2.3.2.2. Le défaut de vision binoculaire

Etayons notre hypothèse à l’aide du défaut de vision binoculaire. Le strabisme est un des éléments de notre grille d’observation. Nous avons en effet constaté que la plupart des sujets présentaient un strabisme intermittent.

Lorsque tout se passe bien la convergence visuelle débute vers trois mois. La vision binoculaire va faire éclater l’espace fusionnel créant ainsi la perception de la profondeur et introduisant la troisième dimension. Elle éloigne l’objet pour mieux le saisir.

‘« L’image d’un cône matérialisant […] la convergence visuelle fonctionne originellement comme un schéma de représentation qui médiatise les échanges entre soi et les autres. Or la qualité positive ou négative de ceux-ci dépend de l’orientation du même cône dans l’espace selon qu’il converge ou diverge relativement au sujet. » (M. Sami Ali, 1974, p. 116)’

La constitution d’une bonne convergence visuelle met donc en jeu la possibilité d’une projection sensorielle qui vise à mettre l’objet à distance en créant la profondeur. Ainsi, pour les sujets en échec scolaire électif, il aurait fallu une mise en œuvre d’une énergie pulsionnelle et agressive qui permette de détacher l’objet de soi et de le localiser dans l’espace. La projection visuelle implique donc l’éloignement de l’objet. Le strabisme ne se comprend donc pas comme un phénomène isolé. C’est très clairement la relation particulière à l’objet primaire, qui a perturbé le processus projectif maintenant le sujet dans l’inclusion réciproque, et engendré cette altération de la vision binoculaire. Ainsi, pour les sujets en échec scolaire électif "voir" a été, et est dans les phases régressives, "se voir" dans ce qui est vu comme tout objet appartenant au visible. La vision englobe ici dans un même espace bidimensionnel le sujet qui perçoit et l’objet de la perception.

‘« Yeux au-dedans des yeux, corps qu’enferme une partie du corps, objet se contenant lui-même. » (M. Sami Ali, 1984, p. 60)’

Nous avons constaté cela chez Amin au cours de la réalisation de presque tous ses dessins ou encore chez Lucille (K. Chikh, 1992).

Il aurait fallu que le processus projection-introjection se passe bien pour qu’il n’y ait pas défaut de la vision. Ainsi le strabisme caractérise les défaillances de la projection. Il se comprend chez les sujets que nous avons étudiés comme un échec de l’éclatement de l’espace d’inclusion réciproque et comme une volonté de maintenir cet espace. L’ouverture à la tridimensionnalité a ainsi été compromise. Tous les repères sont alors faussés d’où la difficulté à apprécier les distances. De ce fait, au lieu de prendre conscience que le regard se déplace, un mouvement est prêté aux objets. Nous constaterons grandement ce fait dans la manière qu’ont certains à manipuler les cubes au W.I.S.C. : ils bougent leur corps au lieu de déplacer les cubes. André nous dira même, que les cubes bougent tout seuls.