Entretien n°1 : Clara.

Clara, 30 ans, monitrice éducatrice depuis moins de 5 ans, travaille depuis 2 ans dans l’établissement au moment où nous la rencontrons.

si vous voulez bien je propose que vous me racontiez un épisode où vous même vous avez été en situation d’être confrontée à de la violence, un moment qui vous a paru particulièrement important

Donc c’était à l’occasion d’un week-end où je travaillais seule(I) il y avait trois ou quatre jeunes sur le groupe il y avait un jeune qui avait de grosses difficultés au niveau familial un jeune qui venait de Guyane il est arrivé à l’âge de dix ans en France avec sa maman un jeune qui ne connaissait pas l’identité de son père donc c’est pour situer et ce jeune suite je pense à un coup de téléphone de sa maman était mal et au moment du repas il arrivait avec une bouteille d’alcool qu’il était bien décidé à ouvrir et à consommer je lui ai dit je lui ai rappelé le cadre la règle l’alcool était interdit sur le groupe(I) il refusait de me donner la bouteille ça a duré au moins un quart d’heure vingt minutes on a discuté moi j’ai essayé à ce qu’il obtempère pour me donner la bouteille finalement il a accepté de me la donner on a passé le temps du repas ça c’est apaisé et à peu près une heure après il est à nouveau apparu avec une autre bouteille d’un alcool assez fort je sais plus ce que c’était et voilà donc même chose quoi je lui ai demandé cette fois ci à nouveau la bouteille puisque j’en avais déjà une que j’avais mis dans le bureau des éducateurs que j’avais réussi à confisquer mais cette fois là pour la deuxième bouteille il était vraiment décidé à la consommer à tel point qu’à un moment donné j’ai du prendre la bouteille alors qu’il l’avait déjà dans les mains et on est resté à peu près au moins vingt minutes tous les deux à tenir cette bouteille(I) parce que moi je lui ai dit « non je ne vais pas le lâcher il faut que tu me la donnes de gré ou de force » donc il y a une lutte un peu physique comme ça pour que je reprenne la bouteille et au bout d’un moment il m’a plaquée contre le mur il m’a pris les poignets comme ça pour m’empêcher de bouger sur le moment j’ai eu peur il m’a même fait mal quoi parce que c’était assez violent et je pense que à ce moment là oui je l’ai regardé dans les yeux je lui ai dit « là tu me fais mal je crois que t’as pas envie de me faire mal » parce que je crois qu’il était vraiment hors de lui vraiment dans un état de colère j’ai eu peur qu’il ne se contrôle pas qu’il aille au delà de ce qu’il voulait faire(I) et là je lui ai dit « je crois que t’as pas envie de me faire mal donc arrête » il y a eu un temps mort et il s’est arrêté mais c’est vrai que ça à été quelques minutes qui ont été où d’un seul coup je me suis dit tout peut basculer quoi surtout que j’étais toute seule c’était un samedi soir vers dix onze heures du soir (p 202)et finalement il s’est calmé quoi petit à petit la tension est descendue il a fini par me donner la bouteille (II) quoi dans cette soirée là après il y a eu pas mal de choses qui sont venues ensuite une heure après il est revenu il m’a menacé de se trancher la main(I) parce qu’il était vraiment très très mal dans un état dépressif assez profond je sais plus pour quelle raison il m’a demandé quelque chose que j’ai refusé peut-être que c’était encore par rapport à cette bouteille que je refusais de lui donner et il m’a dit « si c’est comme ça je vais me trancher la main » donc il est allé chercher un couteau dans la cuisine et il m’a dit « oui tu me crois pas tu me crois pas et bien tu vas voir » et il a fait le geste il s’est tranché la main donc je crois qu’il faut vraiment être dans un état profond de désespoir et d’une rage intense(I) donc à nouveau panique à bord(II) quoi j’ai essayé de je voulais voir d’abord ce qu’il en était il ne voulait pas me montrer j’ai voulu appeler le SAMU parce que ça pissait le sang et il a refusé il m’a dit « ouais si tu fais ça si t’appelle les secours je me jette par la fenêtre » je lui ai dit « bin non écoute non je ne peux pas te laisser comme ça il faut sûrement faire des points de suture » et il refusait d’aller à l’hôpital donc dans le moment où je vais dans le bureau des éducateurs il remonte dans sa chambre dans ce cas là il y a un autre jeune qui intervient qui dit il est en train de passer par la fenêtre je lâche le téléphone je monte dans la chambre et là effectivement il était en train de il était à cheval sur la fenêtre donc je l’ai retenu pareil ça a duré encore une quinzaine de minutes j’essayais de le calmer quoi pour le faire déjà première chose rentrer dans la chambre pour le protéger de lui-même et c’est vrai que c’était un moment assez éprouvant pendant ce temps là les secours sont arrivés et ils ont du lui faire une injection pour le calmer ça a été une lutte même avec les gens du SAMU ils ont été obligés de le plaquer contre le sol parce que sinon il continuait à se faire mal à se taper les poings ou la tête contre les murs je crois qu’il était dans un en crise enfin voilà en gros je sais pas si vous voulez plus de détails il y a plusieurs choses il y a à la fois de la violence mais qui est plus retournée contre lui-même et je pense qu’il y avait peut-être une tentative à un moment donné cette violence cherchait au départ à s’exprimer un peu contre l’éducateur à un moment donné et je pense qu’il avait quand même conscience de cet interdit en tout cas il s’est pas autorisé à pousser plus loin son acte contre l’éducateur et il se l’est retourné contre lui-même je l’ai un peu ressenti comme ça parce que ils se font des menaces des comportements d’intimidation(I) pendant un an ça a été comme ça avec ce jeune c’est déjà arrivé que… après cet événement là c’était à peu près deux mois après le début de sa prise en charge et après ça a été de plus en plus manifeste ce genre de comportement pas les tentatives de suicide quoi qu’il y en a eu encore deux ou trois après ça lui est arrivé d’absorber des médicaments de se mettre d’ingérer de l’alcool de se mettre dans des états d’ébriété assez avancés en tous cas des comportements de je sais pas si on peut dire des comportements de violence sur le matériel ça lui est arrivé de casser des portes de prendre des pots de fleurs de les balancer des choses assez impressionnantes mais je pense que c’est un jeune qui arrive à se mettre la limite pour pas porter atteinte à l’intégrité physique des gens(VIII) que ce soit de ses collègues des autres jeunes sur le groupe ou des éducateurs mais il poussait quand même très très loin les limites à tel point que au bout d’un an on a décidé d’arrêter la prise en charge parce que comment dire il provoquait un sentiment d’insécurité(VIII) notamment au niveau des jeunes mais aussi au niveau des éducateurs beaucoup d’éducateurs après ont démissionné face à ce jeune donc ils le laissaient tout faire il était dans une toute puissance quelque part par peur (VIII) à chaque fois je pense de lui dire non parce que dès qu’on lui disait non et bien on risquait de se faire plaquer contre le mur c’était ça il supportait pas la frustration

Dans le moment que vous racontez là cette soirée quand vous êtes dans la confrontation du côté des sentiments chez vous qu’est ce qui domine qu’est ce qu’on ressent

je crois sur le moment je me suis dit là j’ai pas le choix je suis seule je peux compter que sur moi-même je crois que j’ai réagi de façon assez spontanée quoi mais j’aurais pu prendre mes jambes à mon cou prendre la fuite(II) mais là je pense que c’était l’instinct de survie qui a prédominé et même temps quand je regarde ça avec du recul oui je sais pas où j’ai trouvé cette force sur le moment parce que c’était la première fois que je me trouvais confrontée à une situation comme ça et je me suis dit faut que je reste calme et que je lui communique ce calme(II) que j’arrive à…

C’est ce que vous vous dites consciemment dans le moment ou c’est après

je crois que c’est après coup en analysant j’aurais pu peut-être paniquer mais après coup sur le moment c’était la spontanéité j’étais peut-être plus éducatrice sur le moment ça c’est passé tellement vite que oui c’était une réaction spontanée

Mais après ça a duré un certain temps quand même si vous êtes restée un quart d’heure à tirer sur la bouteille j’imagine qu’il y a des choses qui vous passent dans la tête et dans les émotions

oui oui sur ce moment là je me dis j’essaie de réfléchir je me disais et en même temps je réfléchissais avec lui à voix haute je lui disais « attends tu trouves pas que ça paraît un petit peu ridicule là notre situation franchement on va rester combien de temps » et puis en même temps il y avait une sorte de jeu en même temps relationnel je me disais en même temps « si moi j’insiste je n’abdique pas si je résiste en tous cas si je maintiens ma position » je sentais qu’il en avait besoin en tous cas de cette à un moment donné d’un non qui ne cède pas (p202) (II)je sentais qu’il y avait ce besoin de se confronter à une limite j’ai toujours une phrase qui me revient « on ne s’appuie que sur ce qui résiste »(II) (p202 ) c’est un peu ce genre de phrase qui m’étaient venues à ce moment là je me disais que si je cédais là je pense que ça allait d’avantage l’insécuriser effectivement j’ai eu le temps en même temps je faisais et en même temps je me regardais faire(II) je me voyais et en même temps je lui en faisais part quelque part j’essaie de lui montrer que peut-être en même temps il y avait une sorte de bras de fer entre nous deux et que au bout du compte je pouvais pas accepter c’était pas lui rendre service j’essaie de lui faire comprendre le sens de mon attitude

Dans tout ce moment vous conservez une attitude assez lucide vous arrivez à garder en même temps que l’engagement cette distance qui fait que vous viennent comme ça des références on ne s’appuie que sur ce qui résiste il faut que je reste là

oui mais je pense que à ce moment là le jeune était sa tension était un peu descendue je compare après à d’autres situations où il restait dans cet énervement cette pression cette tension c’était comme un volcan intérieur qui ne demandait qu’à exploser(I) (p 226) il y a d’autres moments par la suite je sais que j’avais plus de sérénité je dirais alors là par la suite j’avais peur je me disais ça y est là il a franchi the border line quoi si on peut dire la ligne critique je me disais bon là là j’y vais plus ça m’est déjà arrivé que des fois le soir par provocation il laisse sa musique à fond j’allais taper à sa porte une fois deux fois trois fois et des fois j’allais pas au delà quoi j’étais obligée de laisser faire par impuissance et aussi parce que oui j’avais peur étant seule j’avais peur donc là je pense que je faisais pas mon boulot(IV) ( p 236) avec un sentiment de culpabilité aussi sur le moment je me disais mince j’arrive pas là et je sais pas comment faire j’avais pas d’autres alternatives quoi

Et cette culpabilité vous vous l’exprimez comment à vous-même  ?

[silence 18 secondes] dans ces cas là je me sens pas professionnelle je me dis « à quoi je sers je sers pas à grand-chose » [silence 10 secondes] et je me dis « je l’aide pas au contraire je le dessers je participe à son dysfonctionnement je le structure pas quoi dans ma réponse » et en même temps je fais ce constat que ;;; qui m’insatisfait qui est que ;;; bien oui toute seule je peux rien faire il faut une bonne cohésion d’équipe quoi toute seule là c’était un combat qui était trop lourd à mener et cette cohésion d’équipe c’est vrai on l’a pas (XI) on est dans un équipe qui a des difficultés et je pense que à la fois mes collègues aussi étaient dans la peur dans la peur du conflit le conflit ça fait peur donc oui par rapport à la culpabilité parce que je me dis je suis dans l’équipe j’ai ma part de responsabilité et oui un sentiment d’impuissance quoi de désillusion et c’est vrai que après pour garder une motivation c’est un peu difficile ça m’est arrivé des fois de tomber un peu dans le désespoir quoi à ce niveau là en tous cas ça a affecté après sur mon envie de continuer ou pas ce travail(XI) (p 231) plusieurs fois hein je me suis dit bosser dans des conditions comme ça ça ne me satisfait pas à quoi bon et plein de fois oui je me suis dit je ne suis peut-être pas faite pour ce travail(XI) ça allait jusqu’à remettre en question …

vos motivations à faire ce métier  ?

oui oui oui c’est sûr peut-être qu’il y a toujours ce décalage c’est vrai bon j’ai pas énormément d’expérience peut-être que j’aurais besoin de vérifier dans d’autres boites ces mêmes difficultés mais je suis peut-être encore dans cet idéal de fonctionnement d’équipe qui est vraiment solidaire et qui en tous cas où on arrive à trouver une force une conjugaison des forces de chacun pour justement porter le projet(XI) derrière répondre aux besoins du jeunes mais c’est vrai que là je la sens pas j’ai l’impression qu’on travaille tous en solo quoi et pourtant c’est pas par faute d’essayer c’est très très dur je pense que c’est une part très très importante en tous cas

Et quand on se sent comme vous le décrivez un peu impuissant ça atteint la personne au delà du professionnel ? j’entends bien que tout irait bien si on travaillait correctement en équipe on en serait peut-être pas à devoir vivre des choses aussi difficiles mais est ce que derrière ça on est touché soi plus intimement plus personnellement  ?

oui moi je dirais que c’est effectivement où j’ai une difficulté qui est assez présente l’impression après que ça joue sur l’estime de soi(IV) je pense oui je crois que j’ai en choisissant ce travail aussi et même comme dans tout travail je crois qu’on a en tous cas moi j’ai besoin d’être satisfaite en tous cas de sentir besoin de construire des choses d’avoir un regard quand même relativement positif sur ce qu’on fait et là il y a des moments comme ça où je sens que ça évolue pas du tout et c’est difficile difficile de l’accepter alors c’est vrai que ça m’a demandé un travail après un petit peu d’analyse pour me dire à un moment donné c’est peut-être nécessaire aussi quoi il faut accepter cette impuissance c’est aussi reconnaître l’existence de l’autre quoi de sa différence(VII) (p 235) chacun a un rythme d’évolution qui lui appartient et on n’est pas responsable de toute cette évolution quelque part ça m’a permis peut-être de rééquilibrer ça oui donc en même temps ça m’apprend aussi mais c’est vrai qu’il y a des moments j’ai l’impression de oui au niveau de l’estime de son travail et même sur l’estime de soi(IGV) c’est vrai que c’est toujours rien n’est jamais acquis à chaque fois on se remet on s’oppose un peu au défi et on se met à l’épreuve

Et c’est plutôt excitant ou c’est plutôt douloureux et déprimant

oui effectivement il peut y avoir une partie excitante un peu comme une mission à accomplir mais après faut pas non plus que la barre soit trop haute oui j’en reviens un peu à cet idéal en tous cas je sens que c’est souvent en dent de scie de l’idéal des fois je passe carrément à la désillusion et donc le décalage est énorme et c’est ça qui est difficile à gérer

Quand vous avez choisi ce métier vous ne vous attendiez pas du tout à ça ou bien vous en aviez quand même une idée

non non je ne… je crois… ça c’est fait très rapidement pour moi de l’activité musicale dans laquelle je m’étais orientée au départ donc en un an de temps je me suis orientée dans le social je ne connaissais pas du tout ce métier juste comme ça par ouï dire j’avais une copine qui avait fait ça elle m’en avait parlé je m’étais dit pourquoi pas le côté relationnel m’intéressait mais je pensais pas en tous cas être confrontée à des situations aussi difficiles(VII) et c’est vrai je pense que travailler auprès des adolescents c’est vrai que c’est l’âge qui est particulièrement difficile et je pense que ça renvoie aussi à sa propre adolescence la manière dont on l’a traversée(VIII)

Ce regard sur votre propre adolescence vous vous aide à mieux comprendre  ?

je pense que ça peut être difficile mais en arrivant à en faire une analyse je pense que ça peut ça fait évoluer c’est peut-être pour ça que je m’accroche que je continue que je suis encore là en tous cas moi j’ai du mal à m’imaginer faire ce travail toute ma vie parce que ça prend énormément d’énergie ça pompe au niveau de la patience de toute l’agressivité qu’on reçoit au quotidien c’est constant c’est tous les jours des ondes négatives à chaque fois on se fait mitrailler constamment c’est ça donc il y a une distance qui doit s ‘apprendre qu’on apprend pas du tout en formation on nous apprend pas à nous protéger et je dirais que ça c’est une grosse lacune on apprend vraiment sur le terrain(XII)

La formation sur ces questions là ne vous a rien appris d’utile  ?

non là il faudrait que je me replonge dans mes cours que j’y retourne maintenant peut-être que je pourrais trouver des éléments non ça reste quand même assez théorique je sais pas peut-être qu’après c’est un travail qu’il faut faire dans le cadre de supervision d’équipe des choses comme ça on peut décharger parce que c’est vrai on est des boucliers on est en première ligne qu’est ce qu’on fait de tout ça moi je dirais je suis un peu comme un petit cheval qui a bien du courage quoi qu’il se passe je suis assez bien combattante mais il y a des moments où on peut plus quoi on peut plus supporter(Viii ) et après c’est l’arrêt maladie c’est le dernier c’est le corps qui dit stop et puis je sais pas mais je vais peut-être un peu m’écarter du sujet mais je pense que ce que j’aurais d’avantage besoin c’est peut-être de reconnaissance de reconnaissance peut-être au niveau de la direction besoin d’être coachée d’être encouragée d’être aussi valorisée parce que à force d’avoir toujours ces regards très durs souvent négatifs des jeunes on en vient à douter à certains moments de se dire bon c’est vrai que c’est nul tout est nul (XI) (p 231) et si de surcroît dans l’équipe on n’arrive pas non plus à bien s’entendre ou à s’estimer si on sent pas cette estime mutuelle au bout d’un moment au niveau de l’estime de soi ça joue quoi on se pose des questions enfin moi je m’en pose

j’ai l’impression à vous entendre que c’est surtout ça qui est attaqué le fait de faire une expérience d’impuissance qui atteint votre estime de soi et qui n’est pas restaurée dans la qualité de la confiance d’une équipe d’une direction d’un environnement

oui disons que ça aide pas ça oui parce que je dirais je sais pas comment ils font mes collègues pour pas être fragilisés on est humain à moins d’avoir après une autre lecture sur toute cette agressivité que les jeunes nous envoient on est les mauvais objets ou bien il y a certains éducateurs qui pour éviter d’être le réceptacle de leurs projections agressives qui au bout d’un moment choisissent de ne pas être le mauvais objet mais d’être l’éducateur le gentil éducateur (VIII ) voilà c’est marrant on trouve beaucoup ça dans l’équipe il y a les mauvais éducateurs et les gentils ceux qui sont d’un côté à mettre les limites porter le cadre le projet de groupe et d’autres qui disent plutôt oui oui oui voilà donc ça ça facilite pas ça peut-être une solution je dirais pour peut-être conserver ce au niveau de cette estime de soi moi il y a des moments où j’en ai marre d’être souvent tout le temps dans la lutte dans le conflit donc il y a des moments bin ça m’arrive de céder justement c’est pas constructif mais bon peut-être dans le faire plaisir des moments parce que narcissiquement t’en a besoin aussi quoi et oui c’est vrai quoi si constamment on entend des discours comme quoi c’est nul tu fais à manger c’est dégueulasse tu proposes des activités c’est nul tout est nul tout est nul c’est difficile en tous cas à force à la longue de rester imperméable à ça quoi

Pour vous cette violence des jeunes que vous décrivez quotidienne qui est souvent pas loin prête à éclater ça tient à quoi pour vous ça s’explique par quoi comment qu’est ce qui est en cause là dedans

[silence] je pense que c’est symptomatique d’un mal-être d’un mal-être intérieur et quand on est mal avec soi-même on est mal avec les autres tout simplement (VII ) c’est une hypothèse je vois ce matin j’ai une jeune qui s’est levée elle avait pas envie d’aller à l’école alors au petit déjeuner rien n’était bon tout était nul les éducateurs étaient nuls c’était voilà le tableau était noir tout ça voilà c’est de l’agressivité pour moi à un moindre niveau mais voilà parce qu’elle avait peut-être mal dormi bon ils ont plein de raisons fin de la semaine bon la fatigue et tout donc voilà moi du coup si je prends ça au premier degré je prends ça pour moi voilà c’est j’ai l’impression que comment dire ils cherchent à faire leurs griffes sur nous quoi il faut qu’ils trouvent quelqu’un donc voilà c’est la première personne qui est là et donc moi là effectivement ça me demande à chaque fois un effort je me dis non faut que je déplace c’est pas moi la cible la cause est plus en elle j’essaie de resituer le problème ça c’est un moyen de protection effectivement mais c’est pas toujours facile de faire ce processus des fois on a tendance à réagir à l’attaque par aussi en tout cas de l’agressivité donc ça demande un effort permanent

Mais qui vous semble techniquement juste et payant quand on y parvient  ?

pour supporter à long terme cette agressivité oui essayer de comprendre et que comment dire de ne pas se sentir toujours responsable parce qu’ils ont tendance à nous culpabiliser les jeunes il me semble « si j’arrive pas à ça c’est de votre faute c’est parce que vous avez pas fait votre boulot voilà si je vais pas à l’école ha bien ce sera de ta faute voilà » ils ont toujours tendance à mettre la responsabilité sur l’autre ils ont du mal à la porter eux-mêmes à l’assumer donc je crois que oui c’est important de leur faire prendre conscience de leur part de responsabilité oui c’est un peu plus juste (III)

Comme si vous vous mettiez de côté pour leur verbaliser leur responsabilité comment on s’y prend ? Comment vous vous y prenez  ?

oui j’essaie de leur apporter leur dire ma lecture moi en tous cas des choses mon point de vue en essayant d’être objectif quoi en retraçant la réalité

La réalité de qui  ?

bien de objective j’essaie que ce soit pas ma réalité mais si un gamin se lève pas ou si je sais pas il rate son bus là j’essaie même quitte à faire un flash back et oui puis hier soir tu t’es pas quand je t’ai dit d’aller te coucher tu t’es pas couché redonner le cours des éléments qui ont participés à un moment donné à ce qu’il ne réalise pas ce qu’il avait envie de faire à un moment donné

Qu’est ce que vous attendez du fait de rendre comme ça la réalité des évènements au niveau des processus qu’est ce que vous en attendez qu’est ce que vous en espérez comme effets  ?

[ silence] peut-être qu’ils reprennent possession de leurs actes une conscience qu’il y ait une conscience de leur impact sur la réalité (III) dans tout ce qu’ils font en fait c’est un miroir je suis un peu en miroir c’est ça oui la conscience de soi passe par la confrontation avec les autres par la réaction de l’autre finalement se dire oui j’existe sinon on pourrait se dire mince je suis dans un monde virtuel complètement si il n’y a pas de retour si je parle et que personne me répond après je peux douter de moi de ma propre existence et à l’adolescence je crois que c’est une question existentielle une question d’identité en tous cas il y a des angoisses autour de ça à l’adolescence et c’est peut-être pour ça qu’ils sont autant dans la provocation parce qu’ils ont peut-être besoin vraiment de d’autant de réponses ( VI)

Il faut qu’ils puissent se confronter à vous à ce que vous dites aux exigences de la réalité  ?

oui je pense que cette réalité elle est accessible dans les réponses de tout l’environnement

Donc il ne faut pas fuir le conflit  ?

ben oui ça ça me parait évident il n’y a rien de pire que l’absence de réponse (VII) alors après il y a plusieurs types de conflits je pense

Mais vous pensez que la violence surgit des conflits que c’est une des composantes dans le conflit naturelle pourrait-on dire ou vous pensez qu’il y a quelque chose d’autre ou en plus ou à côté je ne sais pas

oui je pense que la violence peut surgir du conflit et je dirais que c’est une mauvaise résolution du conflit c’est quand le… oui qu’on a… une défaillance du conflit peut-être à un moment donné si il y a la violence c’est des choses qui n’ont pas été respectées dans l’expression du conflit (V)

Par exemple… c’est très intéressant comme idée

je crois qui si à un moment donné on est poussé à avoir un comportement violent je pense que ça vient en réaction au traumatisme qu’on a pu subir peut-être avant ça fait écho en tout cas à une résonance aussi forte donc il y a peut-être quelque chose qui n’a pas été respecté dans le conflit je sais pas après c’est ça qui est difficile auquel il faut faire très attention peut-être quand on est en relation conflictuelle avec quelqu’un quand il y a un désaccord c’est peut-être arriver à respecter l’autre (III ) en tout cas dans l’expression tant dans ce qu’on dit que dans l’écoute c’est peut-être des fois l’autoritarisme qui peut pousser l’autre à vouloir défendre sa liberté légitime et vitale le minimum en tous cas ce sentiment de liberté qu’il peut avoir son oxygène quoi je sais pas si je suis claire il y a quelque chose de l’irrespect je pense qui peut il y a tellement de chose il y a aussi la frustration quoi qui en tous cas il y a sûrement quelque chose de violent qui pousse après à la violence (VIII) en tous cas dans le ressenti du jeune

Et ce quelque chose est ce que vous diriez que parfois c’est nous qui le mettons ou pas vraiment  ?

on peut le provoquer des fois oui on peut toucher une corde qui vibre mal et voilà… n’avoir pu le supposer… sans le savoir (VIII)

Comme les harmoniques  ?

voilà

On mettrait en résonance dans un conflit des choses qu’on n’a pas perçues qu’on ne sait pas et qui sont plus maîtrisables  ?

oui voilà ça peut prendre très rapidement une ampleur dévastatrice (VIII) quoi et ça on peut pas le prévoir à l’avance des fois on sait qu’en donnant telle ou telle réponse à un jeune on sait des fois qu’on va sur un terrain risqué mais des fois non ça peut arriver comme ça on n’a rien vu venir

Lesquelles sont les plus difficiles celles où on n’a rien vu venir ou celles où vous vous doutiez que ça allait être chaud  ?

oui je dirais ceux qui nous surprennent(IV) peut-être qu’on n’a pas dans ces cas là… il faut… oui parce qu’on n’a pas le temps de s’y préparer(IV ) quoi ça me fait penser oui j’avais fait un stage quand j’étais en formation donc dans le domaine du handicap mental et je me souviens d’une femme qui avait une cinquantaine d’année qui était psychotique d’un âge mental très très bas de trois ou quatre ans je me souviens qu’à table d’un seul coup ça lui prenait comme ça elle prenait une assiette elle l’envoyait sur l’éducateur il suffisait qu’il y ait quelque chose je sais pas elle avait une perception du monde qui était comme une personne psychotique hein elle avait peut-être pas de barrière psychique même corporelle qui faisaient qu’il y avait une protection minimum du coup elle du coup elle est hyper sensible à plein de choses elle n’a pas le même seuil de tolérance la même façon de percevoir le monde et il y a des choses comme ça qui étaient imprévues et je me souviens ça me terrorisait j’avais mis un mois pour descendre sur ce groupe parce qu’elle était en bas au rez de chaussée parce que j ‘avais peur de cette spontanéité de violence quoi si on peut appeler comme ça oui ça c’est vraiment déroutant quoi c’est effrayant même

Parce qu’on y comprend rien parce qu’on ne le voit pas venir  ?

oui après je pense que les éducateurs qui la connaissaient depuis des années ils arrivaient peut-être mieux à décrypter ces signes fallait vraiment des lectures très très fines hein

Ce qui permet de mieux tenir de mieux s’y prendre peut-être d’être moins effrayé c’est de mieux comprendre  ?

oui en tout cas moi j’ai besoin de comprendre ça me permet d’y supporter(VI) en tous cas

Quels moyens on se donne pour comprendre ce sont des moyens théoriques dont on a besoin ? des moyens d’expérience ? des moyens de partage  ?

moi je sais que quand je suis face à une situation de violence après j’ai besoin d’écrire déjà juste pour décrire la scène de façon précise de mettre sur papier moi ce que je ressens c’est une façon je pense de prendre du recul et de décharger toutes les émotions une façon d’évacuer quoi la pression aussi et après je fais des hypothèses par écrit quoi des fois je peux m’appuyer sur ce qui peut me rester de théorie et après j’essaie de rechercher d’autres moyens d’action d’autres réponses que j’aurais pu adopter ça c’est peut-être à titre préventif si jamais… ça c’est une façon de me rassurer si jamais à nouveau je suis confrontée à ce genre de situation je sais que ça m’est déjà arrivé (VI) (p 229 246)

C’es t votre débriefing personnel

oui parce que forcément après ce qui est difficile c’est de reconnaître sa part de responsabilité dans le conflit qui a mené à la violence (VII)

Vous évoquiez votre débriefing personnel écrire faire des hypothèses écrire les émotions qui sont passées

oui parce que effectivement la question qui vient tôt ou tard c’est notre part de responsabilité à nous dans cette spirale infernale à un moment donné qui, peut mener à la violence quoi et c’est vrai que c’est délicat aussi des fois d’en parler aux collègues (VII) (p 229) si on sent pas cette confiance mutuelle parce que dans ces cas là on peut-être qu’on peut peut-être que je peux redouter à certain moment le fait que le collègue me renvoie oui mais si ça a amené à ça tu l’as bien cherché tu l’as provoqué tu es responsable ça c’est la phrase qui tue (XI) (p 226) quoi qui est difficilement acceptable parce que je pense que sauf d’avoir un fonctionnement pervers on recherche pas ce genre de situation qui est éprouvante là c’est pas agréable pour moi c’est pas agréable

On aurait besoin des collègues pour être conforté et ce qu’on trouve de temps en temps c’est un grand coup dans les dents

c’est un peu rapide de dire ça mais [silence] en tout cas moi je si je reviens à ce jeune dont je vous ai parlé au début je dirais pendant les trois quart de la durée de son accueil je me faisais un point d’honneur à porter le règlement vis à vis de lui parce que j’étais convaincue qu’il avait besoin de ça qu’il avait besoin de limite de cadre pour évoluer dedans le comprendre pour qu’il l’intègre comme un tuteur (III) quoi et au bout d’un moment je sentais que mes collègues démissionnaient et j’ai perdu mon fil je sais plus pourquoi je parlais de ça

Et du coup on ne peut plus se battre tout seul ?

oui [silence]

Quand on a passé une soirée à empêcher un type de boire de sauter par la fenêtre qu’on a peut-être eu peur pour soi d’en prendre une qu’est ce qui fait qu’on revient travailler vous disiez tout à l’heure j’aurais pu prendre mes jambes à mon cou qu’est ce qui vous fait dire non je ne prendrais pas mes jambes à mon cou bien que j’ai la trouille ?

je dirais qu’avec ce jeune c’était pas… c’était relativement facile je dirais parce qu’il a un talent inné pour aspirer la compassion on sent cette dualité en lui cette ambivalence ange ou démon et donc c’est vrai il touche tous les gens qui l’ont accompagné à un moment donné de part ce qu’il a été il a été maltraité quand il était petit il a subi des violences donc il convoque peut-être en nous le saint Bernard quoi quelque part oui je pense que ça nourrit quelque chose cet envie de sauver le monde (VII) quelqu’un ça répond en tous cas à cette idée ha oui mince je peux pas le laisser tout seul surtout quand on vit quelque chose d’aussi intense même si c’est à travers la violence mais au fond je sentais plus que c’était un appel vraiment un appel au secours quoi un cri de désespoir au fond je sentais que c’était ça je sentais pas cette envie de destruction dirigée sur… sur moi quoi sur autrui comme si je sentais pas le mal alors que là mais là c’est purement fantasmatique en tous cas j’aime pas quand je m’entends dire ça (VII)

Qu’est ce qui vous choque en vous-même ?

parce que j’ai du mal à accepter je sais pas parce que j’ai peut-être comme idéal d’évoluer de devenir bonne meilleure comment dire envie d’être bienveillante développer plein de qualités comme ça de m’améliorer pour moi ce serait ça de m’améliorer ou évoluer sûrement des qualités en lien avec la chrétienté quoi je pense des choses comme ça des choses comme le bien faire le bien je pense que oui penser à l’autre pas être égoïste des choses comme ça aider son prochain c’est notre culture aussi même pourtant j’ai eu une éducation catholique (VII) je ne le suis plus maintenant mais il n’empêche je pense…

Vous en avez conservé les valeurs ?

oui certaines oui je pense

Elles vous aident ?

en tout cas qui influencent certainement certains de mes comportements

Elles viennent aussi à la rescousse de vos doutes ?

en tout cas oui j’ai conservé certaines valeurs qui peut-être me poussent à continuer beaucoup plus souvent correspondent peut-être à l’idéal du moi quoi ce que je voudrais être peut-être

Il y a une guerre entre l’idéal et la lucidité ?

entre l’idéal et le constat de ce qu’on est peut-être oui en tout cas il y a un deuil nécessaire à faire déjà à certains moments je pense qui nécessite de faire des renoncements là dessus je pense que j’ai encore à travailler personnellement oui c’est la pratique qui c’est peut-être ce qui fait la différence entre un jeune éducateur et un ancien peut-être qu’il est passé par toutes ces étapes

C’est un souhait ou une conviction ?

j’espère j’espère qu’en tout cas mon expérience m’apprendra ça en même temps je sens que là en deux ans et demi de travail avec les adolescents je ne suis plus la même ça m’a transformée déjà

Vous avez beaucoup appris ?

ha oui

Dans la technique dans la gestion des choses vous pensez que vous êtes plus douée entre guillemets aujourd’hui en face de ces situations vous avez plus de cordes à votre arc ?

je dirais c’est assez mitigé d’un côté je sens que je me suis déjà bien usée pourtant c’est relativement court deux ans et demi mais j’y ai déjà laissé pas mal de plumes donc je sens que j’ai dans l’état d’esprit actuel où je suis je sens un épuisement ça fait déjà un bout de temps que ça dure donc là dessus j’ai perdu donc je sens sur la… sur mon seuil de tolérance peut-être parce que je me suis trop pas assez défendue ou protégée dès le départ au départ je me sentais plus disponible dans la relation plus posée plus calme plus à l’écoute bon je crois que c’est le terme disponible qui convient bien et là j’ai l’impression qu’on est comme dans un train à grande vitesse qui va de plus en plus vite on est surchargé (IV) et il y a plein de choses qui rentrent en jeu les conditions de travail mais après au niveau de la technique là il me semble que là j’ai appris à certains moments à lâcher prise comment dire si je fais un peu le… si j’essaie de repérer les différentes étapes par lesquelles je suis passée au départ je suis arrivée avec une formation bien fraîche donc la confrontation avec la réalité donc toutes les désillusions par rapport à ce décalage avec l’éducateur idéal et il y a eu comme un j’ai l’impression d’avoir subi un lavage de cerveau en étant dans cette boite comme si tout ce que j’avais appris c’était plus valable donc avec une perte des repères mince je fais quoi comment je fais j’étais complètement perdue j’en perdais même mon bon sens c’était vraiment perturbant et puis en regardant comment faisaient mes collègues j’ai essayé de trouver mon propre style et je crois que je suis encore en train de le chercher de le développer je me sers de l’exemple je cherche des modèles identificatoires aussi dans le profil de l’éducateur oui moi je me pose toujours la question du je pars du principe qu’on est quand même dans notre subjectivité je me dis oui je peux toujours c’est possible que je me trompe je reste pas dans cette certitude de me dire ce que je fais c’est certain d’où la nécessité de travailler en équipe quoi mais ça c’est très très rare on est rarement en équipe sur le terrain ça c’est une frustration aussi c’est une désillusion aussi à ce niveau là

Vous avez l’impression d’être seule au charbon chacun votre tour ?

oui oui donc c’est dommage bien que ce soit pas évident toujours les rares fois où on est ensemble d’affronter la critique de son collègue la remarque son besoin de compréhension c’est jamais évident de se justifier mais je sens effectivement une frilosité de chacun même de ceux qui ont de la bouteille qui entre guillemets n’ont plus à faire leur preuve quoi comme si une peur de montrer ce qu’on fait peut-être par certitude pourtant c’est vrai que l’éducation il y a pas une façon de faire il y a pas une réponse c’est pas comme les mathématiques où deux plus deux font quatre

Tout à l’heure je vous demandais ce qui vous pousse à ne pas renoncer et vous disiez que c’était du côté de vos valeurs notamment vos valeurs d’éducation il y a d’autres dimensions qui font qu’on y retourne quand même ?

oui ça m’évoque toujours une métaphore qu’un de mes professeur de math au collège là a fait une fois il disait que dans la vie c’est un peu comme sur une piste sur une pente savonneuse quoi ça demande un effort pour rester en haut et pas glisser et si on commence un peu à se laisser glisser et bien on prend vite de la vitesse et c’est plus dur pour faire l’effort pour remonter et je dirais que c’est un peu pareil c’est comme après une chute à cheval si on remonte pas tout de suite il y a quelque chose qui en tous cas pour moi comme si je laissais après les effets de cette violence continuer à me grignoter de l’intérieur c’est à dire un peu de ça comme si c’était un virus que je laissais s’installer et il y a un risque peut-être pour mon intégrité psychique donc il y a peut-être aussi un enjeu de que c’était le [inaudible ] psychique je pense face à ce qu’on reçoit quelque part revenir c’est avoir la force de revenir jouer cette carte là (VII)

Ce débriefing que vous décriviez tout à l’heure que vous faites par l’écriture vous avez l’impression qu’il participe de ce retour et il remet dans la tête des choses en place il permet d’avoir une autre maîtrise des émotions et de repartir avec des choses remises en ordre ?

oui ça permet déjà de pas rester dans un sentiment confus de pas rester seulement sur une impression émotionnelle mais d’identifier de clarifier de repérer toutes les choses qui ont participé à …(VI)

Les évènements ? le contexte ?

oui de comprendre et peut-être de trouver un sens une logique [ inaudible] de donner d’avantage de clarté sur ce qu’on ressent remettre des mots c’est ça parce que une émotion ça vous envahit

Vous avez été très très pudique à propos des émotions vous avez dit un tout petit peu la peur mais j’imagine que…

[silence ] bin je peux en parler là sur un fait qui a été le dernier qui est plus récent qui est plus frais dans ma tête parce que peut-être je pense que c’est aussi un processus de défense cette sorte d’amnésie sur les émotions

il faut bien se protéger

oui quelque part je les ai mises en arrière comme si finalement c’était pas moi quand j’en parle j’ai l’impression que je l’ai pas vécu comme si il y avait une…

…une mise à distance…

c’est fou hein mais la dernière où j’ai eu vraiment des manifestations physiques où j’ai senti le cœur battre plus rapidement c’était toujours avec ce même jeune quoi mais un conflit avec une autre jeune sur le groupe qui elle-même avait été agressée par un jeune de l’extérieur qui venait récupérer une veste qu’il avait perdue qu’il avait empruntée au garçon dont j’ai parlé au début ce garçon avait dit que c’était la jeune fille en question le gars est venu sur le groupe il n’y avait pas d’éducateurs non c’était pas cette fois là je confonds oui oui il était venu et il n’y avait pas d’éducateurs à ce moment là il est venu réclamer à la fille et cette jeune fille qui démarre au quart de tour on va dire donc ça c’est fini ils se sont battus et elle a fini par terre et lui il l’a frappée lui a donné des coups de pieds c’était vraiment très violent deux jours après quand j’étais là le garçon en question avait mis sa musique à fond la jeune fille lui a dit de baisser sa musique ils se sont énervés et c’est remonté comme ça donc à cause juste d’une musique trop forte et j’ai et elle a commencé à lui donner des coups parce qu’elle était restée sur ce qui c’était passé deux jours avant avec ce sentiment de l’impunité parce qu’elle avait été victime quoi et la sanction n’avait pas encore été posée donc elle devait quelque part se rendre justice et là c’était la goutte d’eau elle était dans une fureur je dirais proche de l’hystérie au sens populaire et là là vraiment j’ai vraiment eu peur parce que connaissant le garçon qui avait déjà cassé des portes sur le groupe c’est lui qui m’avait plaquée  contre le mur là je me suis dit il va la tuer (II ) quoi et j’ai vraiment eu peur donc au départ il est resté calme il parait juste les coups au bout de cinq minutes il fait « ouais c’est comme ça tu veux te battre » il a commencé à enlever son tee-shirt il s’est mis torse nu quoi là je me suis dit c’est bon elle est morte (II)et j’ai vraiment eu peur j’ai eu peur pour elle parce que lui je connaissais sa puissance et tout et puis c’était une fille le niveau n’était pas équitable il est arrivé tête baissée le regard noir quoi on aurait dit excusez moi du terme mais on aurait dit un gorille mais qui charge (p227) quoi c’était aussi impressionnant que ça dans sa charge je me suis interposée j’y suis allée je me suis dit j’ai pas le choix faut que j’y aille il va lui faire la peau (II) quoi donc là je dirais je sais pas parce que à la rigueur moi aussi comme tout le monde j’aime pas me prendre des coups et j’ai joué le tampon là mais j’y suis allée et puis elle elle continuait à se défendre à lui donner des coups tellement qu’elle avait la rage et je crois que j’ai pris sur moi encore une fois mais j’ai pas réfléchi à deux fois j’y suis allée quoi je me suis pas donné le choix (II) et j’ai essayé de les séparer quoi ça n’a pas été facile ils continuaient chacun à remettre des coups je m’en suis pris aussi et toute seule c’était dur heureusement à ce moment là j’étais au téléphone j’ai lâché le téléphone pour les séparer du coup mon collègue il a entendu les cris il a du se dire ça y est c’est la guerre et donc il y en a un qui est descendu et qui mais je dirais que c’est juste l’après c’est souvent les cinq dix minutes après où il m’a fallu un certain temps pour me calmer j’en avais les mains qui tremblaient en fait c’est après tu te dis mince si t’imagines tous les possibles qui auraient pu se passer et cette incapacité moi à la protéger le minimum vital je dirais c’est ça c’est sécuriser quoi et là toute seule je me dis mince c’est pas possible on peut pas continuer comme ça

Elle ne vous aidait pas beaucoup non plus…

ben non en plus ouais et là encore une fois je me sentais complètement démunie quoi je me disais mais c’est pas vrai alors on aurait été à deux collègues on aurait pu je sais pas les ceinturer au moins à deux le minimum oui c’est là vraiment j’ai eu peur pour elle quand je l’ai vue c’est impressionnant là j’ai vu la violence fondamentale je crois ce que c’était… ça fait peur

Vous avez une sérieuse culture psychologique ça vous aide pour appréhender la violence ?

oui maintenant c’est comment utiliser les informations quoi oui ça me permet de mettre des mots c’est bête mais on identifie

Ca met de la clarté ?

oui quelque part même si on ne la contrôle pas comme on identifie un ennemi pourvu que ce soit quand on regarde la catastrophe naturelle là le tsunami on met un nom je sais pas peut-être que ça rassure oui et c’est vrai que j’y fais souvent référence parce que il y a une explication quelque part ça rend normal quelque part ça normalise ce processus ça permet de mieux l’accepter de se dire on a tous en nous une violence fondamentale déjà moi ça m’a permis de mettre un mot sur ma propre violence violence que j’ai pu éprouver moi-même à l’adolescence quoi je me souviens dans des conflits avec mes parents elle m’a fait peur cette violence je l’ai déjà côtoyée cette violence je l’ai déjà j’ai déjà été confrontée à elle on va dire je l’ai déjà rencontrée donc après oui j’ai pu mettre un mot dessus je pense en formation ça ma permis peut-être de déculpabiliser par rapport à ces pulsions viscérales qui viennent du plus profond de nous-mêmes c’est basic instinct et du coup je pense que je crois que ça m’aide le fait de d’avoir repéré ce fonctionnement en moi ça permet une plus grande tolérance de voir ça chez l’autre si je l’avais jamais repéré chez moi peut-être que ça me ferait d’avantage peur c’est moins inconnu

Vous lui accordez une valeur systématiquement négative ?

oui c’est ce à quoi je pensais… non je crois que la violence elle est liée à une pulsion de vie comme l’agressivité l’agressivité je la mets oui du coup à côté de la pulsion de vie je crois que Freud aussi il me semble si je me trompe pas heureusement qu’elle est là je crois mais maintenant des fois ce qui peut nous tromper enfin dans l’appréciation de la violence c’est que des fois elle peut amener à des comment dirais-je à des comportements de destruction qu’en ce sens là on peut mal la juger mais à la base je pense que c’est un moyen de défense je crois la violence c’est plein d’énergie tout l’art c’est d’arriver à la déplacer de la sublimer je pense oui et je pense aussi je sais pas ça me vient comme ça je pense l’associer à la libido aussi je pense c’est vrai qu’à l’adolescence il y a tout ça qui est réactivé et de la [inaudible] qui ressort [silence]

Y a des dimensions qu’on aurait oubliées ou avez-vous l’impression qu’on a à peu près fait le tour de la façon dont vous concevez la violence dont vous la comprenez dont vous la vivez ?

[Silence] je sais pas… sûrement qu’on n’a pas parlé de tout... ça me reviendra après

on arrête ?

oui