1.4.3.3. La violence comme message : Winnicott.

Pour Donald W. Winnicott, la violence et le vol sont les deux aspects de ce qu’il nomme « la tendance antisociale ». Elle trouve son origine dans l’expérience de la « déprivation ». L’enfant est déprivé lorsqu’il éprouve « par son expérience précoce quelque chose de bon quelque chose de positif, et (que) ce quelque chose lui a été retiré, et (que) ce retrait dépasse la durée pendant laquelle il est capable d’en maintenir le souvenir vivant » 111 . Pour Winnicott l’enfant perd, là, un objet essentiel à la vie psychique et les modalités selon lesquelles il pourra traiter cette perte catastrophique dépendront de deux facteurs principaux : son âge et la façon dont son entourage réagira aux manifestations qui en sont la conséquence. Si l’épreuve de la déprivation est vécue par l’enfant avant qu’il soit en « capacité de percevoir que la cause de son malheur réside dans une faillite de son environnement » 112 , elle sera à l’origine du développement de processus psychotiques. Si elle a lieu alors que l’enfant est en capacité de distinguer entre monde interne et monde externe, s’il discerne qu’elle provient d’une faillite de son environnement, alors il cherchera des solutions en le sollicitant de façon violente. Dans ce cas, l’enfant perçoit une «nouvelle situation qui présente quelques éléments auxquels il peut se fier ; (il) ressent une pulsion qu’on pourrait appeler quête de l’objet, (il) reconnaît que la cruauté va en devenir une caractéristique et, en conséquence, (il) ameute le milieu immédiat pour qu’il soit vigilant et s’organise afin de tolérer la gène » 113 . Dès lors, les conséquences vont dépendre des capacités de l’environnement à répondre de façon adéquate. Si l’entourage de l’enfant parvient à comprendre l’origine de la déprivation, à contenir la haine qui accompagne sa manifestation et à satisfaire de façon convenable au besoin manquant, les manifestations cessent et le cours ordinaire de la vie psychique reprend. Dans le cas contraire, celles-ci perdureront et installeront une tendance antisociale durable.

Vols et violence sont donc «la manifestation d’un espoir » ; celui que l’entourage saura prendre en compte ce dont le sujet a été déprivé, et qu’il saura prendre en charge le sujet déprivé. Vols et violences obligent « l’environnement à être important ». Ils ne sont pas un rejet de l’autre mais un appel à l’autre. ils expriment la conviction qu’une issue positive est possible. La tendance antisociale, c’est l’appel à la mobilisation du social.

Examinons à présent la place particulière de la violence. Dans la conception de Winnicott, le vol est la manifestation centrale. Au travers de l’objet volé, la mère est l’objet recherché. Cependant, les modalités de la quête seront différentes selon ce qu’il en est, au moment de l’expérience de déprivation, de l’autonomie des pulsions. Si les pulsions agressives et les pulsions libidinales sont liées, la quête de l’objet se fait par un « mélange de vols, de heurts, d’incontinence suivant l’état du développement affectif » 114 . Si les pulsions libidinales et les pulsions agressives sont peu liées alors « la quête de l’objet et l’agression seront distinctes l’une de l’autre » 115 . Là se situe la racine de la violence. Lorsque les pulsions sont insuffisamment unifiées, l’agression, à l’origine partie du processus de lutte contre la déprivation, s’autonomise et devient violence. Pour Winnicott, la quête pour restaurer l’objet perdu est « une tendance vers l’auto-guérison » La violence témoigne de l’échec de cette tentative, et de l’espoir persistant de l’obtenir enfin.

La pensée de Winnicott se distingue des élaborations freudiennes et kleiniennes. S’il reconnaît l’existenced’une pulsion agressive dès l’origine de la vie, s’il conserve la conviction qu’un conflit amour/haine est actif dès les premières expériences du petit homme, il considère la violence comme partie prenante d’un processus de réparation traumatique. Elle est donc contingente. Elle sera abandonnée si « l’environnement (donne) une occasion nouvelle à la relation au moi puisque l’enfant a perçu que c’est une carence de l’environnement dans le soutien du moi qui a suscité à l’origine la tendance antisociale » 116 . Il y a place pour l’éducation. L’environnement peut « fournir à l’enfant la possibilité de redécouvrir des soins infantiles qu’il pourra mettre à l’épreuve et au sein duquel il pourra revivre des pulsions instinctuelles. » 117 . De surcroît, la violence, manifestation active de l’espoir, tente de recréer du lien avec l’environnement, de le convoquer à être présent. Elle n’est pas un but mais un moyen : elle ne recherche pas, en elle-même, sa satisfaction. Elle œuvre à faire entendre, à faire prendre en compte la situation intenable, insupportable du sujet : le risque de la mort psychique d’une partie du « moi ». Si la violence ne s’épuise jamais de ce qu’elle détruit, c’est que son but est hors d’elle-même. Contrairement à la construction de Freud, la violence quitte la pulsion de mort pour passer du côté du refus de la mort.

Notes
111.

Winnicott, D. W. 1994. Déprivation et délinquance, Paris, Payot, p 150.

112.

Ibid, p 153.

113.

Ibid, p 156.

114.

Ibid, p 152.

115.

Ibid, p 156.

116.

Ibid, p 158.

117.

Ibid, p 157.