2.2.1. La psychanalyse et l’éducation : Aichhorn.

La rencontre entre la psychanalyse et l’éducation était inévitable. Les idées développées par Freud, situant dans les épreuves de l’enfance la source principale des névroses de l’âge adulte, ont suscité, parmi les psychanalystes, et ce dès le début du vingtième siècle, des débats passionnés à propos de l’éducation. Ceux-là, loin de se confiner aux seuls cercles psychanalytiques, s’élargirent en un dialogue riche et complexe avec les pédagogues les plus novateurs, alors mobilisés par la recherche de modalités pédagogiques plus respectueuses de l’enfant et de ses besoins propres 148 . Mais ce sont les conséquences dramatiques, dans les pays vaincus, de la conflagration de 1914-1918 qui incitèrent les éducateurs en charge des mineurs délinquants à se tourner vers la psychanalyse.

En 1918, Vienne, ex-capitale impériale, exsangue, est abattue par la défaite. La misère frappe violemment les populations les plus fragiles. Elle jette à la rue, dans une désorganisation totale, un nombre considérable d’orphelins et d’adolescents en rupture de ban. Privés d’appuis comme d’avenir, ils errent et vivent d’expédients. Pour eux, l’horizon le plus probable est la prison ou la maison de correction. Dans ce marasme, quelques humanistes, médecins ou éducateurs, revendiquent leur foi en l’homme. Ils relèvent, pour ces adolescents en errance, le défi de l’éducation. A l’image du Docteur Wilker à Berlin ou de Siegfried Bernfeld à Vienne, ils créent des structures d’accueil, mettent sur pied de véritables communautés éducatives et innovent, tant par le regard qu’ils portent sur les enfants que par leurs méthodes.

Aichhorn est de ceux-là. Il prend, en 1918, la direction d’un institut de rééducation situé à Oberhollabrunn, en Basse-Autriche. Il y reçoit des enfants et des adolescents, garçons et filles, qui lui sont adressés par les autorités de la ville de Vienne. Il dirige cet établissement jusqu’en 1922 et publiera trois ans plus tard, « Jeunesse à l’abandon » 149 , dans lequel donne à comprendre l’originalité de son approche des problèmes des adolescents difficiles.

Lorsqu’il prend la direction de l’institut, Aichhorn est déjà un pédagogue expérimenté. Désireux d’extraire les adolescents, qui lui sont confiés, du cercle vicieux de la délinquance et de la répression, il est en quête d’une théorie lui permettant à la fois de comprendre les processus qui conduisent les jeunes à rompre avec les règles sociales, et de concevoir des méthodes pertinentes pour leur venir en aide. La psychanalyse sera sa pierre de Rosette. « C’est en continuant de chercher que j’ai rencontré la psychanalyse, non pour devenir psychanalyste, non pour m’approprier un nouveau savoir, mais pour trouver de l’aide dans la lutte contre la délinquance ; pour comprendre les délinquants, pour déterminer un début de méthode qui ferait que la société et Etat ne le persécutent plus, ne l’arrêtent, ne le condamnent et ne l’enferment plus » 150 .

Mais quel usage l’éducation peut-elle faire de la psychanalyse? Freud, dans la préface de l’ouvrage aborde cette question. Ce texte est encore couramment cité pour la célèbre litote selon laquelle il y aurait « trois métiers impossibles : éduquer, guérir, gouverner » 151 . Il justifie aussi l’usage de la psychanalyse : « Si l’éducateur formé à l’analyse par expérience vécue est amené, dans certains cas limites ou complexes, à recourir à l’analyse pour étayer son travail, il faut lui reconnaître sans détours le droit de s’en servir : l’en empêcher relèverait de raisons mesquines » 152 . Par delà cette affirmation de principe, Freud discute l’usage et les limites de la psychanalyse pour l’éducation des adolescents en rupture.

En premier lieu, il énonce une exigence. Une connaissance livresque est insuffisante, le recours à la psychanalyse dans les situations difficiles suppose que l’éducateur soit formé à celle-ci par l’expérience vécue, en se livrant à l’analyse. Cela étant, pour Freud, si la psychanalyse peut étayer la pratique éducative, elle ne s’y substitue pas. L’éducateur ne se fait pas analyste des enfants difficiles. La psychanalyse soutient l’éducateur dans sa quête pour comprendre les ressorts des conduites asociales et lui donne des instruments pour penser sa propre pratique. Cette position de Freud tient à sa conviction de l’impossibilité d’analyser les adolescents difficiles, car il ne peuvent se soumettre au cadre analytique : « Le traitement analytique repose sur des conditions très précises, (…) il exige la formation de structures psychologiques très déterminées, une attitude particulière à l’égard de l’analyste. Là où elles n’existent pas –chez l’enfant, chez l’adolescent asocial, en règle générale aussi chez le délinquant dominé par ses pulsions-, il faut avoir recours à d’autres moyens que l’analyse, quitte à retrouver le même objectif » 153 . Il assigne à la psychanalyse une place originale dans son rapport à l’éducation. Si, selon les termes de Aichhorn, elle est précieuse à l’éducateur pour « guérir » l’adolescent en difficulté, elle est impuissante à mener à bien cette « guérison », les « malades » n’étant pas en mesure de suivre la cure. Elle est utile mais insuffisante pour fonder l’acte éducatif. Il faut y ajouter un « intérêt chaleureux », dit Freud, et une compréhension intuitive très sûre de leurs besoins affectifs » 154 . Aussi, il ne saurait exister d’éducation spécialisée psychanalytique, mais seulement des pratiques éducatives étayées par la psychanalyse. La qualité de l’action elle-même relève plus de l’équation personnelle, du charisme de l’éducateur, de son intuition, que d’une connaissance théorique.

L’originalité de la conception éducative de Aichhorn tient à la manière dont il articule, élaboration théorique et mise en œuvre des méthodes issues de cette élaboration. Parmi ceux dont il est en charge, un groupe d’adolescents se singularise par son extrême violence. Coups, insultes, destructions de toutes sortes, bagarres au couteau font partie du quotidien, à tel point que l’« on pouvait croire que des fous furieux habitaient le baraquement » 155 . Il s’interroge d’abord sur les sources de cette violence qui est, à ses yeux, l’expression d’une haine qui se porte sur autrui, sur le corps social tout entier Elle résulte de l’accumulation de frustrations affectives renouvelées : « Tous avaient été élevés sans affection et étaient soumis à des sévérités ou à des brutalités sans limites. Chez aucun de ces enfants, le besoin d’attention et d’affection n’avait été satisfait » 156 . Mais ce constat ne suffit pas pour fonder une pratique éducative. Afin de comprendre comment cette carence conduit l’adolescent à adopter des comportements violents, Aichhorn fait recours à la théorie psychanalytique. Celle-ci postule que c’est dans l’expérience infantile de chaque sujet que se construisent ses modalités d’adaptation à la réalité, selon un jeu dialectique entre principe de plaisir et principe de réalité. Qu’en est-il alors pour les adolescents qui manifestent une violence extrême ? La carence affective empêche l’évolution d’une partie du « moi » vers l’acceptation du principe de réalité. Elle maintient le sujet dans une situation infantile. Il reste exagérément soumis au principe de plaisir et aliéné à ses pulsions. En conséquence, les voies de la sublimation sont fermées. Fort de cette théorie, Aichhorn assigne à l’éducateur, la tâche de comprendre ce qui s’est passé dans l’expérience subjective du sujet : « sachant bien que pour la naissance de l’asociabilité, il soit nécessaire que des réactions subjectives aient marqué l’enfant. {…} si l’examen des faits ne nous donne aucune raison d’y croire : cet « excès de sévérité » peut être uniquement ressenti de façon subjective par l’enfant » 157 . Nous sommes loin d’une vision mécaniste selon laquelle une « mauvaise » éducation engendrerait sui generi l’apparition de conduites violentes. On s’applique ici à repérer par quels cheminements l’expérience infantile a suscité des conduites asociales. Les expériences vécues n’entraînent pas directement des actes ou des conduites mais déterminent la structuration psychique du sujet. L’expérience subjective construit le psychisme du sujet qui, à partir de là, réagit aux sollicitations de la réalité. La théorie psychanalytique permet d’appréhender les processus, largement inconscients, à l’œuvre entre l’expérience subjective et les conduites sociales. La psychanalyse apprend à l’éducateur « à discerner le jeu de forces qui se manifeste dans le comportement dissocial, elle l’éclaire sur les motivations inconscientes de l’état d’abandon et lui permet de proposer à l’enfant dissocial les voies par lesquelles il pourra se réintégrer dans la société » 158 .

La théorie, ici, a pour fonction de rendre intelligible. L’observation des conduites des enfants, la connaissance des évènements de leur histoire, sans son appui, resteraient insaisissables, incompréhensibles. Elle inspire et guide l’action éducative afin de prendre en compte la particularité, la spécificité de l’expérience subjective de chacun. Elle doit se construire à partir de l’écoute du sujet : « Ce qui importe ce n’est pas la situation objective, mais l’état de fait subjectif. Tout ce qui nous est rapporté par l’inadapté lui-même, ou par qui que ce soit ne sert qu’à déterminer cet état de fait » 159 . Elle n’en reste pas aux conduites manifestes : « Les signes ou les manifestations d’adaptation ne sont que les symptômes d’un courant de force qui n’est plus orienté vers la socialisation. Ils n’ont de signification que pour le diagnostic » 160 . Elle propose des approches personnalisées : « Il nous faut rester particulièrement vigilant parce que la tendance très répandue à la généralisation représente pour l’éducateur spécialisé un danger permanent » 161 . Elle est constamment inventive : « l’éducation, loin de se figer, doit toujours s’adapter rapidement à des besoins qui changent continuellement en mobilisant de nouvelles forces et contre-forces » 162 .

Aichhorn réussit l’articulation entre théorie de référence, qui fonde l’action, et modalités de sa mise en œuvre. S’agissant des conduites antisociales, elles sont la manifestation d’un problème psychique -la suprématie archaïque du principe de plaisir- qui trouve son origine dans la façon dont le sujet a subjectivement vécu les carences subies dans l’enfance. Les principes éducatifs découlent de cette élaboration. Il convient de ne pas s’en tenir aux conduites, d’accorder une attention privilégiée au vécu subjectif, de construire l’action en relation à la problématique personnelle du sujet. La violence est la manifestation ultime de la détresse du sujet dont les besoins affectifs n’ont pas été satisfaits. L’action éducative vise donc à identifier les besoins et à lui donner satisfaction. Cela dans une éthique éducative, dont Aichhorn décline les contenus. Il importe avant tout de refuser tout jugement de valeur. « Des jugements de valeur à caractère social moral ou éthique sont aussi vains que le fait de prendre partie pour les parents ou pour la société » 163 . De se situer délibérément au côté du sujet en considérant que, non seulement, ses conduites font sens, mais qu’elles sont justifiées : « Nous nous plaçons de son côté à lui. Puisque aussi bien toute réalité psychique est déterminée, nous nous disons : il a raison, ce qui veut dire ; il existe nécessairement des causes à sa façon d’agir » 164 . Se situer aux côtés de l’enfant ou de l’adolescent n’est pas se contenter de constater le déterminisme infantile à la source de ses conduites. Aichhorn n’adopte pas une attitude fataliste, il prône une proximité emphatique : « Pour nous il s’agissait d’êtres humains auxquels la vie avait apporté une charge de frustration de toutes sortes, bien trop forte pour eux ; leur attitude négative et leur haine envers la société étaient justifiées » 165 . Cette éthique détermine, en lien étroit avec l’élaboration théorique, l’organisation de l’établissement et les principes sur lesquels reposent les conduites éducatives: « Si nous voulons remédier à cet état d’abandon, nous ne devons pas nous limiter à en réprimer les manifestations, mais en premier satisfaire les besoins de nos asociaux même si, au début, cela nous vaut quelques ennuis et quelques orages, et si les « gens sensés hochent la tête » 166 . En clair, il convient ne pas s’en tenir aux symptômes mais d’aller au cœur des problèmes pour agir dans l’intérêt de l’enfant, sans se soucier des pressions sociales. Cette éthique commande de choisir le sujet contre la morale sociale ordinaire : « J’expliquais un jour que je tenais pour tout à fait compréhensible que les enfants continuent de voler une fois admis chez nous, et que, bien plus, dans certains cas, il était vraiment nécessaire du point de vue pédagogique de donner aux enfants la possibilité de voler » 167 .

Aichhorn s’attache à créer un milieu favorable, conçu et organisé afin de favoriser de nouvelles expériences sociales et de soutenir les sublimations. Il s’agit d’édifier « une psychologie de la réconciliation » 168 . il accorde une grande place à la constitution des groupes d’adolescents qui doit tenir compte de la personnalité de chacun. Dans un collectif harmonieux l’éducateur peut adopter des conduites éducatives cohérentes. A l’inverse des pratiques éducatives dominantes, soucieuses d’ordre et de règlements, conçues pour inculquer les normes sociales aux adolescents en rupture, Aichhorn croit à l’influence bénéfique d’un milieu tolérant conçu pour être le premier instrument du soin. Point de naïveté dans cette conviction : « Il ne faut pourtant pas vous imaginer que nos asociaux se transformèrent comme par enchantement dès leur arrivée. Quelques-uns restèrent longtemps étonnés, sceptiques, méfiants, incrédules. Un grand nombre, ceux qui étaient intérieurement endurcis, qui jusqu’à maintenant n’avaient plié que devant la brutalité d’autrui lorsqu’il était impossible d’y résister, ceux-là voyaient en nous des faibles (…). D’autres, les plus intelligents, nous prenaient franchement pour des imbéciles qui se laissaient faire. (…) Comme nous savions tout cela, il ne nous vint même pas à l’esprit de convertir le nouvel arrivant par de belles paroles. Nous laissions l’entourage agir sur lui et attendions le moment propice » 169 . Aichhorn, ne veut pas convaincre par des mots, mais par les faits : « On n’éduque pas à l’aide de mots, de paroles, de stimulations verbales, de jugements ou de punitions, mais au travers ou à l’aide de situations réellement vécues » 170 . En découle, par exemple, son insistance pour que le personnel partage ses repas avec les adolescents. Les adultes ne bénéficient pas de privilèges. N’oublions pas que cela se passe dans un pays et un temps où il est difficile de manger tous les jours à sa faim. L’organisation collective parle aux adolescents, elle décline métaphoriquement les valeurs éducatives. C’est le cadre dans lequel chacun peut et doit trouver sa place.

Evoluant au cœur de cet espace collectif, les éducateurs ont à adopter, quels que soient les actes commis ou les paroles prononcées, une attitude bienveillante faite de « bonté et de tolérance absolue ». Telle est pour Aichhorn la règle fondamentale qui s’impose car il convient «de combler le déficit affectif avant d’opérer une surcharge quelconque par des exigences que ces enfants ne pourraient pas assumer. L’utilisation de la coercition se serait révélée absolument néfaste » 171 . Ces postures bienveillantes ont d’autres fonctions. Ce sont des positions techniques qui permettent de susciter le transfert, clé de la guérison des adolescents délinquants. Le transfert est ce par quoi l’analyste a accès aux dimensions refoulées des conflits infantiles qu’il peut identifier puisqu’ils se reportent sur sa propre personne. Pour Aichhorn, il appartient à l’éducateur de susciter ce transfert, de s’y montrer disponible, perméable. C’est dans et par le transfert qu’il peut approcher la réalité subjective de l’adolescent, comprendre le jeu de sa dynamique interne. Il faut « en un mot que nous soyons prêts à le laisser agir sur nous par tout ce qu’il manifestera » 172 . Ce transfert doit être positif : « Il faut amener l’enfant à un transfert positif. Dans ce souci, l’éducateur ne peut se fier au hasard. Il doit méthodiquement tendre à obtenir la sympathie de l’enfant en sachant bien qu’aussi longtemps qu’elle lui fera défaut, aucune action éducative ne sera possible. Durant cette première phase de contact avec le sujet asocial, il importe essentiellement pour l’éducateur de saisir la situation psychique de son interlocuteur. C’est par là seulement qu’il parviendra utilement à orienter sa propre conduite » 173 . La tolérance poussée jusque dans ses limites extrêmes, vise un autre objectif: rendre possible le processus de l’abréaction qui est « une décharge émotionnelle par laquelle un sujet se libère de l’affect attaché au souvenir d’un événement traumatique lui permettant ainsi de ne pas devenir ou rester pathogène » 174 . En laissant libre cours à l’expression des affects de haine, Aichhorn favorise ce processus libérateur. « Nous avions devant nous le spectacle d’un enfant jusqu’ici asocial et rejeté essayant de s’insérer affectivement dans un contexte social : le groupe et les éducatrices. La potentialité libidinale qui se manifestait jusqu’ici sous une forme asociale trouvait ainsi, grâce à cette soudaine détente, une nouvelle orientation, se trouvant disponible pour les buts proposés par la vie sociale en groupe » 175 . Pour réunir les conditions de la survenue du processus d’abréaction, Aichhorn exige que, dans les conflits entre adolescents, les éducateurs n’interviennent que dans la stricte mesure où il y a un danger avéré et s’interdisent toute coercition, tout jugement sur les actes des uns ou des autres. Cette attitude exigeante, génératrice d’angoisse, de stress, est responsable, dit-il, de l’épuisement et du renoncement d’éducateurs pourtant compétents. Elle est néanmoins indispensable pour que se développe un processus éducatif ouvrant le chemin à une socialisation rendue enfin possible par la libération des affects traumatiques.

La psychanalyse n’est pas une science du sujet, mais une science avec le sujet. Elle ne construit pas un savoir sur l’autre mais un savoir avec l’autre qui, à son insu, est le seul à savoir. Elle se constitue et ne peut se concevoir que dans une écoute de l’autre, qui exclut tout jugement et qui engage le psychanalyste dans son être même. Fondamentalement, elle est un humanisme. Aichhorn se situe résolument du côté de l’enfant. Sa position éthique se fonde sur la conviction que, quoi qu’il fasse, il manifeste tout à la fois qui il est et ce qu’il peut comme expression de sa singularité d’humain et témoignage de son courage d’exister, cela doit être respecté. Il y a osmose entre la théorie et l’éthique. L’éthique et la théorie partent de l’homme et font retour à l’homme.

Aichhorn pense et construit les dispositifs éducatifs, choisit les modalités de l’action éducative au regard de la situation de l’enfant tel qu’il en fait lecture avec la théorie psychanalytique. Il ne s’agit aucunement d’une application dogmatique mais d’un questionnement de l’une par l’autre. La théorie éclaire les choix de la pratique, qui, en retour questionne la pertinence des constructions théoriques. La relation entre théorie et pratique est de l’ordre de la co-construction. Entre l’éthique et la pratique, la relation est d’une autre nature. La pratique se décline selon les exigences de l’éthique. L’éthique du sujet commande de se placer « délibérément » du côté de l’enfant. De fait, elle impose de prendre, contre le diktat imposé par les normes sociales elles-mêmes, le parti de l’enfant : « dans certains cas, il était vraiment nécessaire du point de vue pédagogique de donner aux enfants la possibilité de voler ». C’est là une exigence d’engagement total de l’éducateur. Ainsi l’action éducative, dans sa dimension pragmatique, se déroule sous le double sceau de la théorie, qu’elle co-construit, et de l’éthique, qui la justifie et la contrôle.

Si la violence fait ici problème, elle n’est pas pour autant le problème. Elle est la manifestation d’une haine légitime qui trouve son origine dans la non prise en compte dans l’enfance des besoins affectifs. Elle n’est donc que le symptôme d’un problème plus profond : celui de la carence affective dont les effets sont théorisés par la psychanalyse. Cette élaboration théorique détermine le choix d’une relation éducative engagée et soutenue par l’éthique, qui permet d’élucider les contours et les avatars de cette carence affective pour le sujet. Elle se construit de façon à donner satisfaction aux besoins essentiels du sujet dont la violence exprime la privation, et à lui permettre d’accepter les exigences de la réalité sociale. Dans cette conception, la violence est à la fois intégrée dans la dimension théorique, contenue dans la dimension éthique, et prise en compte dans le choix de la posture éducative retenue pour accompagner le sujet.

Notes
148.

Voir à ce propos l’ouvrage de Jeanne Moll : 1989. La pédagogie psychanalytique origine et histoire, Paris, Bordas. Il retrace l’histoire des rencontres et des débats entre psychanalystes et pédagogues dans les pays de langue allemande des origines à la fin des années trente.

149.

Aichhorn, A. Jeunesse à l’abandon, op. cit.

150.

Aichhorn, lettre au pasteur Pfister, citée par J Moll. In La pédagogie psychanalytique : op. cit. p 107.

151.

Aichhorn, A. Jeunesse à l’abandon op. cit. p 9.

152.

Ibid, p 10.

153.

Ibid, p 10.

154.

Ibid, p 9.

155.

Ibid, p 159.

156.

Ibid, p 157.

157.

Ibid, p 187.

158.

Ibid, p 14.

159.

Ibid, p 71.

160.

Ibid, p 49.

161.

Ibid. p 41.

162.

Ibid. p 75.

163.

Ibid ; p 23.

164.

Ibid, p 71.

165.

Ibid, p138.

166.

Ibid, p138.

167.

Ibid, p148.

168.

Ibid, p 139.

169.

Ibid, p 140.

170.

Ibid, p 149.

171.

Ibid, p 158.

172.

Ibid, p 88.

173.

Ibid, p 114.

174.

Laplanche, J. ; Pontalis, J. B. 1967. Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, p 1.

175.

Aichhorn, A. Jeunesse à l’abandon, op. cit.p 163.