3. 3. LES ETAPES CLEFS DU MODELE SPIRALE

Détaillons à présent les étapes successives du modèle spiralé.

Première étape : La dépression

Nous commencerons par définir ce que nous nommons la première étape ou le premier état. Si nous avons décidé de le choisir comme premier état ce n’est pas parce qu’il vient réellement en premier lieu dans le temps. Nous sommes dans un temps circulaire, il n’y a donc pas à proprement parler de première étape générant ce 1er état. Toutefois, cet état est celui où nous avons détecté le plus souvent les sujets en échec scolaire électif. Il est en outre une étape fondamentale dans tout le processus qui va se dérouler ensuite.

Cet état est celui de la "dépression". Nous lui apposons des guillemets parce qu’il ne s’agit pas de la dépression comme nous la connaissons actuellement chez les personnes que nous disons "dépressives". C’est-à-dire un état d’effondrement psychique tel qu’il peut mener au suicide et nécessitant des soins spécifiques incluant éventuellement une thérapeutique médicamenteuse. Il se rapproche de ce que René Roussillon (1999 b) appelle le désespoir existentiel, la dépression existentielle ou encore la dépression essentielle. Il s’agit d’un état dépressif grave spécifique caractéristique des sujets présentant une pathologie limite.

Tous les auteurs ayant étudié des syndromes analogues à celui de l’échec scolaire électif s’accordent à dire qu’à un moment ou à un autre on remarque cette dépression chez le sujet. Bernard Gibello va jusqu’à avancer dès 1976 que la dysharmonie cognitive pourrait être une organisation protectrice contre l’émergence d’une angoisse dépressive ( B.Gibello, 1976). Cependant, nous n’avons pas trouvé dans les nombreux travaux, de définition claire de la dépression en rapport avec un syndrome de déséquilibre des apprentissages. Nous avons nous-mêmes constaté chez l’ensemble des sujets cette dépression ou devrions nous dire cet état dépressif tant les caractéristiques sont étranges. Laëtitia, par exemple a dévoilé dans son entretien qu’elle cache une grande détresse psychique et certainement une profonde dépression. Chez Éric encore, au discours sur des personnes visiblement heureuses, le dessin est extrêmement triste. Éric camoufle un état d’effondrement de la psyché qui ne trouve aucune possibilité de se résorber et qui est masqué par le déni. Jérémy avoue tristement qu’il faut revenir à l’étape initiale. Et puis « rien ne se passe ! », c’est le vide.

La dépression de ces sujets confirme le repli en arrière du moi et la reconnaissance des difficultés scolaires mais aussi psychiques du sujet. Ce retour apporte son lot de dépression, parce que le sujet sait qu'il n'a pas réussi, qu'il a « raté une invention » dira Jérémy. Il lui a été impossible de s’affranchir de l’objet tout en le gardant à l’esprit en représentation. Ici le sujet se retire de toute activité et en particulier des apprentissages scolaires, verbalisant que cela ne sert à rien de travailler puisqu’il est « nul ».

Nous donnons au terme dépression, son sens premier. Si, nous prenons la simple définition du Petit Robert, ce terme exprime l’état opposé à la prestance (que nous développerons par la suite) :

‘« Abaissement, enfoncement, produit par une pression de haut en bas ou par tout autre cause. » ( Petit Robert)’

Le sujet, ni soutenu ni contenu au sens de D.W. Winnicott (Holding et Handling, 1960), s’effondre dans un fonctionnement caractéristique du narcissisme primaire.

‘« Les points de départ d’autres processus se trouvent […] à cette période de « maintien » ; le plus important d’entre eux est l’éveil de l’intelligence et la formation des fonctions mentales comme quelque chose de différencié du psychisme. De là découle toute l’histoire des processus secondaires et du fonctionnement symbolique, ainsi que celle de l’organisation du contenu psychique personnel qui offre une base aux relations de la vie et des rêves. […] Toutes ces progressions dépendent de la qualité du maintien (holding) assuré par l’environnement. Si le maintien n’est pas assez bon, ces stades ne sont pas atteints ou bien, une fois atteints, ils ne peuvent s’établir solidement. » (D.W. Winnicott, 1960, p.367)’

Il va alors y avoir risque de Noyade psychique et donc de mort psychique au sens de D.W. Winnicott (1975). Nous avons en effet clairement vu que le sujet a le sentiment de se noyer. Le sujet revit la douleur psychique intense ressentie lors du traumatisme primaire lorsque le moi n’était pas assez constitué pour la juguler (R. Roussillon, 1995b). Le sujet réalise, qu’il est entièrement dépendant de ce système spécifique et de l’objet, qui risque de disparaître de nouveau sans laisser de trace représentative. Le moi n’a pu se différencier complètement de l’objet, faute de structuration d’une représentation de cet objet, interne et stable. Le moi s’enfouit. Il va y avoir un abaissement au niveau de l’organisation et du fonctionnement psychique, une régression au sens psychanalytique du terme. Il "s’enfonce" dans un fonctionnement psychique primaire. Si le sujet a pu témoigner, à un moment, de capacités de symbolisation et d’activités intellectuelles plus organisées, il est à ce stade incapable d’investir les apprentissages et donc d’assimiler quoi que ce soit. C’est à ce niveau que la dévalorisation narcissique est totale et l’image de soi très touchée. Le sujet reconnaît ses difficultés et ses incapacités. Il a la sensation d’être incapable de faire toute exécution efficacement. Il est alors profondément blessé. Il n’a pas su se sortir de ce cercle vicieux. De plus, il reconnaît qu’il est toujours aussi dépendant de l’objet. Il est à ce stade complètement anéanti. Plus rien n’a vraiment d’intérêt pour lui. Il se sent inutile. Tout concourt progressivement à une noyade de la psyché et donc à une certaine mort psychique. Nous verrons au terme de notre parcours théorique ce qui a conduit à cet état.