Etablissement E 1. Population concernée : garçons. 44 dossiers consultés.

Au premier rang des conduites relevées par les professionnels viennent des attitudes que nous qualifierons de prestance et de domination psychologique : « insolent », « arrogant », vindicatif », « hautain », « prend des attitudes de défi », «  a des conduites dominatrices », « cherche en permanence à humilier », « prend des attitudes de puissance au service du négatif »,  « tyrannie », « leader incontesté au service du négatif ». La liste est longue et son énumération exhaustive serait bien fastidieuse. Retenons l’omniprésence des qualificatifs de prestance à propos des enfants et des adolescents acteurs de violence. Nous y reviendrons. Vient ensuite la description des diverses formes de provocations. Celles-ci peuvent être « physiques », « verbales » ou encore « sexuelles ». Elles sont nettement distinguées des menaces qui, elles, comportent l’annonce d’un affrontement physique ou d’un passage à l’acte imminent, nous avons évoqué ce point précédemment. A peine moins fréquentes sont les mentions qui renvoient à des conduites pathologiques : « est dans la toute-puissance », « conduites obsessionnelles », « univers chaotique », « agitation et instabilité permanente », « déni de la réalité ». Enfin, un dernier ensemble de conduites rend compte d’attitudes difficiles à caractériser, mais qui, toutes, renvoient à des notions de fausseté, de dissimulation et qui incitent à la méfiance : « séduction », « habité par des pulsions troubles », « semble adapté en surface », « attitudes peu saines », « attiré par la marginalité », « conduites déviantes ». Corollaire de toutes ces conduites, l’agressivité est constante. Elle est à la fois le leitmotiv, l’élément dynamique -le « carburant »- et le vecteur de la plupart des conduites évoquées. Elle se manifeste sous diverses formes et les éducateurs sont particulièrement attentifs à en saisir les nuances qu’elle soit « refoulée », « latente », « contenue », « maîtrisée » -parfois difficilement- ou bien « permanente », « omniprésente », « exacerbée ».

Les écrits s’attachent aussi à décrire des comportements positifs. Ce sont principalement ceux qui gratifient les adultes : « Apprécie l’aide des adultes », « est sensible à l’attention que lui portent les adultes », « coopérant avec les adultes », « cherche à se faire reconnaître des adultes », ou bien encore à s’en faire « apprécier ». D’autres compétences relationnelles sont, rarement, relevées : « cherche relation », « écoute les autres », « cherche à créer des liens », et, très exceptionnellement, « recherche l’amitié des autres ». Deux éléments retiennent notre attention. En premier lieu, le peu de place qu’ils occupent dans les documents. Ceux-ci, pourtant diserts et généreux lorsqu’ils décrivent et interprètent les conduites et les attitudes posant problème, ne relèvent que de façon tout à fait exceptionnelle les attitudes positives. Mais plus encore, nous sommes frappépar la banalité et la monotonie des éléments rapportés : quelques attitudes relationnelles correctes sans plus. Bien sûr, on ne parle pas des trains qui partent à l’heure. Les enfants et les adolescents dont il est question dans les écrits professionnels que nous analysons sont « choisis » en raison même des difficultés toutes particulières qu’ils créent par leurs conduites difficiles. Mais cette unidimensionnalité des représentations interroge et rappelle la question précédemment évoquée du dehors que constituait le milieu « naturel » de l’enfant et du dedans des institutions. L’un se présentait comme le versus de l’autre. Ici la richesse et la complexité des représentations négatives semblent annihiler ou, à tout le moins, anesthésier la capacité de percevoir quelque chose de l’autre comme bon. Se dessine là une piste de recherche peut-être féconde : la confrontation, l’expérience vécue de la réalité de la violence auraient-elles pour effet de réduire la capacité des professionnels à construire des représentations nuancées échappant aux diktats d’une pensée bipolaire construite sur des oppositions de type bon/mauvais ?

Il apparaît que les conduites qui justifient un commentaire sont des conduites de prestance et de domination, de provocation et de menace, et, dans une moindre mesure, celles qui traduisent des états pathologiques. Viennent ensuite celles que nous qualifions de manipulatrices. Il s’agit de conduites « troubles », « fausses », suscitant la méfiance sans que les adultes puissent en caractériser précisément la nature. Elles ont toutes pour point commun d’être mises en œuvre avec agressivité. Enfin, dans une proportion bien plus réduite, les écrits font état de conduites positivement connotées qui s’attachent à deux éléments principaux : la gratification à l’endroit des adultes, les compétences relationnelles en direction des pairs.

Les traits de personnalité composent plusieurs ensembles caractéristiques. Tout d’abord, omniprésente, s’impose la représentation de personnalités soumises à une véritable dictature des affects. Les enfants et les adolescents, dont il est ici question, « souffrent ». Ils souffrent même « énormément », « profondément ». Ils sont « en proie à une immense souffrance ». Ils sont aussi dans un « état de mal être permanent », envahis de « tristesse ». Ils sont sujets à « l’anxiété », aux « angoisses », et parfois « en proie à la détresse ». Deux autres thématiques émergent: celle de la faiblesse, de la fragilité -« X est une personnalité influençable », ce jeune est « immature », ou bien encore « suggestible »-, et celle de personnalités qui sont le jouet de forces internes, de pulsions impérieuses, excessives, envahissantes, tyranniques, toutes entières tournées vers des buts bas, indignes, et auxquelles le sujet est soumis. Ainsi sont signalés, avec une remarquable régularité textuelle, « l’intolérance à la frustration », le fait qu’ « X semble guidé exclusivement par la recherche du plaisir immédiat », que Y est « dominé par ses pulsions »,  que « ce jeune est habité par la haine », que cet autre est « particulièrement odieux » ou « en état de rébellion permanente ». Enfin, faisant amplement écho aux conduites manipulatrices décrites précédemment, un large éventail de qualificatifs s’attachent à inscrire, dans la personnalité même des sujets, la potentialité des actes qu’ils réalisent. Celui-ci est « sournois », cet autre « introverti, menteur », ou bien « il se pose en victime ».

Ainsi, quatre thèmes dominent la présentation des traits de personnalité retenus par les éducateurs : l’emprise des affects sur la personnalité, et tout particulièrement des affects douloureux, dépressifs, ou de haine, la perception de personnalités faibles, fragiles, se laissant emporter et manipuler, celle de personnalités soumises, sans discernement, à leurs pulsions, enfin, des éléments de personnalité caractéristiques de la dissimulation, de l’ombre et du faux-semblant.