2.3.3.1. Une appréciation singulière de l’espace

Le processus de projection s’organise à partir du corps et aboutit à la formation d’un espace que délimite un "dedans" et un "dehors". Des lignes provisoirement projetées à partir de ce centre qu’est le corps se déploient dans une étendue.

2.3.3.1.1. Espace de l’inclusion réciproque

Du fait de l’échec de la projection, l’espace d’inclusion réciproque est une surface plane, sans profondeur, où le "dedans" est aussi le "dehors", le "contenant" le "contenu" et où tous s’emboîtent. N’ayant pu agir adéquatement sur le milieu, il a donc été difficile au sujet pris dans les mécanismes d’inclusion réciproque de créer un espace-image-du-corps. La représentation de l’espace reste donc problématique dans la mesure où le cadre de référence n’est pas achevé. Ainsi, dans l’espace d’inclusion réciproque se superposent deux structures spatiales qui, s’annulant réciproquement donnent des anomalies sitôt que s’effectue le passage de l’espace corporel à l’espace de la représentation, car pour structurer l’espace de la représentation une projection adéquate est essentielle. Le corps n’est alors pas un objet appartenant à l’espace mais ce qui le détermine. Et, les dimensions corporelles "dedans-dehors", "haut-bas", "devant-derrière", "ici-là-bas", sont d’abords des repères spatiaux. Ce sont eux qui permettent à l’espace d’exister en tant que projection de la réalité corporelle. Ainsi, il y a eu précocement pour les sujets en échec scolaire électif des difficultés fondamentales à structurer l’espace. La défaillance de l’espace corporel est tel qu’aucun acte n’est adéquatement effectué au présent et ne permet ainsi à l’action de se fixer. C’est la raison pour laquelle nous l’avons vu, le même geste doit indéfiniment se répéter, comme lors de son apprentissage, sans jamais trouver de contenant fixe et définitif. Dans cet espace d’inclusion réciproque, le processus d’autonomisation corporel s’étant arrêté chez le sujet c’est l’objet qui lui permet d’exister dans l’espace.

L’espace d’inclusion réciproque, où les relations sont symétriques et non réversibles, est une manière singulière de vivre l’espace chez les sujets en échec scolaire électif. Du point de vue fantasmatique le réel serait donc inclus dans l’imaginaire chez les sujets. C’est pourquoi il semble que la perception soit chez eux comme une sorte de pseudo-perception où le perçu est transformé en imaginaire. Toute distance s’abolit alors avec le réel. L’absence de profondeur, caractérisée par exemple par la difficulté des sujets à apprécier les distances, atteste de la présence de cette structure spatiale bidimensionnelle. Cette structure n’est pas moins qu’une projection du corps propre, de sorte que celui-ci est dans un espace qui est lui-même le corps. Le sujet est alors partout, dans un "dedans" qui est un "dehors" et inversement. On comprend dès lors que l’objet peut exister à l’intérieur de lui-même, comme par exemple chez Amin qui signe de plusieurs signatures les unes sur les autres, ou qui dessine un personnage sur un autre personnage. Ici l’espace peut se contenir lui-même. Il y a alors pour le sujet perte de soi dans un espace qu’il vit de manière désordonnée, chaotique, sans maîtrise et sans limite. Tout devient alors incommensurable et rien n’a alors d’identité. La réalité pour le sujet est fonction de sa perception et celle-ci est faussée par ce corps perdu dans un espace sans repère. On comprend dès lors toutes les difficultés des sujets à structurer l’espace. Leur comportement devant une feuille de papier est un indice de cette instabilité mettant en jeu la situation du corps dans l’espace et la position des objets par rapport à leur corps : la plupart des sujets se tortillent, retournent la feuille en tout sens, adoptent un angle puis le change au cours du travail, etc. Tout est désordonné dans l’espace feuille.