Les modalités du traitement des informations.

Cette phase de préparation achevée, nous avons élaboré, avant de nous lancer concrètement dans les entretiens, les grands axes de la méthode de traitement des données recueillies, afin d’envisager, éventuellement, des aménagements dans les entretiens. Nous avons effectué ce travail après les entretiens préliminaires, qui nous ont apporté, à plusieurs niveaux, des informations essentielles.

Tout d’abord, nous avons pu nous rendre compte de la durée approximative d’un entretien. Avec chacun de nos interlocuteurs, l’échange a duré environ une heure et demie. Il a conforté notre intuition de l’intérêt que revêtait pour eux le thème abordé : ils avaient « quelque chose à en dire » et ce « quelque chose » était rarement l’objet de leurs échanges entre professionnels. Nous avons également constaté que notre approche par le récit créait effectivement une atmosphère, propice à la réflexion. Nos craintes aussi de mettre nos interlocuteurs en situation difficile sont bien vites tombées : « l’on est toujours satisfait de parler de soi », nous a répondu l’un d’eux.

Nous nous sommes ensuite attaché à la retranscription exhaustivede ces premiers entretiens. Il nous est rapidement apparu qu’elle les affadissait, leur conférait une linéarité, une uniformité absente dans l’échange et rendait difficile l’extraction de leurs contenus les plus riches. Le ton employé, les nuances de la narration, les hésitations, les silences nous mettaient bien plus sûrement sur la voie des éléments importants qu’une lecture à plat des mots. Bref nousavons expérimenté que les matériaux parlés ne sauraient être exploités avec les mêmes méthodes que les matériaux écrits. La lecture de « L’entretien compréhensif » 339 de Jean-Claude Kaufmann nous a ouvert les voies pour l’analyse : « La retranscription intégrale ,écrit-il, change la nature du matériau de base, qui devient texte écrit, plus concentré sur le langage ; ce qui est idéal pour un traitement simplifié des données, mais pas pour mener une enquête approfondie  340 ». En transformant, par la retranscription un discours oral en texte écrit, nous nous privions d’une partie des clefs de sa compréhension. Un texte écrit, nous l’avons dit, livre son message à la fois par ce qu’il dit et par ce qu’il suggère, faute de quoi il se réduit à n’être qu’un règlement. C’est dans ses articulations, dans ses impasses, dans ses non-dits aussi que se trouvent et se découvrent les méandres et les subtilités de la pensée d’un auteur. Cette plus-value de sens, dont parle Eco 341 , est suggérée, dans l’écrit, par des procédés propres au langage écrit. Il en va tout autrement d’un échange oral, au cours duquel d’autres moyens et procédés sont mis en oeuvre par le locuteur pour exprimer sa pensée. La réflexion à haute voix déroule une pensée qui se construit différemment de celle que livre l’écrit : moins définitive, moins formelle, elle se construit en se disant. Elle contient une spontanéité qui offre, dans les lapsus, les jeux de mots, les associations d’idée, une pensée moins contrôlée et censurée.

Nous avons largement fait nôtre la méthode de traitement présentée par Kaufmann. Conscient que « le traitement des données, quel qu’il soit, est toujours un travail de réduction de la complexité du réel » 342 , nous avons entrepris une écoute de nos enregistrements en notant, à raison d’une idée par fiche, tous les éléments qui, à l’audition, retenaient notre attention : les éléments descriptifs, les réflexions, les arguments -tous, phrases ou fragments, notés in extenso-, mais aussi les intonations, les silences et les souvenirs de l’entretien nous revenant en mémoire à l’écoute des enregistrements. Nous avons noté les réflexions, commentaires et hypothèses qu’ils nous inspiraient. Cet essai, entrepris à partir des entretiens préliminaires, nous paraissant satisfaisant, nous avons opté pour cette méthode. Concrètement, nous avons réécouté, au moins à quatre reprises, nos enregistrements, consacrant la première audition à une écoute « pure » ; la deuxième à une prise massive de notes de retranscription ; la troisième à nos propres commentaires, ressentis et hypothèses ; la quatrième à glaner ce qui aurait pu nous échapper. Lorsque cette dernière écoute livrait un contenu important, nous avons réécouté une nouvelle fois l’enregistrement. Chacun de nos enregistrements a ainsi fourni une soixantaine de fiches.

Les entretiens préliminaires effectués, le travail de restitution de leurs contenus réalisé, il nous a été possible de déterminer le nombre d’entretiens à envisager. Nous avons pris en compte deux éléments principaux : le temps nécessaire pour les réaliser concrètement (la Haute-Savoie, département de montagne, contraint à de longs déplacements pour aller d’un lieu à un autre), le temps à prévoir pour procéder au dépouillement de leurs contenus. En conséquence, nous avons opté pour vingt entretiens.

Au terme du travail, nous avons entrepris le classement de ces matériaux représentant quelques mille deux cents fiches. Dans un premier temps, nous avons procédé à un classement thématique. Il reprend les thèmes de notre grille d’entretien, et ajoute ceux apparus au cours des échanges ; notamment les réflexions sur l’équipe éducative et l’institution. L’exploitation des matériaux, ainsi classés, a abouti à la catégorisation des récits, et à l’analyse thématique. Cela fait, nous les avons redistribuésen réunissant les fiches à partir des catégories de récits que nous avons constituées. Ce classement nous a permis de construire les portraits d’éducateurs.

Notes
339.

Kaufmann, J. C. 1996. L’entretien compréhensif, Paris, Nathan.

340.

Ibid, p 79.

341.

Cf infra p 31-32.

342.

Kaufmann, J. C. L’entretien compréhensif, op. cit. p 80.