3.2.2. L’après coup, reprise et élaboration.

L’expérience de la violence mobilise l’éducateur et le poursuit une fois la crise passée. Il y a un après coup de la violence. Il est parfois dépressif : perplexité quant aux compétences, sentiment de se « sentir nul », selon Virginie, burn-out, « c’est tuant » dit Clara. Les éducateurs expérimentent, dans ces moments-là, qu’ « on est notre propre outil de travail » (Clara) et doutent de l’opportunité de continuer ce « métier de fou » (Sophie). Cela étant, ce sentiment, s’il est récurrent, ne dure pas 366 . Le besoin de métaboliser l’évènement devient impérieux et prend le dessus sur les affects dépressifs. « Ca tourne beaucoup dans ma tête, y a l’incompréhension : pourquoi en arriver là ! » (Véronique). « Quand on rentre à la maison on se refait le film de A à Z pour se demander qu’est-ce que j’ai fait, ou qu’est-ce que j’ai pu dire, ou qu’est ce que j’aurais pu faire, et ça tourne, ça tourne, ça tourne » (Alain). Il faut comprendre, construire une intelligibilité de la crise. Ce n’est pas de tout repos. Ce travail est parfois douloureux et prend l’allure d’un véritable examen de conscience : « Ce qui est difficile, c’est de reconnaître sa part de responsabilité dans le conflit qui a conduit à la violence. La question qui vient tôt ou tard, c’est ma part de responsabilité dans cette spirale infernale qui mène à la violence… C’est délicat d’en parler » (Clara), mais, d’une manière ou d’une autre, c’est indispensable. Clara, par exemple, évoque sa méthode, le recours à l’écriture : « Moi j’ai besoin de comprendre. Ca me permet de mieux supporter. Après, j’ai besoin d’écrire pour décrire la scène de façon précise, pour mettre sur le papier ce que je ressens. C’est une façon de décharger toutes les émotions de façon à évacuer, faire sortir la pression. Après, je fais des hypothèses par écrit, en m’appuyant sur des théories et après je cherche d’autres moyens d’action, de réponses que j’aurais pu adopter : c’est préventif. (…) Ca permet de ne pas rester dans une impression émotionnelle, mais d’identifier, de clarifier, de repérer toutes les choses qui ont participé à la violence. Comprendre, trouver un sens, une logique ». Ce texte illustre le travail de l’après coup. Il faut évacuer, faire sortir la pression, se débarrasser de cette surcharge qui rend la pensée confuse. Le vocabulaire utilisé ici frappe car c’est celui là même qui est utilisé pour décrire l’adolescent en crise. La violence lui permet de « décharger », lui aussi, un « trop plein » ; la métaphore de la « cocotte minute sous pression » est très souvent utilisée. Tout se passe comme si il y avait, à l’œuvre dans la crise, un transfert des pressions. L’adolescent, par la violence, se décharge de la sienne devenue trop envahissante, et en charge par là même l’éducateur qui, à son tour, doit s’en débarrasser. Cela fait, une deuxième phase du travail commence, le travail de compréhension, construit ici à partir d’hypothèses appuyées sur des modèles théoriques. Clara s’assigne deux buts dans ce travail, mieux supporter, trouver de nouvelles modalités du faire. « C’est préventif », dit-elle. Il est indispensable de sortir des « impressions », de se dégager de la confusion. Le travail d’écriture opère cette mise à distance des affects. Il permet une réappropriation de l’évènement violent. Il n’est plus subi, il est travaillé, disséqué, reconstruit, bref maîtrisé. On observe la nécessité de revivre l’évènement dans l’imaginaire par la mise en scène les « réponses que j’aurais pu adopter ». Nous retrouvons, dans cette scénarisation, un phénomène de réparation analogue à celui que nous avions mis en lumière dans les récits traumatiques.

Il y a unanimité à considérer que la métabolisation de l’évènement est indispensable ; la méthode la plus souvent mise en avant est l’échange avec les pairs, en équipe au sein de l’institution : il faut en parler, il faut s’en parler. Ce qui est attendu de l’équipe et de l’institution est multiple. Ils ont à la fois une fonction de contenant du trop plein d’émotions, de soutien à l’éducateur en difficulté, d’empathie -ils doivent reconnaître « qu’il faut tellement de courage pour faire ça » (Clara)-, puis d’aide à la compréhension pour permette la mise en place de « solutions ». Force est de constater qu’ils y sont, lorsqu’on écoute les éducateurs, bien souvent défaillants.

Les éducateurs attendent de l’équipe et de l’institution un « soutien ». « J’en reviens toujours là, ce qui manque c’est le soutien » (Alain). Virginie est plus péremptoire : « Le premier besoin de l’éducateur est de se sentir soutenu par une institution et par une équipe ». Cette revendication exprime un besoin de réassurance. Le déchaînement de la violence génère un sentiment de singularité. Antoine en témoigne : « Savoir qu’ils avaient vécu la même chose, qu’on avait aucun autre moyen d’action, de prise (…). Intérieurement ça m’a rassuré. J’avais besoin d’en parler avec l’équipe, d’être écouté (…). Ce qui m’a… C’est dommage mais c’est vrai, que ce qui m’a rassuré c’est qu’on a réitéré les mêmes phénomènes de passage à l’acte avec d’autres collègues qui se sont retrouvés dans la même situation. En discutant, je ressentais qu’ils avaient vécu la même chose, qu’on avait aucune…aucun moyen d’action de prise. Intérieurement, ça m’a rassuré. Thomas lui fait écho : « C’est nécessaire pour plusieurs points. D’abord, ça permet de voir qu’on est pas tout seul à être confronté à certains problèmes avec les jeunes ». L’expérience de la violence isole du monde, aux affects de désarroi se mêle un sentiment de solitude et d’incommunicabilité de l’expérience « quand on est dans des trucs comme ça, on a le sentiment que personne nous comprend » (Chantal). Celui-ci est d’autant plus puissant qu’il s’y ajoute une angoisse particulière, un sentiment d’étrangeté : l’expérience parfois, submerge, et conduit à douter de la réalité du vécu : « On ne peut pas tout emmagasiner et tout se prendre dans la tronche parce que sans ça on va finir à l’hôpital psychiatrique » (Alain). L’échange avec les pairs à pour objectif de désinsulariserl’expérience. En la partageant, on en reconnaît la normalité, elle devient socialisable. Sans être banalisée, elle est rendue à sa dimension humaine. Marc exprime cette fonction de socialisation : « Avec l’équipe on n’évacue pas angoisse et impuissance, on la partage » dit-il. Le soutien, c’est aussi valider l’action car la gestion, parfois chaotique des situations violentes, sème le doute sur les compétences : « On attend qu’un collègue dise : « peut être j’aurais faits pareil », pour se réconforter et se dire qu’on a peut être choisi la bonne solution » (Marc). « Ce que j’ai fait, est-ce que ça peut être validé », se demande Chantal. Cette double fonction de réassurance et de validation de l’action est indispensable. Chantal, très éprouvée par une expérience traumatique, ne peut reprendre le travail que parce qu’elle a éprouvé le soutien de son équipe : « Revenir ? Je crois que c’est premièrement le soutien de l’équipe. Je sentais que derrière, j’étais pas toute seule parce que toute seule je serais pas revenue ». De plus, savoir que l’on sera soutenu par l’équipe permet de se sentir assuré plus longtemps dans l’action. « Quand on a pas de soutien, on est plus vulnérable, nos limites sont plus facilement là » (Alain). L’équipe « soutenante » est en quelque sorte une présence absente. Savoir qu’elle sera en phase avec la conduite des actions rassure et permet d’aller de l’avant. Ce soutien escompté, anticipé, atténue le sentiment de solitude et d’isolement qui bien souvent assaille l’éducateur dans les situations difficiles : « Même si on est seul, dans sa tête on est quand même une équipe », dit Marie. Cette équipe « dans la tête », mentalement présentifiée, permet de ne pas se sentir acculé dans la difficulté : « On sait que si nous on peut plus, il va y avoir quelqu’un qui va prendre la relève, donc qui va assurer (…) Ca permet de pas porter le truc tout seul, parce que c’est quand même lourd » (Alain). A contrario, cette absence de soutien est ressentie comme particulièrement péjorative, elle génère de véritables angoisses d’abandon : « J’ai un « sentiment d’impuissance, une désillusion. (…) Ca m’est arrivé de tomber un peu dans le désespoir à ce niveau là, sans le soutien de l’équipe. Ca a affecté l’envie de continuer ce travail. » (Clara). Parfois même, elle est vécue comme une violence.

L’échange après coup, permet de vérifier et de refonder la cohésion de l’équipe. Elle est indispensable : « Seule, je ne peux rien faire. C’est un combat trop dur à mener. Il faut une cohésion d’équipe » (Clara). Travailler la violence, travailler avec la violence est un « combat » et seule la cohésion des éducateurs est en mesure d’assurer la cohérence des actions individuelles. L’échange après-coup vient réaffirmer l’engagement dans le « combat » commun et la cohésion de tous. Elle se fonde sur des valeurs partagées : « On essaie de conjuguer nos valeurs », dit Antoine, qui ajoute : « La cohésion de l’équipe, c’est être d’accord sur les valeurs à faire passer au niveau des jeunes », et doit être renouvelée à chaque nouvel épisode de violence. L’échange, Roland le rappelle, réaffirment le respect du sujet qu’est l’adolescent en crise : « Le travail en équipe, j’y reviens, c’est là (à propos de la violence) que c’est important. Il doit y avoir obligatoirement une cohérence, et une cohésion dans ces gestions là de l’humain. Quand il y a clash, il faut les accompagner dans leurs pétages de plombs ». Par-delà la restauration narcissique, il permet de se resituer collectivement par rapport au sens de l’action, de subordonner ce qui se dira, ce qui se fera, le « combat » qui sera mené, aux exigences de l’éthique. Apparaît là, en filigrane, une fonction essentielle de la régulation. Elle permet de se protéger de la vengeance, de ne pas confondre combat contre le violence et combat contre le violent ?

Cela fait, vient le besoin d’analyser l’évènement, de se demander pourquoi là ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi moi ? Le moment de s‘interroger sur ses propres conduites, de rendre intelligible l’évènement car « ça fait partie de la violence de ne pas avoir compris » (Clara). « Ca tourne beaucoup dans ma tête. Je me suis interrogée sur la relation que j’avais avec cette jeune fille. Quelle part j’avais en fait là dedans. J’en avais une c’est sûr (…) En parler ça résout pas tout mais ça aide beaucoup » (Véronique). Ce besoin de comprendre est d’autant plus important que, bien souvent, les éducateurs ont la conviction que leur propre attitude est, si ce n’est à l’origine, tout au moins en cause dans la survenue et le développement de la violence. Aussi est-il essentiel de se demander : « Qu’est-ce qu’on renvoie ? Se poser la question de savoir qu’est-ce qu’on renvoie » (Fanny).

En définitive, la reprise de l’évènement dans l’après-coup remplit quatre fonctions : une fonction de réassurance, une fonction de validation, une fonction cohésive et enfin une fonction d’intelligibilité. Ces fonctions restauratrices, mettent en lumière le bouleversement que la violence fait vivre. Au doute sur la valeur de son action se superpose celui de la normalité des émotions ressenties, auxquels se surajoutent l’angoisse de n’y rien comprendre et l’inquiétude quant à la capacité de résistance, de cohésion du collectif. Cela étant la mobilisation de l’équipe éducative va au-delà. Elle renouvelle le pacte éducatif dans un processus collectif qui, pour résister à la violence, met en scène l’empathie réciproque et indéfectible de ses membres, réaffirme les valeurs communes et l’éthique qui les fondent. La « réunion d’équipe »est le rituel qui permet ce processus. Nous y reviendrons dans un prochain chapitre.

Cet échange est à haut risque. La peur du jugement d’autrui est souvent présente. « Je peux redouter que mes collègues me renvoient : « tu l’as bien cherché, t’y es pour quelque chose. C’est la phrase qui tue », dit Clara. Chantal illustre cette inquiétude dans un parfait lapsus : « L’équipe valide ce qu’on ressent dans un jugement qui n’existe pas ». L’important, ajoute Thomas, c’est « le respect des gens. Savoir parler des problèmes et les dire mais sans tomber dans le jugement, sans tomber un peu trop dans l’agressivité ». C’est assez dire que la crainte du jugement d’autrui se mêle inextricablement au besoin de lui parler. Il ne s’agit pas de se soustraire à la critique mais le temps du jugement ne saurait se confondre avec celui de l’expression des émotions ; il y a un temps pour tout et un ordre des choses. Entendre la critique n’est possible que dans un temps second et seulement dans la mesure où la réassurance narcissique a été suffisamment réparatrice. Clara, par exemple, est parfaitement lucide de son implication dans ce qu’elle appelle le « déchaînement de la violence », elle sait bien qu’un temps viendra où il lui faudra « reconnaître sa part de responsabilité dans le conflit qui a conduit à la violence ». Il y a, pire encore que la crainte de la critique prématurée des pairs, la peur de leur indifférence. « J’en ai voulu à mes collègues, j’avais l’impression qu’ils s’en foutaient complètement » dit Alain. Cette indifférence, souvent évoquée à propos de l’encadrement, est une véritable violence. Elle fait éprouver un sentiment d’instrumentalisation d’autant plus intolérable qu’il réitère celui de la situation de violence : « Cette sensation qu’on attend que les éducs soient pressés comme des oranges pour faire quelque chose, pour se rendre compte que ce qu’ils vivent n’est pas acceptable, pas possible » (Colette). Elle ajoute : « ce qui fait violence, c’est que nous, on a l’impression qu’on est jamais entendu, qu’on est jamais écouté ». Certes, ce discours est classique, banal, le sentiment de n’être jamais suffisamment estimé par sa hiérarchie n’est pas, en soi, d’une grande originalité, mais cette « indifférence » génère dans le cas précis des vécus de violence, un surcroît de souffrance qui tient au fait de n’être pas reconnu d’autrui sans sa souffrance précisément. «  Ce dont j’aurais davantage besoin à ces moments, c’est de reconnaissance (…), d’avoir toujours ces regards très durs, souvent négatifs des jeunes, on vient à douter : c’est nul. Tout est nul » (Clara). Et lorsque ce sentiment de nullité n’est pas minoré par l’empathie, quand l’écoute ne vient pas restaurer l’estime de soi, la souffrance s’exacerbe. Ecoutons à ce propos Virginie. Elle doit, sans qu’il y ait eu avec elle aucun échange, accompagner une adolescente pour une intervention volontaire de grossesse. Elle ne connaît pas cette adolescente et n’est chargée de son accompagnement qu’en raison de l’indisponibilité (dont Virginie pense qu’elle est de circonstance) des collègues qui en sont responsables. Virginie est une jeune femme sans enfant, pour laquelle, nous le comprenons à demi-mots, un avortement ne va pas de soi et suscite une foule de questions à la fois morales et personnelles. Elle est troublée, bouleversée à cette idée et ne se sent absolument pas capable d’accompagner une jeune fille dans une telle démarche. Elle n’a néanmoins pas le choix et effectue cet accompagnement. Lorsqu’elle raconte cet épisode, elle reste très mesurée même si son émotion est perceptible, sa colère ne se manifestera qu’à la fin de son récit lorsqu’elle dira : « Pas un de mes collègues et je revoie même pas mentalement qu’un de mes collègues m’ait dit : « oh là là, ça a dû être violent ça ». L’indifférence prive le sujet d’une reconnaissance dont il a, là, infiniment besoin. Elle le castre dans sa volonté de partager l’épreuve, elle lui coupe la voie d’une ré-humanisation, elle le laisse à sa nullité en lui refusant une socialisation de ses éprouvés. Elle le traite en définitive comme un paria 367 .

Les éducateurs ont souvent exprimé le sentiment que leurs hiérarchies étaient indifférentes à leur souffrance, qu’elles ne faisaient que rarement preuve l’empathie et que, la crise passée, tout reprend comme avant : « Il y a l’évènement violent, mais je me dis qu’après il doit y avoir une suite à ça aussi bien pour l’éducateur que pour le jeune que pour l’institution. (…) Je suis vraiment surprise ; c’est un peu comme un raz de marée. Le raz de marée passe puis après on reconstruit, on recommence. Mais je suis surprise qu’il n’y ait pas un temps d’arrêt. Ca ça me questionne beaucoup… Pour mettre du sens » (Léa). Roland lui, attend autre chose de l’encadrement. Educateur assuré dans son métier, la confrontation à la violence est une des motivations essentielles de son choix professionnel et il en assume parfaitement les risques : « Moi je fais mon travail, j’attends de lui (le chef de service) qu’il fasse le sien. (.) J’attends de lui qu’il fasse son métier ». Et quel est ce métier ? « J’attends de l’encadrement une écoute de l’état de l’équipe. (Qu’il soit) capable de comprendre quand il faut arrêter. (…) Si moi j’arrive pas à savoir que le jeune va trop loin et que j’en peux plus, lui il doit me le dire ». Il y a là une demande de lucidité préventive. Confrontésà la difficulté au quotidien, les éducateurs craignent de perdre les repères de l’acceptable et de l’inacceptable : « Des fois on perd le fil de la vraie vie, on est sur une autre planète » (Véronique) ; pris par l’action, leur lucidité s’amenuise, « la violence aveugle » nous avait dit Olivier. La hiérarchie doit exercer une vigilance attentive à ces phénomènes et prévenir l’irréparable. Roland, comme certains de ses confrères, sont eux prêts à aller fort loin pour travailler la violence mais conscients, à défaut d’en être lucides, de leurs limites, ils confient à l’institution le soin de les leur rappeler.

L’après de la violence, s’il n’est pas élaboré, peut être destructeur. Quelques éducateurs évoqueront furtivement des « collègues qu’on a poussé dehors » (Madeleine) parce qu’ils cédaient eux-mêmes à la violence, ou avaient des conduites auto destructrices : « J’ai vu des gens qui venaient au boulot avec quelque chose dans le ventre. Ils allaient au bistrot avant de boire (sic) » (Madeleine). Le lapsus dit assez la chronicité. Cela étant, l’expérience de la violence ne motive pas tous les éducateurs à élaborer de nouveaux arts de faire. Les exemples d’Emmanuel décidant de ne plus jamais en venir aux mains, ou de Madeleine qui pour dépasser sa peur devient une karatéka émérite restent isolés. Le plus souvent, passé l’acmé de la violence, les choses en reviennent à leur ordre précédent. Tout au plus « on est plus méfiant, plus sur ses gardes » (Véronique). Il y a, à l’instar de celui de Véronique, un discours fataliste, résigné : « Demain est un autre jour, il y a d’autres aventures qui nous attendent. C’est pas si simple de revenir au boulot mais ça fait partie de boulot. C’est des risques auxquels il faut s’attendre, ça arrive » (Véronique). « C’est peut être nécessaire d’accepter son impuissance, c’est aussi reconnaître l’existence de l’autre et de sa différence » (Clara). Une ligne de partage sépare les éducateurs pour lesquels la violence est au cœur de l’éducation et ceux pour lesquels elle est une manifestation pathologique. Les premiers considèrent que « éducateur c’est un boulot où on doit être préparé à ça » (Madeleine) et ils s’y préparent. Pour eux, l’élaboration post-crise dépasse les fonctions que nous venons de décrire et les engage à une réflexion concernant leur propre violence et leur propre rapport à la violence. Celle-ci peut les conduire à une transformation radicale de leur pratique. Pour les seconds, la violence marque la limite de l’éducabilité et, s’ils conviennent qu’elle doit être partiellement supportée, elle prend le statut de manifestation pathologique dès qu’elle dépasse leur capacité de tolérance. « La violence », dit Thomas, « peut se révéler jusqu’à un certain niveau puis après on franchit des limites qui font qu’on a pu affaire à des réponses éducatives mais à des réponses plus psychologiques ». Cela étant, dans un lapsus saisissant, il témoigne du peu de crédit qu’il accorde à l’efficacité supposée de la prise en charge psychologique : « Après, pour la violence, il y a des soins.. Peut être palliatifs ». C’est assez dire que c’est sans espoir ! La modification des pratiques ne s’impose pas à la majorité des éducateurs et, une fois passé le moment difficile de la crise, une fois la fonction réparatrice de l’équipe effectuée, le retour à l’homéostasie contribue à l’oubli de la difficulté. Il en reste une trace, la marque d’une douleur, le souvenir de quelque chose qu’on ne voudrait plus revivre. Olivier résume ce parcours : « Ces situations m’ont marqué, (…) le fait d’en parler aux autres permet de mieux structurer sa pensée (…) après ? On fait la politique de l’autruche, on oublie, on évacue ».

Notes
366.

En tous cas, pour nos interlocuteurs qui, tous, ont fait le choix, du moins au moment de notre rencontre, de poursuivre ce métier avec des adolescents et en internat.

367.

Le nom paria désigne, en Inde les hors castes. Considérés comme impurs, ils pratiquent en général des professions liées à la souillure. Rey, A. Dictionnaire Historique de la Langue française, op. cit.