1.4.3.4. Consensus et divergences.

Ces approches font apparaître des filiations, des continuités et des divergences. Pour Freud, la violence est le rejeton de la haine. Elle s’origine dans l’identification archaïque du monde externe au mauvais, au rejeté. L’extérieur, le monde, vécu comme persécuteur, génère la destructivité au seul motif d’être extérieur au sujet et devient la cible d’attaques haineuses visant à le détruire. Dans une conception plus tardive il remanie sa théorie des pulsions et postule l’existence de deux pulsions antagonistes luttant en permanence à l’intérieur des sujets humains. L’une, la pulsion de vie, orientée vers le développement et la créativité use de l’agressivité comme outil de son épiphanie. L’autre, la pulsion de mort, œuvre au retour d’un état d’avant la vie et se voue à la destruction des objets porteurs de vie : la violence est son instrument. Le destin de la haine est fonction de l’évolution dialectique complexe de ce conflit des pulsions. La violence s’atténue par la capacité maternelle à donner à la pulsion de vie des objets satisfaisants et par la mise en œuvre, par le père notamment, de castrations symboligènes.

A la suite des perspectives ouvertes par la théorie freudienne, Klein revenant sur le conflit amour/haine lui donne une dimension centrale. Pour dépasser ce conflit, l’introjection du bon sein est indispensable. Elle souligne l’importance déterminante de la qualité des relations précoces mère/enfant. Selon elle, l’échec de cette relation primaire ne permet pas la constitution d’une « synthèse des objets ». Le clivage des objets perdure, renforce les sentiments de haine, et entrave les phases ultérieures du développement. Les castrations oedipiennes ne sont pas symboligènes et sont vécues comme des persécutions intolérables. Elles attisent la haine et son instrument, la violence.

La thèse de Winnicott s’éloigne sensiblement des conceptions de Freud et de Klein. S’il ne remet pas en cause l’existence d’un conflit intrapsychique précoce amour/haine, il ne retient pas l’hypothèse de la pulsion de mort. La violence n’est ni un rejeton de la haine ni la manifestation de l’action de la pulsion de mort, elle est, au contraire, un signe, un appel, une demande à exister. Elle est le résultat de la déprivation, expérience traumatique de l’absence impensable de l’Autre. Le sujet, par la violence, cherche à exister aux yeux de l’Autre en le provoquant à être là.

Pour Freud, antérieure à la capacité d’aimer, la violence témoigne de l’éternel et tragique conflit d’Eros et de Thanatos. Expression d’un conflit amour/haine, elle est le signe pour Klein, de l’action persistante de mécanismes psychiques archaïques en lien avec les expériences infantiles les plus précoces. Pour Winnicott, elle est une tentative ultime pour se relier au monde. Manifestation de la négation, du rejet, du refus du monde et de l’Autre pour Freud et Klein, elle est un appel à l’Autre pour Winnicott.

Quelles que soient leurs différences, pour ces trois auteurs la problématique de la violence est précoce et son destin déterminé par la qualité des réactions de l’entourage et des relations qu’entretient l’enfant avec ses « objets d’amour » parents ou substituts. Il est si tôt scellé que Winnicott l’a écrit : « Il ne faut pas chercher à guérir l’agressivité mature. Il faut constater sa présence et l’accepter. Si elle devient incontrôlable, mieux vaut s’écarter et laisser la justice s’en occuper » 118 .

Notes
118.

Ibid, p 111.