Extrait du livre de Marcel Pagnol

Topaze 1976

Une mère de famille vient demander des nouvelles au sujet de la scolarité de son fils, à son instituteur. Sont présents la mère une baronne, l’instituteur Monsieur Topaze et le Directeur Monsieur Muche.

La baronne

Je ne demande qu’à vous croire. Mais il est impossible d’admettre que mon fils soit dernier.

Muche à Topaze.

Impossible d’admettre que son fils soit dernier.

Topaze

Mais Madame, cet enfant est dernier, c’est un fait.

La baronne

Un fait inexplicable.

Muche à Topaze

C’est peut être un fait, mais il est inexplicable.

Topaze

Mais non Madame, et je me charge de vous l’expliquer.

La baronne

Ah ! Vous vous chargez de l’expliquer et bien je vous écoute Monsieur.

Topaze

Madame, cet enfant est en pleine croissance.

La baronne

Très juste.

Topaze

Et physiquement, il oscille entre deux états, nettement caractérisés.

Muche

Hum…

Topaze

Tantôt il bavarde, fait tinter des sous dans sa poche, ricane sans motif et jette des boules puantes. C’est ce que j’appellerais la période active. Le deuxième état est aussi net. Une sorte de dépression. A ces moments-là, il me regarde fixement. Il paraît m’écouter avec une grande attention. En réalité, les yeux grands ouverts, il dort.

La baronne, elle sursaute

Il dort ?

Muche

Ceci devient étrange. Vous dites qu’il dort ?

Topaze

Si je lui pose une question, il tombe de son banc.

La baronne

Allons, Monsieur, vous rêvez !

Topaze

Non, Madame, je veux vous parler dans son intérêt, et je sais que ma franchise lui sera utile, car les yeux d’une mère

ne voient pas tout.

Muche

Allons, mon cher Topaze, je crois que vous feriez

beaucoup mieux de trouver l’erreur.

La baronne

Laissez parler Monsieur Topaze. Je crois qu’il va nous dire quelque chose d’intéressant. Qu’est ce que les yeux d’une mère ne peuvent pas voir ?

Topaze, convaincu et serviable.

Regardez bien votre fils madame. Il a faciès terreux, les oreilles décollés, les lèvres pâles, le regard incertain.

La baronne, outrée.

Oh !

Muche, en écho.

Oh !

Topaze, rassurant

Je ne dis pas que sa vie soit menacée par une maladie aiguë : non. Je dis qu’il a probablement des végétations, ou peut être le ver solitaire, ou peut être une hérédité chargée, ou peut être les trois à la fois. Ce qu’il lui faut, c’est une surveillance médicale.