratif que représentatif témoignent d’un objet maternel dont l’image est pour eux une figuration et non une représentation interne. Cette image est selon nous, un prototype d’objet maternel interne palliant au défaut de représentation interne. J. Guillaumin explique que dans ce type de situation,

‘« Le moi est (donc) en demeure d’avoir à s’inventer des objets introuvables ! Soit qu’il aille rechercher dans des circuits mnésiques plus anciens, à mesure que les plus récents échouent à rendre le service de lier l’énergie devenue sauvage ; soit qu’il se lance au-dehors dans une poursuite insatiable de partenaires d’étayages (ou de thérapeutes !) capables de focaliser l’investissement et d’arrêter l’énergie narcissique grâce à la pseudo-représentation substitutive que procure leur présence sensori-perceptive. » (J. Guillaumin, 1996, p. 166) ’

De tels sujets ont besoin de garder cette pseudo-représentation au devant de la scène de la vie psychique, car l’écarter, c'est risquer de la perdre. Seul ce prototype d’objet maternel interne permet au sujet de s’affranchir un moment de l’objet car il ressent ponctuellement cette image comme une représentation réelle de l’objet maternel. Ces sujets ont une image psychique, « trace mnésique perceptive » (R. Roussillon, 1995, p.1361) de la mère, qui va permettre cette première sortie de l’indifférenciation.

‘« Le concept de trace mnésique perceptive […] tente de cerner l’existence de trace non représentative, c’est-à-dire de trace qui signale une absence de trace. » (R. Roussillon, 1995, p. 1362) ’

Toutefois cette trace faute d’être représentative, va progressivement s'effacer. Les sujets ne peuvent maintenir ce prototype d’objet maternel interne d'où la difficulté à pouvoir vivre psychiquement détaché de l’objet. Le retour à l’indifférenciation est dû à cette difficulté à maintenir la représentation de l'objet maternel en son absence. Comme nous l’avons vu c’est au terme du processus projection-introjection (M. Klein, 1955), après avoir expérimenté la destructivité (D.W. Winnicott, 1971) qu’aurait dû se constituer l’objet interne. Nous avons vu dans le cas de Jérémy et Mélissa par exemple, que la sortie de leur état avait permis, grâce à une pseudo-introjection de structurer une ébauche de représentation interne de l’objet et de se dégager de la dépendance, pour un temps. Pour cela le passage à l’aire intermédiaire (D.W. Winnicott, 1952) est capital.