1.4.4. Trois paradigmes pour des modèles d’action opposés.

Les trois conceptions de la violence successivement examinées, construisent trois paradigmes bien différents les uns des autres,. Les conceptions de l’action éducative, selon que l’on se situe dans l’un ou l’autre, diffèrent essentiellement.

Selon le paradigme éthologique, la violence est un héritage de la phylogenèse, elle est constitutive de tout être humain. Elle n’est pas significative d’une quelconquepathologie, elle n’est pas le signe d’un trouble du ou des sujets qui la mettent en acte. Elle est le symptôme de la faillite d’une société impuissante à la réguler parce qu’elle a échoué à concevoir, pour l’ensemble de ses membres, les instruments collectifs de dérivation que sont la culture et les traditions. La régulation de la violence a pour corollaire l’inscription des sujets dans les rituels sociaux. En conséquence,l’action éducative, doit agir sur l’environnement et le contraindre à intègrer les sujets pour qu’ils puissent participer à la culture commune. De surcroît, pour les éthologues, l’être l’humain est spécifiée par la capacité cognitive à concevoir la portée de ses actes. L’éducation a pour mission de développer les instruments de la raison. Elle travaille à une conscientisation, par le sujet, de son action sur le monde. Ce paradigme contient l’idée que, la régulation de l’agressivité, se réalise dans la culture, par le développement des connaissances et par la conscience d’être acteur du monde.

Le paradigme behavioriste, qui se présente lui aussi comme un paradigme sociétal, est à l’opposé de celui que nous venons de décrire. Pour les éthologues, la violence est une donnée phylogénétique essentielle. Pour les behavioristes, elle est une simple virtualité. Là où les premiers confèrent à l’environnement la fonction de la « dériver », les seconds lui confèrent la mission de la laisser en sommeil. La société ne doit pas ritualiser la violence, elle ne doit en aucune façon la susciter. Si d’aventure elle se manifeste, il convient de ne jamais permettre à ses auteurs d’en tirer le moindre bénéfice. La visée behavioriste est, au fond, essentiellement rééducatrice. Si la violence est mise en œuvre par un sujet, c’est que son environnement, peu ou prou, à accordé des bénéfices à sa manifestation. Dès lors, il convient de renforcer les comportements antagoniques à la violence 119 . Intégration et conscientisation de son action sur le monde pour les uns, modification des réponses de l’environnement et correction rééducative pour les autres, les voies sont bien divergentes !

Le paradigme psychanalytique entraîne vers un autre horizon. A partir du constat de la présence précoce et souvent exacerbée de sentiments négatifs générateurs de violence, les psychanalystes placent au cœur même du développement psychique la dialectique complexe des pulsions de haine et des pulsions d’amour. La personnalité future sera en grande partie dépendante de ces expériences précoces. Si les points de vue des psychanalystes divergent sur le sens à donner aux manifestations de la violence, ils s’accordent néanmoins sur deux éléments : l’importance des expériencesde la première enfance et des « qualités » de l’entourage familial, la conviction que la violence est signe de troubles précoces du développement psychique. Contrairement aux autres conceptions évoquées, ici, le sujet singulier est au cœur du problème. Ce sont les avatars de l’ontogenèse qui engendrent la violence Elle n’est ni du ressort de la société, au sens où l’entendent les éthologues, ni de l’environnement, au sens où l’entendent les behavioristes. Elle est une faillite historique du sujet. Cette conception porte en elle, quelle que soient les précautions prises pour la formuler, la mise en cause des qualités de l’entourage familial : échec des castrations oedipiennes pour Freud, insuffisance des expériences de satisfaction pour Klein, défaillance du holding chez Winnicott. La capacité de l’enfant à construire un être au monde dans lequel la haine, et son expression la violence, sera ou non centrale est fonction de l’aptitude parentale à contenir leur enfant dans le conflit de pulsions qui, précocement, l’habite. Ce paradigme met au premier plan les attitudes parentales.

Quelles voies de solution, de traitement et de régulation la psychanalyse permet-elle d’entrevoir, de concevoir ? Winnicott, et de façon moins convaincue Freud considèrent que le « traitement » de la violence est possible jusqu’à l’adolescence 120 , et qu’il relève de l’éducation et non de la psychanalyse. « En résumé, le traitement de la tendance antisociale n’est pas la psychanalyse. Il faut fournir la possibilité à l’enfant de redécouvrir des soins infantiles qu’il pourra mettre à l’épreuve et au sein desquels il pourra revivre les pulsions instinctuelles. C’est la stabilité nouvelle fournie par l’environnement qui a une valeur thérapeutique.(..) C’est l’environnement qui doit donner une occasion nouvelle à la relation au moi puisque l’enfant a perçu que c’est une carence de l’environnement dans le soutien du moi qui a suscité à l’origine la tendance antisociale  121 ».

Notes
119.

La pratique, répandue dans les établissements éducatifs, qui consiste à « offrir » aux adolescents délinquants des expériences de type « séjours de ruptures » est radicalement interrogée par cette conception.

120.

Il n’a pas, nous l’avons, vu la même conviction pour le traitement des adultes.

121.

Winnicott, D. W. Déprivation et délinquance, op. cit. p 158.