Entretien n° 2 : Emmanuel.

Emmanuel, 55 ans, éducateur spécialisé depuis plus de 20 ans, a toujours travaillé auprès d’adolescents cas sociaux, délinquants ou pré-délinquants.

si vous voulez bien je propose que vous me racontiez un épisode où vous même vous avez été en situation d’être confronté à de la violence, un moment qui vous a paru particulièrement important

Ben y en a eu beaucoup, là y en a des tonnes. A Chambéry je travaillais avec des délinquants, enfin des pré délinquants et des délinquants, c’était plus violent qu’ici, donc je dirais pas que la violence était quotidienne mais elle était quand même, donc j’avais à y faire face souvent et c’est là que j’ai mûri plus de choses finalement parce qu’on était bien obligé d’évoluer on pouvait pas rester comme ça sur des situations qui étaient douloureuses quand même car c’est douloureux, et je pourrais vous en raconter deux trois brièvement car c’est intéressant de voir dans les faits qu’est ce qui se passe. Y avait des situations de violence entre les jeunes où j’intervenais quoi. Y a cette situation là et l’autre situation où on est en cause, où la violence on est dedans, l’autre vous en veut, on est agressé. Ça c’est quand même deux choses différentes mais finalement ça se rejoint, on voit qu’il s’agit un peu de la même chose donc c’est intéressant. Moi ce que j’ai pu noter dans toutes ces situations où c’est arrivé des dizaines de fois, où j’ai séparé des jeunes qui se tapaient sur la gueule vraiment et ils étaient vraiment méchants (I), j’ai remarqué plusieurs trucs y a quand même à chaque fois un crescendo ça c’est intéressant une bagarre elle part pas comme ça la violence elle part pas comme ça c’est pas vrai, alors ça va plus ou moins vite mais y a toujours une graduation un crescendo et dans ce crescendo on peut intervenir (II), (p196, p 205)) alors encore une fois des fois ça met un quart d’heure, ils s’asticotent pendant un quart d’heure avec des phrases soit ça va en 4 ou 5 secondes mais y a toujours un crescendo c’est à dire que j’ai jamais vu un gamin foutre son poing sur la gueule boum d’emblée un truc. Le ton monte, c’est clair et net donc c’est dans ces quelques secondes, en général c’est quand même quelques secondes quoi où il faut saisir la balle au vol et faire quelque chose (II) quoi on voit si vraiment, alors quand c’est entre deux individus moi je suis intervenu des dizaines de fois j’ai séparé les gens (I), pourquoi je sépare les gens ça c’est important, pourquoi je sépare les gens, moi j’ai vu des éducs dire laisse les se taper sur la gueule au moins ils videront leur truc et puis voilà, non je sépare les gens parce que j’ai pas envie qu’ils se fassent du mal simplement déjà ça donc et ça je crois que ça se sent ça se sent en intervenant on intervient pas comme ça boum y a une manière d’intervenir moi chaque fois que je séparais les gens jamais l’agressivité s’est retournée contre moi curieusement jamais jamais c’est quand même curieux ça il faut quand même témoigner de ce truc là (III) on pourrait dire moi j’interviens pas parce que je tiens pas à prendre un coup des choses comme ça jamais moi j’ai pris un coup

Ce que vous attribuez à quoi  ?

Ce que j’attribue au fait, y a la manière d’intervenir il faut toucher les gens on est animal on est animal on a des messages qui sont vraiment animaux c’est à dire quand quelqu’un vous touche vous savez tout de suite quelle intention quelle volonté y a derrière ça se sent ça.(p 196) Les dresseurs de fauve là les dompteurs ont des témoignages intéressants ils disent un fauve ne vous attaquera jamais si d’une manière subliminale vous avez pas un recul, le fauve attaque toujours (p196, 249) quand, alors c’est imperceptible mais quand l’individu recule (VIII)y a un doute, on dit le chien le chien qui aboie si vous avez peur il va vous mordre y a quelque chose comme ça y a quelque chose comme ça véritablement donc évidemment l’éduc qui dit moi j’tiens pas à prendre un pain dans la figure j’y vais pas, ben oui forcément mais là il a déjà, je dis pas qu’il a tout faux mais il a déjà induit pas mal de choses (VIII) (p 249)quoi , moi j’ai pas peur de prendre un pain dans la figure et je vois pas pourquoi j’aurai pris un pain, donc j’y vais je sépare les gens (II )et 99 fois sur cent je veux dire si j’interviens suffisamment tôt c’est à dire où les gens sont pas dans un état tel que parce qu’il y a des graduations encore une fois un moment donné si vraiment le type il en a pris plein la tronche il a envie de tuer l’autre c’est à la vie à la mort un moment donné c’est à la vie à la mort quoi c’est vraiment ça on retombe dans une espèce de violence humaine fondamentale historique qui nous fonde quelque part (V) je crois qu’il y a vraiment quelque chose la violence ça va chercher très très loin, très très loin dans notre histoire faut pas oublier ça on a vécu au bas mot 3 millions d’années dans les cavernes, le feu c’est moins 400 000 ans donc pendant des centaines de milliers d’années on a vécu avec la violence ça nous a structuré le système limbique, l’hypothalamus et le cerveau reptilien (V (p240) )faut pas oublier ça , ça on l’oublie vraiment trop souvent on est structuré par la violence on a baigné dedans on a été imprégné à longueur d’année de génération en génération il fallait pas se faire bouffer par le tigre hein il était là hein et je pense que véritablement on s’est construit avec la violence et on a beau être évolué machin ça ne fait jamais que très peu d’années finalement qu’on arrive à être civilisé donc je pense vraiment ça, ça c’est très très fort et c’est notre fond commun à tous (V), tout individu a ce truc là et moi je pense que justement la nature regardez, nous a, on voit bien quand même que à un moment donné on a plus peur et si on est agressé, y a une phase de peur mais à un moment donné y a quelque chose qui se passe de l’ordre de l’inhibition qui fait que l’angoisse est inhibée, ça on retrouve souvent dans l’éducatif c’est à dire que on peut pas comprendre la violence, c’est impossible de comprendre,(V) p 245) même l’histoire, l’histoire et la géo quand on était gamin on faisait des cours d’histoire on nous racontait l’histoire mais en fait on comprenait rien à l’histoire, on pouvait pas comprendre l’histoire si on comprend pas la haine (V) déjà qui existe entre les peuples enfin entre les gens le désir de puissance enfin de pouvoir la volonté de puissance enfin tout ce qu’on veut et si on comprend pas finalement quand j’agresse (V) c’est vachement pratique puisqu’en fait j’inhibe mon angoisse (V). Grosso modo y a 4 ou 5 trucs qui inhibent notre angoisse y a le plaisir au sens large du terme le plaisir on sait très bien que c’est difficile de mettre un préservatif puisque je suis dans une relation de plaisir et au plaisir je suis pas angoissé sur le sida puisque je peux pas être dans les deux dans le plaisir et dans l’angoisse c’est exclusif elles sont antinomiques je suis dans l’un ou dans l’autre donc si je suis dans l’agressivité alors y a le plaisir y a l’action tout pilote de course de formule 1 vous dira qu’il a trac monstre avant le départ et une fois qu’il est parti qu’il est au volant y a plus d’angoisse c’est pareil pour l’acteur de théâtre qui dit je fais pipi dans mes culottes tant que je suis en coulisse mais une fois que je rentre en scène que je dis mon texte ça y est c’est miraculeux à la seconde même à la seconde même l’angoisse disparaît on est actif, action et là inhibition l’angoisse dégage donc je veux dire j e suis angoissé j’ai tout intérêt à devenir agressif,(V) (245) j’ai tout intérêt à devenir agressif je vous assure que moi quand je suis énervé je suis pas angoissé ça me rassure quoi donc ça c’est un des mécanismes un des processus dirons nous qui sont quand même fondamentaux qu’on oublie trop facilement ce truc là c’est pratique c’est confortable quelque part pour l’agresseur parce que l’agresseur le type violent il est toujours en souffrance ça c’est assez évident dès qu’on réfléchi un petit peu celui qui est violent est en souffrance (V)

Pourquoi ?

Parce qu’il souffre lui-même d’une violence directe ou sourde ou tout ce qu’on veut il souffre d’une violence lente enfin tout ce qu’on veut larvée la violence conjugale violence des cités violence de tout ce qu’on veut mais il souffre il est en souffrance plus plus c’est évident donc à un moment donné ou bien elle est organisée comme chez le délinquant le mec qui casse une banque ou je sais pas trop quoi ou bien elle est spontanée pas contrôlée (V) mais en fait peu importe elle relève toujours du même processus qui est je subi une violence je souffre etc. donc je vais la faire automatiquement, la violence c’est quand même un déficit important (V )on dirait un peu psychologique du symbolique(V) c’est à dire que tant que j’ai recours aux mots(V) aux phrases aux sens de ce qu’on veut tant que je peux espérer résoudre mon problème d’une manière parlée dirons nous pas forcément pacifique hein les mots ça peut y aller ça peut déménager mais tant que je peux espérer régler mon problème comme ça soit en l’expliquant soit en gueulant soit en rentrant en colère mais quand je peux pas ou que j’ai vu que je pouvais pas ou que on m’a pas appris (V)ce qui est la même chose finalement je me rue sur l’autre hein je me rue sur l’autre (V) parce qu’il y a danger et donc j’ai qu’une seule lecture, les jeunes qui on vécu dans des milieux violents où ça gueule etc. ils ont pas d’autres modèles pourquoi voulez vous qu’ils fassent appel à d’autres modèle que « bin qu’est ce t’as toi t’es pas content tu veux qu’je casse ta tête » bon et puis voilà ça démarre comme ça alors moi combien de jeunes j’ai vu qui ne sont pas foutus on leur a pas appris à parler(VIII) à nouer une relation en parlant simplement parler « qu’est ce que tu fais » « qu’est ce que tu fais ce soir » « qu’est ce que t’aime » enfin tout ce qui fait la relation ils savent pas donc c’est je vois ça c’est prodigieux c’est toujours c’est des insultes c’est sur le mode insulte mais ils ne savent pas faire d’autres c’est je sais pas nique ta mère des trucs comme ça ou fils de pute mais alors c’est à un degré c’est pas encore alimenté par la haine mais on sent que c’est sur ce registre là alors après ça dégénère des fois ça dégénère quoi mais toujours est-il que ça on voit bien le mec qu’est violent la personne qu’est violente c’est plus les mecs que les femmes ça aussi c’est pas que culturel pourquoi la violence est aussi vachement plus masculine que féminine c’est pas que culturel d’accord on joue avec le petit gamin il joue avec les pétards machin et la petite fille elle joue à la poupée mais c’est pas que culturel encore une fois qui c’est qui allait au casse-pipe chercher les lions et tout le tintouin c’était quand même le mec c’était nous et dans les cavernes y avaient les nanas qui restaient avec le petit pour téter pour faire la tambouille et puis elles étaient pas musclées pour ça enfin je veux dire elles étaient pas armées pour ça c’est le cas de le dire c’était le business des mecs on allait chercher le mammouth fallait ramener à bouffer et c’est resté d’ailleurs ça l’homme ramène à bouffer quand même quoi alors et on pourrait en dire énormément sur la sexualité masculine et féminine si il y a un rapport entre la violence et la sexualité il vient bien de là aussi quand même ha il vient bien de là là aussi notre sexualité s’est structurée sur des millions d’années sur ce registre là on voit bien c’est une espèce de possession y a un désir brutal qui s’embarrasse pas de et ça c’est quand même typiquement masculin c’est quand même les types qui violent nom de dieu c’est jamais on voit pas de bonnes femmes qui violent d’abord violer un mec pour une bonne femme faudra qu’elle se lève de bonne heure parce que pour le faire bander moi je veux pas dire mais moi j’arrive pas à bander si on me saute dessus ou alors vraiment faut que je le désire mais à ce moment là c’est plus un viol quoi c’est clair et net une femme ne peut pas violer un mec qu’est ce que c’est que ces conneries que des fois j’entends qu’une femme a violé un mec mais c’est pas possible elle peut pas il arrive pas alors que l’homme y a pas de problème lui dans toutes les guerres lui je sais pas comment il fait comment il se démerde mais lui y a pas de problème pour violer les bonnes femmes ça y va c’est même la première chose qu’il essaie de faire quand tout est permis que c’est dans la toute puissance c’est quand même ça faut quand même arriver à le faire moi j’ai jamais essayé de le faire mais c’est quand même typiquement masculin donc tout ça se rejoint et on m’enlèvera pas de l’idée que c’est anthropologique cette histoire ça vraiment on tient ça des millénaires et des millénaires ça nous a façonné (V) (p 258) et notre peau est devenu claire notre peau est noire au départ elle est devenue claire on est tous issu du même creuset africain on est devenu clair avec des milliers d’années je vois pas pourquoi notre sexualité notre violence et tout ça on serait pas construit avec enfin c’est évident c’est trop clair je veux dire c’est trop et c’est pour ça qu’on a du mal bien évidemment à endiguer tout ça à civiliser à canaliser bien sur parce qu(on est quand même pas mal primitifs.(V) Donc le truc il est en souffrance le mec qui est violent la personne oui je masculinise beaucoup ces choses, la personne qui est en souffrance elle est violente et c’est le dernier recours je suis violent si vraiment on m’accule à ça si j’ai pas d’autres possibilités (V) quoi si vraiment je vous ai répéter 40 fois la même chose et que vous voulez pas l’entendre et que c’est vraiment important pour moi je vais vraiment me fâcher tout rouge je veux dire si vraiment c’est vital quelque part vous voulez pas l’entendre et encore si j’ai appris à vous parler mais si j’ai pas appris à vous parler si vraiment je veux obtenir quelque chose de vous je veux dire ça va vite faire je vais vite vous sauter dessus pour obtenir ce que je veux quoi surtout si c’est important encore une fois. Alors donc quand j’ai séparé les gens (V)ça m’est arrivé encore une fois des dizaines de fois y a cette espèce de contenance amicale bienveillante qui est que on touche quelqu’un on le touche mais rien n’est brutal viens voir viens voir arrête tu vas avoir des histoires et tu vois pas que tu tombes dans le piège là je vais t’expliquer un truc tu permets là et en général ils sont contents d’ailleurs ils sont contents qu’on les sépare (III) ( 260) les gens sont contents quand on les empêche de se foutre sur la gueule parce que même si je suis beaucoup plus fort qu’eux des fois ce qui n’est pas toujours le cas j’utilise rarement 100 pour 100 de ma force physique pour les dissuader 10 pour cent suffit je m’oppose machin tout ça mais ils insistent pas trop finalement c’est remarquable ça quelque part alors après quand ils ont pris un coup malgré tout que c’est parti paf paf qu’ils ont pris un coup là ils veulent quand même le rendre là j’ai déjà plus de mal à séparer voyez mais donc il y a ce crescendo ça c’est la première situation la deuxième situation quand la violence elle s’adresse à nous enfin elle est orientée contre nous on va dire ça comme ça ça c’est autre chose moi j’ai vu du jour au lendemain j’ai vu un changement net chez moi et dans les situations auxquelles j’avais à faire à partir du moment où je me suis dit je me suis vraiment posé quoi et je me suis dit voilà dorénavant je n’en viendrais pas aux mains (VIII) (p260) moi si j’ai un rapport d’autorité parce que c’est toujours les rapports d’autorité qui posent question si je dis à un jeune d’éteindre la télé il veut pas éteindre la télé je lui dis « bin écoute m’oblige pas à éteindre la télé je te demande de le faire toi bin fais le » bon en général il le fait s’il le fait pas et des fois il le fait pas « je te préviens je suis pas d’accord pour que tu laisses » bon je martèle le truc quoi d’accord j’essaie justement de différer de pas faire monter la mayonnaise je martèle le truc je suis décidé « il faut que tu l’éteignes autrement je vais être obligé de l’éteindre ne m’oblige pas à l’éteindre je vais l’éteindre bon tu veux rien savoir j’éteins la télé » là il est pas d’accord il va pas me sauter dessus il va la rallumer ou il va me pousser d’accord mais donc là stop pour moi je vais lui dire « bon ben écoute je vois que vraiment on peut pas aller plus loin je vais pas me battre avec toi moi je suis pas payé pour me battre ni pour me casser la gueule avec toi c’est pas que tu me fais peur moi je cherche pas à te faire peur ni à te taper dessus même si je suis plus fort que toi j’en sais rien mais je m’en fiche » je ne vais pas plus loin que ça « mais de toutes façons tu n’obtiendras pas gain de cause alors regarde la télé peut-être ce soir mais ce sera vu demain etc. tu auras une sanction il y aura autre chose enfin bref il y aura un prolongement à cette affaire d’accord » mais ça m’a énormément rassuré moi vraiment de traiter le truc comme ça c’est à dire que avant je me rendais compte que je m’autorisais (VIII)le conflit je m’autorisais moi-même cette violence ce passage à l’acte physique c’est à dire qu’à un moment (VIII) donné les premières années de ma vie enfin de ma carrière professionnelle comme on dit j’intervenais en disant « non non non je m’en fiche la télé je l’éteins » et puis voilà et moi j’aurais c’est moi qui aurais le dernier mot d’accord ça non parce que l’autre il veut avoir le dernier mot aussi et c’est là où ça finit en baston et c’est là où c’est angoissant pour soi je veux dire c’est très angoissant parce que finalement on sait pas où on va (VIII) c’est ça qui est angoissant c’est l’inconnu on ne sait pas où on va qu’est ce qui va bon là je sais où je vais à un moment donné je m’arrête (VIII) si vraiment il est question de se taper sur la figure « je m’arrête tu vois je te taperai pas dessus et tu me taperas pas dessus de toutes façons » et donc voilà je gère le truc comme ça et ça marche bien parce que en fait rarement j’ai besoin d’en arriver à ce point là et du coup toute mon intervention avant est beaucoup plus cool plus calme plus posée moins angoissée moi j’ai pas l’angoisse je fais un truc d’autorité (VIII) j’ai pas l’angoisse et je pense que je transmet pas ça non plus parce que l’angoisse est extrêmement induite en fait quoi et y a ce truc cette bataille ce truc ce moment en tension cette espèce de guerre là qui renvoie certainement à une guerre du feu […] mais moi non moi maintenant la guerre ça va donc ça c’est bien ça dédramatise pour moi complètement le truc et ça marche en plus donc ça c’est quand même important (VIII) et moi je dis souvent aux collègues je sais pas ce que je ferais si j’étais éducatrice à la limite elles pourraient pratiquer grosso modo de la même manière c’est à dire on en viendra pas aux mains (p 209) quoi c’est ça on en viendra pas aux mains mais ça sera pas toi qui aura le dernier mot (III) ce soir peut-être ce soir peut-être bin ouai bin il regardera la télé jusqu’à trois heures du matin si tu veux mais mais de toutes façons ce sera repris donc avec le chef de service avec les collègues etc. donc tu n’auras pas le dernier mot de toutes façons ce qu’en fait on retrouve à l’échelle sociale la société je veux dire ça passe au tribunal y a des aveux la justice elle passe par là et puis chacun retrouve sa place [ silence]

Cette attitude c’est une stratégie pour ne pas laisser se déclencher de la violence ? C’est une position tactique ? C’est quoi ?

C’est certainement plusieurs choses à la fois certainement une stratégie (III) puis c’est certainement aussi pour moi le comment je dirais le je suis à l’aise comme ça c’est comme ça que je suis à l’aise c’est pas simplement qu’un calcul d’abord un calcul c’est un calcul dans la mesure où j’ai vu qu’effectivement c’est comme ça que ça marchait le mieux comme ça que moi je le vis le mieux (III) (p 209) surtout le conflit c’est comme ça que je le vie le mieux vous comprenez bien et qu’il faut laisser passer du temps une prise d’otage je veux dire tous les types expérimentaient des prises d’otages qui sont des situations potentiellement violentes dieu sait que ça peut être violent c’est la consigne ça a fait le tour du monde il faut laisser passer du temps quoi il faut au maximum laisser passer du temps que les gens rentrent en relation les otages avec les preneurs d’otages etc c’est la précipitation c’est l’affolement qui fait que donc à la fois c’est une stratégie à la fois c’est comme ça que vraiment je le vis le mieux

Alors qu’est ce que vous dites, « OK on va laisser tomber pour ce soir », mais après, j’ai bien compris que c’est au bout de tout un chemin, mais alors du coup votre façon de concevoir la reprise du lendemain ? Qu’est-ce qui se reprend, pourquoi, comment ?

Et bien je lui ai montré que de toutes façons je suis le plus fort la force est pas physique justement (III) alors ça dépend de à qui je m’adresse de l’âge du niveau mental de la conceptualisation de l’individu de qui j’ai en face mais je pourrais lui tenir le discours à la limite effectivement je pourrais lui concéder j e pourrais lui concéder qu’en dernier recours tout est rapport de force vraiment physique mais que moi si il faut j’ai une compagnie de CRS derrière moi (III) je veux dire je plaisante un petit peu mais la force publique en dernier recours si vraiment il est dangereux qu’est ce que je fais je décroche le téléphone et puis j’appelle c’est ça il y a trouble à l’ordre public il y a dangerosité d’un individu je veux dire la société elle a prévu ça donc en dernier recours bin je suis plus fort physiquement déjà bon peut-être pas moi tout seul mais de toutes façons y a pas photo là dessus évidemment dans un autre contexte c’est sûr que si j’étais en 41 dans la France hitlérienne machin etc. les choses changent la force et la loi etc. n’est pas forcément celle qu’on croit je dirais après ça se discute je veux dire La Fontaine il est toujours d’actualité hein selon que vous serez puissants ou misérables et puis voilà grosso modo donc moi j’ai rien amené là dessus après tant mieux si les démocraties sont plus armées on va dire les choses comme ça que les dictatures grosso modo ce serait intéressant de savoir dans la seconde guerre mondiale est ce que c’est vraiment et moi je crois que oui la démocratie qui a trouvé la bombe atomique avant les nazis c’est à dire grosso modo la carotte a été plus créatrice que le bâton grosso modo si on simplifie pas très finalement c’est même pas très outrancier de dire ça on était quand même motivé Oppenheimer Einstein les américains fallait quand même trouver cette putain de bombe avant les allemands parce que autrement ça faisait dégâts mais eux ils étaient peut-être motivés mais je pense que finalement il y avait quelque chose de l’ordre de la violence pour le coup du bâton et je pense qu’on tire plus de chose avec la motivation le désir qu’avec la peur la contrainte le bâton ça c’est intéressant je veux dire grosso modo les démocraties auraient toujours une longueur d’avance sur les dictatures bon les dictatures en général c’est vachement violent mais économiquement ils sont pas très développés plus un pays est corrompu et dictateur ça va ensemble comme par hasard ça va ensemble c’est curieux ça il y a des trucs intéressants à faire là dedans des parallèles donc il pourrait y avoir une espèce quelque chose d’immanent là ou de transcendant un truc qui ferait donc finalement que la force appartiendrait toujours au droit je sais pas mais en tous cas à une certaine légitimité ça serait bien donc je pourrais lui dire ça mais de toutes façons je suis plus fort que lui ne serait-ce que déjà de ne pas avoir recours à la force physique c’est lui montrer que je suis le plus fort d’abord j’ai pas peur de lui c’est vrai que j’ai pas peur (III)

Ça ne vous arrive jamais ?

Non. J’avais peur de moi quand j’étais comme ça dans les conflits et tout c’est quand quelque part je me disais il faut que t’éteigne cette putain de télé il faut que t’arrives à l’éteindre donc je me donnais un ultimatum un défi à moi-même fallait que j’y arrive à tout prix d’accord donc il y avait quelque chose là donc il y avait une angoisse est ce que j’allai arriver à Maintenant non (III) (p 209) tu veux ça pas de problème donc je vis beaucoup mieux vous comprenez donc ça c’est quand même donc quelque part je suis beaucoup plus fort et le truc étrange je suis beaucoup plus calme parce que c’est vrai qu’avant la peur s‘en mêlait ça c’est clair et net la peur s‘en mêlait la peur et tout ce qui va avec curieusement après plus vous avez peur et plus les idées se troublent la parole n’arrive plus à sortir hein vous trouvez plus les phrases tant que vous arrivez à trouver les phrases c’est bien c’est super ça veut dire que quand même vous gérez le truc et ça je pense qu’il y a quelque chose qu’ on induit énormément les choses ((III )on induit de part notre comportement notre attitude comme avec les fauves on induit énormément les choses je vous assure j’ai pas peur franchement j’ai pas peur j’ai pas peur et du coup le mec me menace pas (III) il me dit pas je vais t’en foutre une dans la gueule quoi donc j’ai pas peur je m’approche de lui (III)et de dos voilà donc du coup il n’utilise pas je pense qu’on montre qu’on a peur et donc l’autre dit tient putain il a peur et faut jouer là dessus allez on y va hop c’est part là chacun enfourche un rôle etc. et puis ça marche comme ça mais quand même quelque part si donc si c’est clair pour moi dans ma tête dès le départ que je sais grosso modo où je vais et donc j’ai pas peur la peur s’en mêle pas et je pense que du coup je fais pas peur à l’autre je fais pas peur je lui dis à la rigueur je veux pas te faire peur puis il me fait pas peur c’est pas par défit c’est vrai qu’il me fait pas peur je crois que même des fois j’exagère à peine mais si il me menaçait j’arriverais presque à rigoler (III) [ha ha ha ha ] Presque même il m’empoignerait que je rigolerais je arrête tes conneries [ha ha ha ] à rigoler quoi et vous pouvez pas casser la gueule à quelqu’un qui rigole sauf si il se fout de votre gueule mais moi je me fous pas de sa gueule et ça il le sait très bien je rigolerais du grotesque de la situation quoi c’est marrant donc bon ça c’est bon quoi quelque part ça désarme quand on dit que quelqu’un est désarmant c’est quand même prodigieux aussi donc c’est chouette ce truc là ça on le retrouve quand même dans les situations violentes mais on le retrouve dans toutes nos situations éducatives même celles qui ne sont pas violentes les plus insignifiantes du quotidien quoi mais toujours dans ce registre là c’est à dire le positionnement qu’on a par rapport à l’autre qu’est ce que je veux de toi qu’est ce que tu veux de moi qu’est ce qui se joue etc. tout ce truc hein constamment et on voit que sans arrêt sans arrêt on induit on induit énormément de choses (p 209, 258)) (III) quoi c’est ça qui est intéressant alors après c’est quand même un sacré boulot je veux dire moi je vois pas alors y a des gens j’allais dire je vois pas un éducateur qui pourrait faire ce travail en deux ou trois années d’école quoi je vous disais qu’à l’école on nous apprenait rien de tout ça (XII) ma femme est assistante sociale de secteur et elle a à faire de plus en plus on en discute souvent aux gens violents aux gens à connotations quand même psychiatriques quoi des gens vraiment frappés quoi et quand je dis frappés c’est pas ils entendent des voix des fois faut voir c’est vraiment des paranos de première elle dit je répète 40 fois la même chose ils n’entendent rien ils reviennent avec les mêmes demandes donc des types agressifs des fois et tu sais l’assistante sociale elle se récolte l’agressivité puisqu’elle vient frustrer « bien non j’ai pas le RMI » « bin non vous avez plus droit au RMI » voilà les boules le mec qui a plus le RMI ça veut dire que vous déclenchez une agressivité quand même vous le privez de quelque chose là hein vous quand même pas mal castrateur personne aime qu’on lui coupe les couilles ça c’est sur et donc y a ceux qui veulent une aide financière ça passe souvent par l’argent hein d’ailleurs et l’AS elle a pas de fric de toutes façons elle a pas d’argent elle a pas le droit de lui en donner comme ça déjà ils en demandent souvent hein « passez moi cent balles j’ai rien à bouffer ce soir vous comprenez j’ai rien à bouffer ce soir qu’est ce que vous feriez à ma place donnez moi cent balles » « bin non monsieur je peux pas vous donner cent balles » donc elle a à faire de plus en plus à ces gens là alors en discutant on a mis au point une stratégie pour le coup je pense parce que je tiens quand même à ma femme je tiens pas à ce qu’elle se fasse… y a une de ses collègues qui a failli se faire étrangler par un type il a pris le fil du téléphone elle était toute seule la collègue et je fais une petite parenthèse mais c’est pas une digression elle était toute seule dans le centre ils sont trois quatre à travailler et puis elle était toute seule alors que la consigne justement c’est de ne jamais être seule l’inhibition est toujours renforcée par le regard de l’autre et donc elle était toute seule et puis le type est venu demander un truc elle dit « écoutez je ne vous connais pas vous n’êtes pas de mon secteur je peux rien pour vous » et le type a insisté etc. il décollait pas elle arrivait pas à s’en débarrasser c’est une jeune As elle a commis une maladresse qui fallait pas commettre elle a pris le téléphone elle a téléphoné « écoutez excusez moi j’ai un coup de fil à passer » mais l’autre était en face et donc elle dit « bon bin j’ai quelqu’un d’agressif en face de moi » et là le type s’est levé il lui a sauté dessus c’était le facteur déclenchant il y a toujours un facteur déclenchant elle a induit le truc elle a induit ce comportement elle a eu peur le type a senti qu’elle a eu peur et puis il l’a agressée ha bon je suis agressif machin donc il faut obéir à il y a une logique donc c’est passionnant ce jeu de miroir et donc le type lui a sauté dessus avec le fil du téléphone il a commencé à l’étrangler et cette jeune femme a dit « ne me tuez pas j’ai des enfants vous aussi vous devez avoir des enfants » le type a lâché il s’est tiré c’est quand même prodigieux ce truc donc on a mis au point une stratégie qui est premièrement ça c’est vrai que c’est une règle d’or on le dit aux c’est la première chose qu’on dit aux hôtesses de l’air dans les avions quand vous avez à faire à un couillon de client qui vous fait chier qui est agressif tout ça vous n’êtes pas agressives avec lui vous tournez le truc comme vous voulez mais c’est vrai que répondre à l’agressivité par l’agressivité c’est la catastrophe ça c’est vrai on le dira jamais assez (VIII) (p 258) en 68 y aurait pas eu Marcellin ce gros con de Marcellin qui avait envoyé les flics ça n’aurait pas été 68 à la limite merci monsieur Marcellin grâce à vous on a fait une révolution il était quand même con ce ministre de l’intérieur il est mort il y a pas longtemps mais plus con que Marcellin tu meures vraiment quoi il faut un flic pour arriver à foutre le bordel comme ils l’ont foutu dans Paris non mais vraiment il fallait être plus discret bon enfin bref c’était vraiment la réponse qu’il fallait pas donner quoi la violence ça y a été là donc premièrement ça c’est la règle d’or ne pas répondre à l’agressivité par l’agressivité mais c’est plus facile à dire qu’à faire (VIII) le deuxième truc c’est quand même garder une distanciation alors y a des gens ils disent faut garder le vous et d’autres ils disent on doit prendre le tu à la limite arriver à une échelle de proximité ça je sais pas c’est ambigu je sais pas témoignage moi j’aurais tendance à garder le vous envers quelqu’un que je ne connais pas les jeunes évidemment qu’on tutoie à longueur de journée mais j’ai ma belle-sœur qui s’est fait agresser elle m’a raconté il y a déjà longtemps de ça une dizaine d’années elle s’est fait agresser dans le métro par un type qu’était certainement toxico il lui demandait du shit quoi de l’argent mais c’est pas sexuel elle lui a dit « mais écoute calme toi c’est quoi ton problème dis moi » elle l’a tutoyé « tu veux que je t’aide t’as un problème » et le mec a foutu le camp il a pris la fuite et y a une autre amie éducatrice que j’ai vu qui m’a raconté aussi un épisode ça se passait au Paquier à Annecy elle était avec son cousin elle était sur la pelouse elle marchait là comme ça et il y avait donc des marginaux avec leurs chiens là tout ça elles les a vus elle a pris le large et les types ont vu qu’elle avait changé de direction et ils lui ont sauté dessus ils l’ont roué de coups le cousin pas elle le cousin a été roué de coups donc voilà on est toujours dans la même logique de l’évitement de la provocation de ceci cela donc voilà donc non agressivité distanciation alors après comment on l’obtient (III) ou rapprochement je dirais il faut voir quoi et puis « moi j’y suis pour rien dans cette histoire je suis qu’un pion » il faut vraiment dépersonnaliser le machin « écoutez moi je voudrais bien vous donner de l’argent il se trouve que non seulement je n’ai pas d’argent mais je n’ai pas le droit de vous en donner ce serait une faute professionnelle » il faut expliquer ça au client au mec « j’ai pas le droit de vous en donner de l’argent je suis assistante sociale j’ai pas le droit de toutes façons d’abord j’en ai pas » expliquer le truc donc y a quand même une manière de désamorcer en même temps prendre du temps mais pas trop non plus je pense qu’il y a un rythme (III) il y a quelque chose moi je vois souvent au niveau de l’autorité je dis quelque chose et puis je m’en vais je tourne les talons je reviens si il faut mais je m’enferme pas dans un tête à tête broum broum (p260) où chacun je veux dire voilà il faut pas oublier que l’autre il faut aussi lui aménager des plages quoi il va pas comme ça au niveau du psychique il va pas comme ça perlaborer on dit perlaborer de manière ultra rapide il faut lui laisser des étapes (III) (260) donc on dit un truc il faut qu’il digère quoi et moi je vois ça marche bien ça donc on tourne les talons on revient (III) on dit « alors t’as fait ça non ça fait trois fois que je te le demande » il faut tempérer et après il y a une limite » ça commence à bien faire j’ai pris du temps maintenant basta ou tu le fais ou tu le fais pas » mais il y a aussi des limites il faut différer dans le temps il y a un feeling à sentir une plasticité mais qui ne veut pas dire être mou enfin je veux dire être vous voyez ce que je veux dire il faut quand même garder une consistance (III) quoi à la fois il faut pas être rigide un roc machin etc. mais il faut garder une consistance si vous êtes inconsistant c’est pareil ça va pas non plus l’autre en face a besoin de sentir qu’il y a quelqu’un en face on dit on a décidé mais non je ou tu fais ci on personnalise le truc au maximum (III ) vous voyez « je regrette beaucoup ce qu’on s’est dit je regrette beaucoup tu vois j’aime pas ça ça ne me plait pas ce truc tu vois mais c’est je tu vois ça ça marche bien » et c’est touchant je veux dire c’est touchant de réintroduire une vraie relation à ce moment là moi je me rappelle d’un gamin il y a pas très longtemps il y a un an c’était ici je dis pas le nom mais je l’ai en tête il me il me foutait dans des états pas possibles dès qu’il était dans la toute puissance c’est un gamin qui a toujours été dans la toute puissance chez lui donc quand il obtenait pas quelque chose son truc c’était je fais chier jusqu’à temps que je l’obtienne c’était aussi simple que ça donc il faisait chier avec un sentiment de toute puissance et d’impunité et donc il prenait une grappe de raisins et puis il balançait des raisins vous voulez pas que je fasse ça vous voulez pas me donner ça bin tient il balançait du raisin partout il prenait les assiettes il balançait les assiettes bon un truc quand même insupportable quand même on pouvait pas laisser ce truc s’installer comme ça et je me suis dit « ou je lui rentre dedans je lui fous une grosse tête ou un coup de boule » enfin quelque chose instinctivement c’est monté de mes tripes ce truc de lui foutre un coup de boule je me suis dit « tu vas lui foutre un coup de boule pour lui faire rentrer quelque chose dans la tête quelque chose qu’il comprenait pas » je le voyais le truc je l’avais visualisé « tu le prends comme ça et tu lui fous un coup de boule et pour pas avoir mal un coup de boule faut frapper là dans le pif de l’autre et là il saigne et tout il est à moitié KO » il reste ce fantasme là et donc je me suis dit ça va pas faire donc je lui ai dit viens voir viens voir viens voir on a été dans le bureau et il y avait une autre personne une autre éducatrice et je lui dis écoute on va s’expliquer et c’était vachement tendu et donc il a dit d’une manière c’est génial hein il trouve il y a une espèce comme ça d’intuition il y a quelque chose et il a dit est ce qu’elle peut sortir à l’éducatrice une éduc pas bête du tout elle dit « oui oui pas de problème moi du tout c’est pas que je dérange mais je vois bien qu’il y a quelque chose qui va se passer entre vous deux donc je m’en vais » et elle est sortie et on est resté tous les deux je lui dis « écoute je te préviens mais je sais pas quoi faire mais je vais te rentrer dedans c’est évident alors je veux pas mais je sens que je vais te rentrer dedans donc il faut qu’on trouve une solution tous les deux mais je te préviens c’est évident ça peut pas durer comme ça je vais te casser la gueule et ça sera peut-être plus fort que moi mais je t’assure je vais te casser la gueule mais comme il faut je dis parce que j’en ai vraiment envie alors faut vite qu’on trouve une solution » et le gamin le saint esprit est descendu hein franchement le saint esprit est descendu « c’est vrai c’est vrai {Emmanuel} j’ai abusé je reconnais j’ai abusé » j’en revenais pas moi-même j’en revenais pas moi-même j’étais sidéré

Vous lui auriez cassé la gueule ?

Ah oui oui c’était vital pour moi cette explication il senti que je la voulais j’étais au bord j’étais au bord j’en pouvais plus

Donc quand vous dites pour la télé j’irais pas au clash, si vous étiez atteint dans quelque chose de particulièrement intime vous iriez ?

Ah oui

C’est donc que vous êtes encore stratège ?

Alors certes mais il y a quelque chose que j’ai oublié de préciser c’est que il y a une chose pour le coup où je sais très bien que moi je vais au front et tout de suite s’il le faut c’est quand il s’agit de défendre quelqu’un (X ) un plus petit principalement ou une fille n’importe quoi qui est harcelé attaqué par quelqu’un là y a pas photo quoi là il y a pas stratégie quoi j’y vais je suis obligé de venir au secours de la personne qui est le terme exact c’est pas en danger c’est non assistance à personne en danger voilà donc forcément là j’y vais mais effectivement quand quelque chose et là il y avait quelque chose de l’ordre effectivement de moi c’était pas possible qu’il continue ce truc là qu’il continue cette stratégie de se dire on fait pas ce que je veux donc alors ça marchait avec sa mère ça marchait très bien avec sa mère qui disait arrête et qui obtempérait mais je veux dire ça pouvait pas marcher quoi ça pouvait pas marcher donc il y avait plus que le casse gueule quoi [ha ha ha ] oui de toutes façons en arrière cour

Dans ce que vous décriviez tout à l’heure de votre attitude éducative moi il m’a semblé entendre que il y avait chez vous une technique de différer une technique de laisser digérer une technique qui consiste à faire en sorte qu’on reprendra sur le sens et pas seulement sur l’événement. Mais j’aimerais mieux comprendre, ça m’intéresse, ce que vous faites une fois que vous avez différé. Au fond la question du lendemain. L’exemple que vous avez pris est intéressant : voilà il a pas éteint la télé vous avez décidé que bon OK tu l’éteindras pas mais j’aurai le dernier mot alors le lendemain comment vous avez le dernier mot ?

Alors le lendemain bon il n’y a peut-être rien de systématique mais le processus c’est toujours le même le processus on va dire et peu importe que ce soit le lendemain ou le sur lendemain parce que je travaille pas forcément le lendemain de toutes façons ce sera repris alors en général c’est quand même si justement on est arrivé au bord du clash j’en parle aux collègues c’est parlé en équipe c’est revu en équipe il y a un mode opératoire choisi alors ça veut dire un entretien avec le chef de service ou avec le directeur ou avec un collègue qui reprend ça en tiers en tierce personne alors il y a plusieurs choses le lendemain ça m’étonnerait beaucoup que le type il revienne avec le même scénario de la télé etc. il va éviter le truc je pense en général quand on veut reparler de quelque chose c’est rarement à chaud que ça peut se faire et le lendemain des fouis c’est encore trop chaud tout dépend on voit bien quand la personne se refroidit ça dépend de la personne des fois c’est une semaine 15 jours après il y a des gens c’est très différent selon les individus on ne sait pas à quelle vitesse l’individu va se refroidir en face il y en a qui sont très rancuniers et il y en a d’autres qui ne le sont pas du tout enfin qui n’ont pas cette empreinte de la mémoire comme ça alors après à quoi ça tient ça tient à plein de chose…(VIII)

Vous tenez compte de la personnalité ?…

On peut pas discuter avec quelqu’un quand c’est encore trop chaud quoi c’est clair et net faut attendre que ça refroidisse si on veut une discussion (VIII) d’accord mais de toutes façons ce sera repris et ça il y a ce truc là mais donc on reste dans un espèce de statut quo alors le lendemain en général on se cherche pas ça ne repart jamais sur le même scénario (VIII) justement il n’y a pas la répétition y a pas la crainte que le lendemain on remette ça non je crois pas y a vraiment quelque chose qui se fait à chaque fois justement et donc je fais une petite parenthèse moi je pense vraiment que bien sûr que je peux aller au charbon si vraiment il y a quelque chose de vital pour moi et tout mais je pense que l’autre là il le sait quelque part il le sent que c’est vital pour moi y a une espèce c’est pas le terme qui convient mais une espèce de noblesse aussi chez chaque individu il sent quand il a exagéré qu’il est allé trop loin il voit bien quand l’individu il défend quelque chose il défend lui enfin il défend une cause à lui enfin y a quelque chose là je veux dire et justement on dit les ados ils vont toujours nous chercher nous questionner etc. certainement qu’ils viennent nous chercher là où on est où on n’est pas enfin bon nous interroger c’est sûr on a intérêt à avoir répondu à quelques questions quand même et entre autres c’est sûr que si on a la trouille là ils viennent nous chercher sur la trouille alors là ça marche à fond la caisse là on est parti pour un bon bout de temps de truc ça c’est sûr que si l’éduc il a pas fait alors il a pas fait maintenant ça serait intéressant mais on aura pas le temps aujourd’hui mais il y a quand même d’autres trucs qu’il faut dire finalement il y a quand même quelques professions mais c’est pas très nombreux dans la société où un stress dans la relation à l’autre y a le travailleur social le policier il a une arme et donc potentiellement et subconsciemment il peut s’en servir tuer il peut tuer quelqu’un c’est pas comme quand vous vendez des frites hein là à priori vous êtes pas dans un registre de tuer l’autre ou quelqu’un vous tue hein donc y a le flic le maton y a le juge tout ce qui est justice y a l’infirmier psychiatrique ces gens là sont dans un rapport à l’autre qui est quand même qui fait une large part aux fantasmes aux fantasmes de l’agression et c’est pas pour rien je crois que c’est les policiers qui se suicident le plus la profession qui se suicide le plus en France c’est les policiers et ça j’en suis à peu près sûr y avait tout une étude qui avait été faite là dessus et on voyait vraiment ce qui pose question gérer le conflit (VIII )c’est pas évident y a des gens qui arrivent pas hein y a des gens qui arrivent pas ça s’apprend (VIII)et ça s’apprend quand même alors après y a des gens qui sont doués (VIII) moi j’ai vu des éducs des stagiaires des femmes ou hommes doués pour la relation ils sentent les choses (VIII) alors ils sont incapables de les verbaliser les conceptualiser mais ils les sentent et alors il y a des gens c’est vraiment des bourrins ils sentent rien du tout et y a ceux qui conceptualisent des tas de choses mais en défense (VIII) et qui sentent rien c’est dangereux aussi l’idéal c’est de sentir et de conceptualiser évidemment (VIII) bon donc y a ça y a un autre cas de figure quand même qu’on rencontre dans notre profession et qui est quand même vachement intéressant y en a un actuellement ça j’en suis persuadé c’est des jeunes qui ont soit vécu un traumatisme majeur genre viol agression sexuelle quelque chose où on souffre dans sa chair dans ses tripes un machin pas conceptualisé pour le coup un truc où il en a pris plein la poire donc il y a ça ou la déchirure lente et puis la maltraitance lente qui a duré des années psychologique là on rencontre c’est net une espèce de violence qui peut s’adresser envers les choses envers vous envers celui qui à un moment donné va incarner tel ou tel personnage fantasmatiquement moi je vois avec une gamine on a un rapport d’autorité à un moment donné on mange à 19 heures le repas elle rentre à 20heures trente et bien écoute je suis désolé tu as une heure et demi de retard le règlement tu connais c’est pas un hôtel un restaurant on a un truc de groupe on est obligé etc. donc on peut pas faire n’importe quoi donc je suis désolé tu peux pas manger ce soir elle est montée aux rideaux avec une grosse violence alors j’ai géré le truc mais j’étais dedans et y a un truc que j’ai pas vu et que j’ai vu après parce qu’elle s’en est pris à un autre pas le même jour à un autre gamin et où elle l’a vraiment alors ils étaient en conflit pour une histoire de télé pas grand chose mais c’est ce qui a provoqué le truc mais peu importe ça aurait pu être autre chose ce qui est intéressant on voit c’est le conflit ce qui l’intéresse (V) c’est pas la télé ou ce qui nous départage c’est le conflit elle revit le traumatisme (V) alors ça c’est encore autre chose elle en est pas consciente mais il y a quelque chose de fascinant c’est à dire l’autre il jouit y a une jouissance je la voyait elle était là elle l’astiquait ouais ta copine de toutes façons c’est une pute et l’autre ma copine c’est pas une pute alors fiche moi la paix est ce que je t’insulte moi je t’insulte pas moi pourquoi tu m’insultes parce que moi j’ai envie de t’insulter c’est comme ça et tu pourrais traiter ma mère de pute moi je m’en foutrais ta copine c’est une pute tu m’entends etc. vraiment elle l’a asticoter pour la faire monter en pression elle y est arrivée hein à faire monter la pression je pense que c’était pas conscient (V) et là c’est le conflit qui l’intéressait (V) c’est pas X Y ou autre chose c’est vraiment le conflit et là c’est un cas de figure qui est particulier parce que il y a quelque chose de jouissif on le voyait elle était captée (V) par ça c’était fascinant (V) une sorte de sidération je sais pas ce qui se passe mais ça ça m’intéresse parce que j’ai envie de quelque chose et qui monopolise toute mon énergie enfin il y a quelque chose que je revis quoi et que j’ai pas compris et que j’aimerais comprendre donc faut que je le revive c’est ce qu’on appelle un individu qui est fixé par son traumatisme il est immobilisé dans la progression ça c’est particulier ça c’est autre chose quand le conflit devient c’est ça qu’il va chercher là c’est autre chose faut jouer encore différemment moi là quand elle était en conflit avec le gamin je les ai séparés un moment donné je lui ai dit écoute tu vas trop loin ça va trop loin et j’ai bien cru qu’il allait lui foutre sur la gueule il était à deux doigts de lui foutre sur la gueule ça c’est passé là dimanche il était à deux doigts de lui foutre sur la gueule il en pouvait plus il en tremblait il était blanc et donc je l’ai pris comme ça par le cou je lui dis « viens viens viens viens voir faut que je t’explique un truc » et là j’ai pu lui parler et faire redescendre la pression mais faut séparer parce que l’autre elle revenait à la charge ça c’est un autre cas de figure encore qui est particulier quoi mais il y a une fascination de la violence (VII) on est tous fascinés par ça même dans les média hein les média et tout ça il y a une fascination du spectacle c’est spectaculaire la violence (VII) ça ça marche vachement bien t’as vu un film américain comment c’est filmé maintenant par rapport à dix ans ou vingt ans le nombre de séquences qu’il y a à la minute ça se chronomètre je veux dire donc tout ça alors elle est spectaculaire on est fasciné par tout ça parce que c’est fascinant vous perdez la vie hein avec la violence ça vous fascine hein ça vous branche hein ça vous fixe ou vous mourez ou vous vivez il y a quelque chose de qu’est ce qui peut être plus fort que ça (VII) finalement en dernier recours sa rappelle toujours ça hein certainement on a n’a pas oublié je crois si on a une mémoire collective et je pense qu’on a une mémoire collective là pour le coup comme je disais tout à l’heure donc et puis finalement c’est le dernier recours (VII) c’est ce qui nous reste finalement on pourrait dire on n’a pas finit on voit bien actuellement l’IRA et tout le machin on n’a pas fini c’est quand même spectaculaire depuis vingt ou trente ans la démocratie on peut reprendre à l’échelle planétaire c’est la même chose les démocraties ont quand même considérablement avancé la dictature était en retrait le mur de Berlin était tombé il y avait plus de guerre froide l’horizon s’éclaircissait enfin ce qu’on a pu croire qui s’éclaircissait hein il y a eu quand même un bon nombre d’utopies là qui ont germé dans les années 90 on allait enfin souffler machin et puis tac on repart de plus bel au niveau du terrorisme et c’est vrai quand même quand le type en face il vous dit c’est dieu qui me l’a dit c’est comme ça parce que dieu le veut ça vous coupe quand même le sifflet au niveau des arguments il n’y a plus grand chose quoi [inaudible] je blague un peu mais à peine finalement le truc il est là il y a quelque chose qui est de l’ordre qui n’est plus ni du rationnel ni de dialogue ni de je sais pas quoi il y a quelque chose vraiment moi je sais pas si c’est une question uniquement finalement de misère on pourrait dire ouais l’islam et tout ça les fanatismes se développent se développent dans les ce démon de la misère et tout ce qu’on veut c’est pas sûr finalement il y a des types c’est pas ça du tout regardez les mecs qu’ont fait le coup de Manhattan c’étaient des mecs diplômés des types vraiment ouais qui avaient une culture ça pose question hein sur l’idéologie alors on n’est plus du tout au temps des brigades rouges mais je pense que on n’est pas sortis de l’auberge avec cette violence

Tout à l’heure vous avez évoqué très rapidement la question de civiliser la violence vous diriez que c’est la fonction essentielle de l’éducateur ?

Ben oui sans doute oui moi mon fils j’ai un fils qui a huit ans je peux dire que je le vois tous les jours depuis huit ans donc j’ai suivi l’affaire j’étais aux premières loges il est évident que je lui apprends à civiliser sa violence(V) alors d’abord sa toute puissance là parce que l’individu est quand même par essence hein on dirait en philosophie est quand même spontanément dans la toute puissance le rêve de toute puissance hein c’est certain(V) je pense que là aussi c’est pas des conneries cette histoire d’être dans le placenta d’avoir aucun soucis machin de baigner hein ça baigne on dit et puis vous sortez et tous ces problèmes qui s’accumulent tous ces machins on va retrouver ça on va retrouver puis je veux dire c’est tellement normal que tout vous obéisse enfin je sais pas vous avez soif de l’eau tombe vous avez froid que de la chaleur vienne c’est tellement moi mon gamin oui oui l’éduc moi j’éduque Dolto disait éduquer c’est montrer l’exemple moi je lui montre( XIII) quand même l’exemple je lui montre l’exemple avant tout quand même que moi ma violence(II) je la bin oui je la je m’en débrouille je m’en débrouille (II) alors je suis pas content sur des trucs et je lui montre il voit bien hein et il copie quand même c’est quand même du mimétisme donc oui c’est pas tellement ce que je peux lui dire (II) bien sûr il y a des sanctions je lui dis » bien t’arrêtes de parler à ta mère comme ça t’as vu comment t’as parlé tu t’excuses tout de suite s’il te plait et tu viens à table et tu fais ça et dépêches toi » bon ça il l’entend mais c’est pas ça fondamentalement qui fait que ce petit homo sapiens il va quand même arriver à foutre de l’eau dans son vin (II ) pour dire « bin ouais mon copain dans la cour si il veut pas me donner la bille je vais pas lui taper sur la gueule tout de suite comme ça je vais essayer de lui demander la bille l’échanger contre ma bille ou de la jouer » enfin je sais pas quelque chose donc voilà de jouer au sens noble du terme aussi s’il avait envie d’une copine rentrer dans le jeu de la séduction pas lui sauter dessus pour la violer encore que c’est tous ce qu’on a envie de faire une fois de plus je veux dire ce serait bien si on pouvait sauter sur toutes les nanas pour se les faire ce serait le pied c’est ce qu’on a fait pendant des millions d’années donc non et on rentre dans le jeu de la séduction alors après il n’y a plus la séduction hein la séduction au sens noble du terme quoi mais en tout cas c’est sur que je lui montre comment je fais avec moi mes limites et c’est sûr qui copie ça c’est certain il est branché là dessus ça je le vois bien donc éduquer c’est montrer l’exemple oui il n’y a pas de pétard là dessus donc c’est ce que disait Freud il faut l’individu et la société leur intérêt est antagoniste (XIII) il est diamétralement opposé donc il faut arriver à combiner les deux [ inaudible]c’est vrai qu’il y a quand même un message c’est que Robinson Crusoé sur son île individu il se fait chier heureusement qu’il y a les autres la vie existe parce qu’il y a les autres la vie n’existe que parce qu’il y a les autres si je suis tout seul je vis pas ou je végète donc finalement il y a une restitution de l’autre qui n’est pas simplement tiens quand Sartre il disait l’enfer c’est les autres d’accord il le disait mais dans un cadre bien particulier mais le paradis c’est aussi les autres quand même c’est les deux hein je pense c’est très ambivalent

Nous allons peut-être arrêter par là si vous êtes d’accord ?

oui