3.2.1. Les récits et leurs acteurs.

Nous avons classé les récits en trois ensembles. D’abord, ceux que nous appelons d’appréhension 346 de la violence, dans lesquels le narrateur reste en quelque sorte « maître de la situation ». Il met en oeuvre une action qui n’a pas comme unique visée le retour à l'homéostasie. Par delà son apaisement, il entend « travailler » la violence. La situation mobilise fortement ses compétences et ses ressources pour conduire le conflit jusqu’à son terme et l'inscrire dans un processus éducatif pensé, construit. Viennent ensuite les récits d’épreuves. Plus nombreux, ils décrivent des situations vécues comme « limites », dont les éducateurs ne sont pas certains de l’issue, dans lesquelles ils sont malmenés et se vivent comme plus ou moins impuissants à trouver les voies d’apaisement ou de résolution de la crise. L’unique préoccupation est de faire cesser la violence, de s'en protéger, d'en protéger l'auteur. Enfin, les récits traumatiques, heureusement les plus rares, mettent en scène un moment catastrophique 347 dans lequel tout bascule, où la peur cède à la terreur, où il n’est plus question que de « sauver sa peau ». Ils décrivent des conséquences invalidantes pour l’éducateur qui vont bien au-delà de la résolution de la crise.

Avant d’exposer et d’analyser les caractéristiques propres à chacun de ces types de récits, énonçons quelques constats généraux. Dans la première partie, nous avons mis en évidence les figures de la violence telles que décrites par les éducateurs qui exercent auprès d'adolescents dans les établissements de l’éducation spécialisée. Nous en avons distingué quatre principales : la menace, l’agression sur les personnes, la dégradation ou la destruction de biens ou d’objets matériels, la violence retournée contre soi même. Nous avons constaté que la menace était le plus souvent évoquée, l’agression physique à l’encontre des éducateurs étant moins fréquente. Nous retrouvons ces quatre figures dans les récits de nos interlocuteurs dans des proportions différentes. En effet, secondaire dans les écrits, l'agression physique dirigée vers les éducateurs est ici très présente. La moitié des récits s’attache à la description d’un épisode de cette nature 348 . Ce constat, qui ne saurait donner lieu à généralisation, ne laisse pas d’interroger. En effet, les rédacteurs des écrits analysés -rédacteurs dont nous ignorons les identités-, sont, pour la majorité, acteurs dans les établissements où nous avons conduit notre enquête. Par conséquent, il est probable que nos interlocuteurs soient les mêmes que les rédacteurs des rapports ! Comment, dès lors, expliquer la différence entre les figures dominantes de la violence rapportées dans les textes et celles des témoignages ? Une première hypothèse pourrait être que ceux qui ont choisi de s’entretenir avec nous seraient particulièrement sensibles aux problèmes de la violence, que des expériences particulières les auraient motivés. Nous ne le pensons pas. Notre proposition a suscité, auprès des professionnels, un intérêt tel que nous n’avons pas « démarché » l’ensemble des établissements qui avaient accepté de mettre les écrits à notre disposition. Nous avons eu, sans devoir faire appel à tous les établissements, suffisamment d’éducateurs volontaires pour mener à bien notre programme d’entretiens. Compte-tenu de cela, nous avons repris l’examen des seuls documents écrits provenant des établissements et des services dans lesquels nous avons conduit des entretiens. Le portrait, qui apparaît est identique à celui de l’ensemble des textes. La menace reste la figure dominante. Dès lors, on peut penser que les agressions physiques envers les éducateurs sont plus nombreuses que la lecture des rapports de comportement qu’ils rédigent peut le laisser penser et qu’elles laissent dans la personnalité des empreintes tenaces. Peut-être, mais c’est là pure conjecture, restent-elle « confinées » dans l’institution ou dans le secret de la relation éducateur adolescent. Dévoiler leur existance serait-il vécu ou interprété comme le dévoilement de l’incompétence, d’une faiblesse personnelle ? Stigmatiserait-il l’institution témoignant d’une impuissance « honteuse » ? 349 Il y a là une recherche qu’il serait précieux d’entreprendre tant la souffrance des éducateurs en proie à la violence peut prendre un caractère extrême.

D’autre part, ces récits relatent des situations diverses quant à leur nature -conflits avec passage à l’acte, colère qu’il faut apaiser, tentative de suicide- et éloignées les unes des autres quant à leur intensité, à leur dangerosité. Quoi de commun entre l’expérience de Marc qui décrit la colère d’un adolescent déficient intellectuel qu’il a dû contenir en le plaquant au sol, et celle de Sophie qui, victime d’une tentative d’étranglement, n’a dû son salut qu’à l’intervention des passants ? Quoi de commun entre Thomas qui est « confronté à la violence au travers des comportements que les jeunes mettent en place entre eux, dans c’qu’ils peuvent casser, ou dans c’qu’ils peuvent exprimer au travers de leurs propos » 350 et Marie qui raconte que « A chaque fois que je parlais, que je disais une phrase, ça l’énervait encore plus, il m’agressait verbalement et tout… On était tous sur le qui vive, avec une boule à l’estomac, à se demander : qu’est ce qui va se passer maintenant ? ». Quoi de commun encore entre la situation que décrit Lucie qui a « sauté par-dessus le bureau, je l’ai attrapé, par le colback, je l’ai collé contre le mur, j’étais en train de faire le geste de lui mettre un coup de poing dans la tête »  et celle que décrit Fanny où une adolescente en colère, l’insulte ? Les récits sont d’une grande diversité et ont trait à de situations qui peuvent paraître bien anodines en comparaison d’autres qui sont paroxystiques. Ils racontent des histoires de bravade et d’injures et des agressions caractérisées. Ils donnent à lire la nécessaire contention d’un adolescent en colère et l’urgence d’échapper à un couteau pointé sur l’abdomen. Et pourtant, la dramatisation de leur narration accorde à tous, quel qu’en soit le caractère objectif, une tonalité extrême. Les mêmes affects, les mêmes vécus s’expriment avec le même vocabulaire. Revenons par exemple aux propos de Marc dans la situation décrite plus haut. Il ne s’est jamais « senti en danger ». Néanmoins, il s’exprime dans des termes forts: « J’ai été obligé d’intervenir et de le plaquer par terre, c’est quelque chose qui m’a marqué. […} Je me suis senti mal aussi, c’est une situation dure à vivre car on n’est pas forcément capable à ce moment-là de calmer par les mots, on est obligé d’employer la force physique, et c’est vrai que ça m’a déstabilisé, on se sent impuissant, terriblement impuissant. {…} Le fait d’agir physiquement ça me gênait énormément moralement ». Marie elle, est agressée physiquement et ses collègues lui font défaut. Elle appelle à son secours le directeur de l’établissement et devant son impuissance constate : « On était très déçu et démoralisé en se disant que si on n’a pas le soutien de notre directeur qui vient un peu pour nous épauler, on … on sentait qu’on n’y arriverait pas ». Les propos sont plus mesurés, dans une situation plus dramatique ! Question de personnalité, de pudeur ? Nous ne le pensons pas. Poursuivons le fil de nos récits. S’opposant à un adolescent qui reste obstinément devant la télévision à l’heure de passer à table, Virginie éteint d’autorité le poste. C’est alors dit-elle que « je me suis fait attaquer par derrière, j’ai pris des coups, j’ai failli être défenestrée de la mezzanine. (..) j’avais les mains qui tremblaient, on envisage tous les possibles et on se dit qu’on n’y arrive pas : on se sent totalement démuni ».

Quelles que soient les situations, elles font vivre aux éducateurs la crainte de l’impuissance, de la perte du contrôle de la situation, celle du « tout peut arriver ». La force des affects n’est pas essentiellement en lien avec la dangerosité réelle, mais avec l’angoisse que fait naître son risque potentiel. Ayant perdu, ou pensant avoir perdu la maîtrise de la situation, l’éducateur lui est en quelque sorte soumis, livré. Il y a là un point nodal : pour les éducateurs, l’expérience de la violence change de nature à partir du moment où il sont gagnés par le doute quant à leur capacité de la maîtriser. Le récit de Clara est très éclairant. Cette éducatrice débutante se trouve aux prises avec un adolescent dont elle connaît, par expérience, la capacité de violence et qui, passablement alcoolisé, refuse de lui donner la bouteille d’alcool dont il est en possession et qu’elle lui réclame. Elle s’en saisit d’autorité et tous deux se retrouvent à tirer la bouteille chacun vers soi. Dans cette situation, Clara raisonne : « J’insiste, je n’abdique pas, je résiste, je maintiens ma position, je sentais qu’il avait besoin d’un NON qui ne cède pas. Je me souviens d’une phrase qui me revient alors, on ne s’appuie que sur ce qui résiste ». Elle réagit là en professionnelle : elle réfléchit et ajuste son comportement à la réflexion. Elle reste centrée sur autrui, dans le souci de ce dont il a, selon elle, besoin. Elle poursuit : « on est resté vingt minutes à tenir ensemble la bouteille, au bout d’un moment, il m’a plaquée contre le mur…J’ai eu peur… J’ai eu mal … Il y a eu quelques minutes où je me suis dit « tout peut basculer » quoi. Surtout que j’étais toute seule, c’était un samedi soir et il était dix, onze heures du soir ». Ce passage met en lumière ce moment où, avec l’apparition de la peur, Clara passe en quelque sorte du souci de l’autre au souci de soi, de la contenance du mal-être de l’autre à l’envahissement par sa propre angoisse, sa pensée change d’objet et de registre. Elle pense que « tout peut basculer » et prend alors conscience qu’elle est seule. Elle n’est plus en mesure plus de penser le mal-être d’autrui, elle cherche une issue pour elle-même. C’est à ce moment précis, où bascule le point d’application de la pensée, que vont se mettre en place les scénarii qui aboutiront à l’appréhension, à l’épreuve ou au traumatisme. Ce moment est souvent évoqué, avec un vocabulaire imagé. Roland « a vu rouge », Lucie « a pété un câble », Madeleine était « complètement vous savez comme un berger allemand qui vous bouffe le truc ». Virginie elle « prend ses jambes à son cou ». Ces métaphores témoignent de la soudaineté de l’envahissement émotionnel qui saisit l’éducateur. Il ne s’agit pas d’une prise de conscience réflexive mais du saisissement du sujet par une certitude émotionnelle qui s’impose soudainement, brutalement.

Du traitement de ce surgissement dépend l’issue de la situation. Dans les récits d’appréhension, l’éducateur réagit et, à son corps défendant parfois, s’impose tout de même la maîtrise de la situation -nous ferons l’analyse des conditions de cette imposition-. Dans les récits d’épreuve, les éducateurs, plus ou moins désemparés, alternent les moments où, se ressaisissant, ils essaient de « bricoler » -le terme n’est pas ici péjoratif- quelque chose pour que la crise cesse, et ceux où, à nouveau envahis par l’angoisse ils doutent de leur capacité à y parvenir. Dans les récits traumatiques, l’éducateur submergé par les affects vit une expérience d’effroi et parfois d’anéantissement. Il est alors livré à la violence, il n’est plus en mesure de lui opposer quoi que ce soit, il n’est même plus en capacité de la fuir parfois.

Ce moment-clé de l’expérience n’est toutefois pas repérable dans tous les récits. Quelques uns n’y font pas allusion. C’est le cas, par exemple, d’Annie. Une adolescente, en proie à une fureur destructrice, entreprend de casser tout ce qui l’entoure et de cogner sur tous ceux qui l’entourent. Pendant plus de quatre heures, Annie s’emploiera à la contenir, à l’empêcher de détruire et de se détruire jusqu’à ce qu’elle cesse, libère sa tension dans les pleurs, et s’endorme. Que pense-t-elle aux prises avec cette furie ? « Moi j’étais tellement dans le… C’était tellement important pour moi que j’arrive à la calmer, à la cadrer, à la contenir, à la rassurer et à ce qu’elle puisse se calmer, se contrôler, que j’ai pas réfléchi si j’avais peur ou pas peur, si j’allais m’en prendre une ou pas, si je risquais quelque chose ou pas ». Son empathie maintient à distance les affects d’angoisse, de peur, qui sont, nous l’avons vu, à l’origine du basculement. Cette capacité n’est ni réflexive, ni stratégique elle semble s’imposer d’elle-même. « Difficile à gérer ? Non parce que quand on est pris dans le feu de l’action on fait les choses, on est dicté par l’envie qu’il se fasse pas mal, que la crise s’arrête ». Et Annie, pour appuyer son propos, va nous faire un autre récit : « Le plus loin que je me souvienne, c’était à l’école pendant mon stage. Je me suis retrouvée plaquée contre un mur avec un couteau sur le ventre et bien… Je sais même pas si je me suis bien rendu compte de ce qui se passait à ce moment là ! Le gars je lui ai dit « qu’est ce que tu vas faire ? Tu vas me planter, c’est dingue, tu finiras ta vie en prison et tu crois franchement que ça en vaut la peine ? » Il s’est mis à pleurer. Mais ça a été irréfléchi. Je lui ai dit ça comme ça, ça a été instinctif. Après, avec le recul, je me suis dit que j’avais pris un gros risque ». Etre « dicté par », agir et réagir dans le registre d’un « ça a été instinctif », dit assez la part essentielle de ce savoir-faire intuitif, qui échappe, en partie tout au moins, aux processus conscients, et dont la mobilisation, au cœur de l’action, permet de différer la survenue de l’angoisse. Cela peut aller jusqu’au déni de certains aspects de la réalité elle-même. Lorsqu’elle constate que l’adolescente lui donne des coups, Annie pense : « elle le fait, mais elle le fait sans le faire ». Ce récit témoigne d’une abnégation remarquable, mais les affects, mis sous le boisseau, ne tardent pas à se manifester. Elle poursuit : « sur le coup moi… c’est après que je ressens les choses. Sur le moment, sur l’instant, il faut gérer, il faut gérer la crise. Il faut que ça passe, on pense pas à ses émotions propres, en tous cas pas moi…C’est après, quand la tension est toute tombée » que les émotions surgissent. Et là, dans l’après coup, elles reprennent droit de cité : « je me suis retrouvée plusieurs soirs, dans ma voiture, en pleurs. A me dire ça y est…C’est fini…Tant mieux, ça va bien ». Ainsi nous comprenons un des aspects de la capacité de contenance de l’éducateur. Contenir la violence d’autrui dans une situation éducative suppose de conserver la capacité de penser l’autre et, pour cela, de ne pas être envahi par ses propres affects.

Les éducateurs insistent dans leurs écrits sur l’importance de la capacité d’anticipation, sur la vigilance. La difficulté d’interprétation de la situation est une constante dans les récits, et celui d’Annie permet de l’approcher. Elle enchaîne en effet : « L’épisode violent que je raconte ici, je ne le raconte pas tellement pour lui-même, mais parce qu’il me permet de parler de quelque chose qui est resté tabou. Le fait que cette jeune avait une relation sexuelle avec un éducateur. Je crois que c’est l’expérience la plus violente qu’il m’ait été donné de vivre (…) Il (mon collègue) a violé toutes nos valeurs». Et Annie raconte l’incompréhensible, l’inadmissible, la « culpabilité de n’avoir rien vu, rien deviné » et la colère après soi : « J’ai ressenti une phase de colère après…après moi. Je me suis dit c’est pas possible, qu’est ce qu’on a fait avec cette gosse, y a des choses qu’on ne voit pas ». Ce point est essentiel. Par-delà le jugement sur l’acte lui-même, ce qui la trouble c’est de n’en avoir pas eu l’intuition. Elle ressent sa « cécité » comme une violence extrême. Si la notion de surprise, d’inattendu est présente dans nombre de récits, « je ne m’y attendais pas », « je ne l’ai pas vu venir » sont des phrases qui reviennent souvent, le discours d’Annie laisse entendre qu’un point nodal est touché dans le dévoilement de son ignorance. Sans cela comment comprendre sa culpabilité ? Que la connaissance de l’attitude de son collègue soit source de colère, que, par empathie pour l’adolescente, Annie compatisse à sa souffrance, voilà qui parait bien légitime, mais que cette colère soit adressée à elle même, qu’elle soit envahie de culpabilité par défaut de divination en quelque sorte, voilà qui est plus singulier ! Pourquoi cet épisode est-il « l’expérience la plus violente qu’il m’ait été donné de vivre » ?

Pour comprendre cela, arrêtons-nous aux propos d’Emmanuel. Il insiste au début de notre entretien sur le moment qui précède la violence. Dans les situations de violence dit-il « il y a à chaque fois un crescendo . Une bagarre, elle part pas comme ça. La violence, elle part pas comme ça, c’est pas vrai. Ca va plus ou moins vite, mais il y a toujours un crescendo et dans ce crescendo, on peut intervenir ». Et il ajoute : « le ton monte, c’est clair et net. Donc c’est dans ces quelques secondes qu’il faut saisir la balle au bond et faire quelque chose ». Emmanuel décrit là une qualité essentielle à ses yeux : la capacité intuitive à interpréter l’environnement, les hommes et les situations. Elle est au fondement de la compétence éducative en cela qu’elle détermine l’attitude à adopter, la conduite à tenir. C’est sur elle que l’éducateur fonde son propre sentiment de sécurité. La survenue de la violence vient ébranler cette certitude et parfois même la fait voler en éclat. Mais le discours d’Annie entraîne plus loin. Se laisser surprendre par la violence d’un adolescent est une chose, ne pas voir que, dans le groupe d’adolescents dans lequel tous les jours elle exerce sa « compétence interprétative », se vit une relation « amoureuse » entre un éducateur et une adolescente ébranle la confiance qu’elle peut avoir en ses propres perceptions de la réalité. Ainsi peut se comprendre sa culpabilité : que vaut notre intuition si l’on est incapable de voir quelque chose d’aussi énorme ? Voilà la violence qui lui est faite : cette découverte réduit à néant la confiance qu’elle peut accorder à ses intuitions les plus profondes.

Un autre point mérite de retenir l’attention. Pour la majorité des éducateurs, cela ressort très nettement dans leurs écrits, la violence est l’expression d’un mal-être, mal-être qu’ils ont précisément pour ambition de soulager. Le déclenchement de la violence ne vient-il pas alors signer leur échec, dire la vanité de leur ambition ? Là est peut-être la source de ce sentiment d’impuissance, de ce fatalisme, de ce « on a beau tout essayer, ça explose toujours », si présent dans le discours de Marc.

Notes
346.

Nous employons le terme d’appréhension selon une définition précise, telle que la donne Alain Rey dans le Dictionnaire historique de la langue française, op. cit.Appréhension a en effet, un double sens concret et abstrait. Dans son acception concrète il signifie « saisir », « arrêter » (dans le sens d’arrêter un délinquant, par exemple), et dans son sens abstrait, « saisir par l’esprit ». Ce double sens qualifie la position singulière prise par les éducateurs acteurs de certains récits : ils se saisissent concrètement de la violence, l’affrontent, l’attrapent, pour ainsi dire à bras le corps et, dans le même temps, ils s’en saisissent par l’esprit, ils en saisissent l’esprit et mettent en œuvre, par cette compréhension, une conduite dont ils conçoivent la finalité comme éminemment éducative. Nous ne retiendrons pas ici le sens extensif du terme d’appréhension, aujourd’hui d’usage commun, qui en fait un synonyme de crainte.

347.

Catastrophe, du latin catastropha, est un mot d’origine grecque (katastrophé) qui signifie « bouleversement, fin dénouement ». Il est formé de strophé qui signifie « action de tourner » et de l’élément kata qui signifie « vers le bas ». Un évènement catastrophique est donc le dénouement d’une action qui a littéralement tourné vers le bas, d’une action qui a mal tourné. La catastrophe est le résultat d’un processus involutif. Selon Rey, A. Dictionnaire Historique de la Langue française, op. Cit.

348.

Sur les vingt témoignages d’éducateurs. dix concernent l’agression physique « délibérée » de l’éducateur par un ou plusieurs adolescents (situation décrite deux fois). Trois s’attachent à décrire une intervention physique de l’éducateur pour maîtriser un adolescent « en crise ». Deux décrivent un épisode au cours duquel l’éducateur anticipe l’agression et intervient physiquement à l’égard d’un adolescent. Un concerne une tentative de suicide. Un autre une séquestration. Un autre une agression verbale. Enfin, deux de nos interlocuteurs ne nous ont pas donné de descriptions précises.

349.

Cette hypothèse intuitive, nous vient de ce que, dans nombre de témoignages, les éducateurs expriment le sentiment de ne pas être entendus, que leur hiérarchie aurait préféré ne pas savoir. Nous y reviendrons.

350.

Dans la mesure du possible nous essayons de conserver, lorsque nous citons les auteurs, le style particulier de leur langage parlé.