2.4.4. Emergence de la violence-problème.

La littérature éducative apporte de nombreux enseignements sur la violence des jeunes.

Constatons d’abord que, problème professionnel, elle occupe actuellement une plus grande place que par le passé. A l’exception, notable il est vrai, de Aichhorn, qui lui consacre un chapitre 333 , elle n’est pas, dans les écrits classiques, une préoccupation majeure. Cependant, nous l’avons souligné, les actes de violence font partie du quotidien et ne paraissent pas en retrait des descriptions contemporaines. Les adolescents en rupture, errant et vivant d’expédients qui furent les compagnons privilégiés de Makarenko, de Aichhorn ou de Deligny, sont les proches parents de nos adolescents délinquants. Ils ne leur cèdent en rien en violence, ils ne leur cèdent en rien en désespoir. Ce sont moins les formes d’expression de la violence qui ont changé que la façon dont elle est perçue, le regard que les éducateurs portent sur elle. La place qui lui est accordée dans les préoccupations éducatives actuelle témoigne du fait que, d’un problème d’éducation elle est en passe de devenir un problème pour l’éducation. Que la difficulté est, en partie du moins, de pouvoir penser la violence à l’intérieur même du champ de l’éducation, de la considérer comme une donnée susceptible d’éducation. Dans les conceptions classiques, elle est, nous l’avons vu, contenue. Si les actes de violence posent problème, il appartient à l’éducateur, par son action propre et par l’intelligence des dispositifs qu’il met en place, de l’épuiser, de la détourner ou bien de la combattre. Somme toute, nous pourrions dire que la violence est une des questions qui justifie l’éducation. Une lecture attentive du discours et des analyses développés, tant par les tenants de l’institutionnel que par Petitclerc amène à penser qu’un de leurs objectifs tend précisément à intégrer, à réintégrer la violence comme une donnée sur laquelle il importe de produire de l’éducation. L’insistance qu’ils y mettent ne témoignerait-elle pas du fait qu’elle en aurait été exclue ?

Un autre déplacement entre les théories « canoniques » de l’éducation et les conceptions contemporaines a déjà retenu notre attention, à savoir l’apparition et le développement des approches psychologiques 334 . Nous avons constaté, que, absentes dans les élaborations de nombreux précurseurs, elles étaient devenues aujourd’hui incontournables. Cette entrée en scène est incidente. En effet, selon que l’on adopte ou non une approche psychologique pour penser la violence, le positionnement éducatif diffère. Si l’on se réfère, par exemple, à la conception que défend Deligny, la violence prend son origine dans l’organisation sociale et la cause de son apparition tient à l’injustice que subit le délinquant auquel il ne reste que cette ultime solution pour exister. Sa violence n’est qu’une réaction à celle qui lui est faite. L’éducateur, selon Deligny, est en fraternité avec le jeune délinquant pour concevoir la violence comme la création d’une société injuste. Elle est principalement extérieure au sujet. En conséquence, extirper la violence revient à lutter contre l’organisation sociale qui la génère, et à extraire le délinquant de la situation qui le contraint à y recourir. Dans cette conception, la violence n’est pas entre l’éducateur et le délinquant : elle est d’une part entre le délinquant et la société, d’autre part entre l’éducateur et la société. L’éducation doit porter avant tout sur la modification des conditions de la réalité dans lesquelles le délinquant sera amené à vivre. Eduquer revient à modifier l’environnement. Peu ou prou, les conceptions éducatives empreintes de psychologie partent d’un postulat qui met au premier plan la violence interne au sujet qui, dans des conditions défavorables n’a pu se sublimer. En conséquence, l’action porte sur le sujet lui-même. Elle cherche, selon des méthodes différentes en fonction des théories retenues, à permettre sa transformation. A une construction dialectique triangulaire de la survenue de la violence, mettant en perspective l’éducateur, la société et le délinquant, succède une relation duelle, un face-à-face qui peut alors, à tous moments, devenir un corps à corps.

Notes
333.

Il semble toutefois que, dans ce chapitre, Aichhorn souhaite avant tout démontrer la pertinence de l’usage de la psychanalyse dans des situations difficiles

334.

Si la psychanalyse est celle qui a (eu) le plus de succès, elle n’est pas la seule à être ou à avoir été en usage.