2.2. Les conceptions des précurseurs.

Les conceptions actuellement « disponibles » et « en usage », dont se revendiquent les travailleurs sociaux, ont une histoire. Celle-ci renseigne à la fois sur les évolutions des représentations de l’enfant, sur les convictions et les valeurs qui sont au fondement des choix éducatifs et sur l’évolution des outils conceptuels, des techniques et des méthodes utilisées.

Nous allons nous intéresser à celles qui ont prévalu durant la première moitié du vingtième siècle en parcourant, l’œuvre de quatre figures, emblématiques en matière d’éducation spécialisée : Aichhorn, Neill, Korczak et Makarenko. Nous n’avons pas opté pour ces auteurs au hasard. Confronté à des réalités diverses, chacun à sa manière a mis en œuvre, dans le champ éducatif, les découvertes majeures que ce siècle a engendrées.

En décryptant le fonctionnement de l’inconscient, en soulignant l’importance déterminante des expériences infantiles, la psychanalyse a profondément bouleversé notre conception de l’homme. Aichhorn, initiateur de la rencontre entre éducation spécialisée et psychanalyse, est à l’origine d’un mouvement qui nourrit, aujourd’hui les pratiques éducatives. Neill, défenseur d’une pédagogie libertaire, dans la lignée de Paul Robin 145 , de Francisco Ferrer 146 , saisit à bras le corps l’éternelle question de l’autorité. Il lui apporte des réponses d’une originalité radicale. Korczak directeur d’un orphelinat dont l’organisation autogestionnaire préfigure les conceptions institutionnelles en éducation spécialisée, a porté au plus haut point d’exigence l’éthique. Makarenko est, à son corps défendant parfois, le chantre de la pédagogie socialiste. Si l’idéologie communiste, laminée par l’horreur du goulag, n’a plus cours, il n’en reste pas moins vrai que, aux yeux de plusieurs générations d’éducateurs, elle a porté au plus haut leurs valeurs et leurs espoirs humanistes et solidaires. On pense ici à Deligny.

De plus, par-delà l’originalité de leur pensée et leur statut de chefs de files, chacun d’entre-eux a construit dans un quotidien laborieux, une oeuvre originale et reconnue parses qualités intrinsèques. Enfin, ils ont été confrontés au problème de la violence des jeunes qui nous préoccupe. Peu ou prou, les courants contemporains sont les héritiers de leurs conceptions. 147

Notes
145.

Paul Robin (1837-1912). Militant libertaire et pédagogue novateur, il dirigea pendant quatorze ans (1880-1894), l’orphelinat de Cempuis près de Paris, dans lequel il mis en œuvre ses conceptions éducatives

146.

Francisco Ferrer (1859-1909). Pédagogue espagnol, il fonde à Barcelone « l’Ecole moderne » conçue sur des bases « scientifiques et rationnelles » et dont il attend qu’elles contribuent au développement de la « solidarité universelle ». Il sera fusillé à la suite des émeutes révolutionnaires qui se déclarèrent à Barcelone en Juillet 1909 et tombera, selon la légende, en criant : « Je suis innocent, vive l’Ecole moderne ».

147.

On l’aura remarqué, nous n’illustrons pas toutes des catégories mises en lumière par A Capul et A Lemay dans leur typologie des courants de l’éducation spécialisée. C’est, nous semble-t-il, qu’elles n’ont pas toutes trouvé à se déployer de façon pertinente dans le domaine de l’inadaptation sociale. C’est le cas, par exemple, des théories du maternage thérapeutique, qui ont trouvé leur usage plutôt dans le domaine des personnes en situation de handicap, ou bien encore qu’elles n’aient trouvé, à ce jour, que peu d’écho en France dans ce domaine, à l’image des conceptions comportementalo-cognitivistes.