Entretien n° 3 : Léa.

si vous voulez bien je propose que vous me racontiez un épisode où vous même vous avez été en situation d’être confrontée à de la violence, un moment qui vous a paru particulièrement important

d’accord un vrai j’en ai un de vrai (I) moi j’ai envie de dire j’ai eu à subir une violence folle une violence ce que j’appelle irraisonnée (II) en tous cas c’est comme ça que moi je l’ai reçue je me suis fait moi frapper en septembre 2004 septembre 2003 oui septembre 2003 par un jeune qui avait entre guillemets une connotation et un étiquetage violent je dis étiquetage car il est arrivé comme ça et je pense aussi que ça nous influence dans nos pratiques j’en suis-je crois même de plus en plus persuadée dans le sens où je crois aussi ça leur donne pas beaucoup d’espace pour se montrer autrement je remets un petit peu le contexte donc il est arrivé de cette manière là et j’ai donc subi sa violence physique dans un moment où il était alcoolisé où il était dans le refus des frustrations il voulait absolument des cigarettes il était dix heures du soir (I) il fallait absolument aller chercher des cigarettes bien évidemment qu’on ne pouvait pas répondre à cette demande là pour diverses raisons éducatives ou autres et donc j’ai… du fait qu’il était alcoolisé il a commencé donc à casser (I) du matériel et j’ai envie de dire malheureusement pour moi je suis arrivée à ce moment là (I) pour tenter de le calmer et c’est moi qui ai reçu donc j’ai reçu la violence d’un jeune (I) qui n’avait plus son quant à lui donc j’ai reçu [inaudible] très très forte j’ai reçu son alcoolisme j’ai reçu aussi sa détresse (I) j’ai vraiment reçu cette violence en pleine figure j’ai cru que j’allais mourir à ce moment là j’ai vraiment cru que j’allais mourir parce que j’ai senti qu’il y avait plus rien qui pouvait l’arrêter donc j’ai été frappée partout et ensuite quand ce moment qui m’a paru être un moment monstrueusement long s’est arrêté (I) ça c’était un peu à l’extérieur de la maison et je me suis complètement écroulée écroulée par terre je me suis recroquevillée j’étais je sortais en fait de tout ce que je pouvais être d’humain et de contrôle et de tentative de raison j’étais vraiment je retombais petite fille un peu dans des réactions complètement d’autisme à m’écrouler par terre (I) ( p 178) je me suis écroulée par terre donc ça c’est vraiment un moment très difficile d’autant plus difficile que par la suite il y a eu deux choses d’une part je me suis sentie très très seule à le vivre (I) très seule au niveau des collègues très seule au niveau de certains jeunes qui avaient vu ça et qui ne pouvaient pas ou ne voulaient pas intervenir donc je me suis sentie très très seule sur ce plan là même si c’est des jeunes dont je m’occupe j’aurais presque pu demander leur aide je me suis sentie très très seule de la part de mes collègues qui je pense aussi n’ont pas pu réagir ou n’ont pas su ont été aussi tellement anéantis que ça leur paraissait enfin ils sont restés cloués (XI) ceci dans une période où on était aussi en restructuration d’équipe donc avec des anciens et des nouveaux avec des départs donc aussi avec des déséquilibres et une fragilité d’équipe et puis je pense que ça a du aider enfin aider a permis ça et puis ensuite très très seule au niveau institutionnel (XI) parce que j’ai du je suis quelqu’un qui a l’apparence en tous cas qui montre toujours que j’assume et donc là j’ai pas pu dire que j’étais très très mal que je pouvais plus et donc on n’est pas venu me chercher pour me dire vous êtes mal on va vous aider donc il a fallu en plus que je tente de résoudre mon propre mal être et que je tente de résoudre mes ma douleur donc (VIII) ça c’est comme ça que je l’ai vécu cet un évènement duquel je me suis sortie (VIII) j’ai envie de dire assez bien parce que j’ai compris que bien évidemment dans ce qui c’était passé il y avait une inter action donc il y avait ce que le jeune avait envoyé mais il y avait aussi ce que j’avais permis il y avait la partie institutionnelle la partie éducative la partie de ce que ce jeune était en train de vivre et de mettre en actes et cette partie qui m’appartenait donc j’ai envie de dire je m’en sors bien parce que j’ai pu comprendre quelle partie m’appartenait j’ai pu chercher d’où ça venait et pourquoi ça avait été possible (VIII) et donc de ce fait là après l’avoir compris après l’avoir vécu aussi de l’intérieur parce que je crois qu’il suffit pas de le comprendre il faut aussi le vivre le ressentir je me dis qu’aujourd’hui ce jeune m’a servi ce jeune m’a servi à mieux me comprendre et à mieux me cerner (VIII) ça veut pas dire que j’accepte sa violence ça veut pas du tout dire que j’accepte ce qui s’est passé je crois pas enfin c’est évident que ça lui a pas servi autant quoi parce qu’il est parti il est parti du fait de cet acte là je pense qu’il n’y avait plus de possibilité pour lui donc il est parti dans des fugues il est parti dans de la destruction il est parti encore plus loin ça c’est peut-être un regret mais un regret de ne pas avoir pu comprendre assez vite de pas avoir pu avoir les éléments assez vite pour tenter de le récupérer plutôt que de l’enfoncer plutôt que de le mettre encore dans une situation plus terrible pour lui ce qui a été le cas

Comment s’est opéré chez vous ce travail de prise de conscience de votre propre part ?

Bin je pense que quand ça c’est passé je pouvais plus vivre vraiment je pouvais plus vivre chaque mouvements chaque paroles me faisaient que ce soit au niveau professionnel que ce soit au niveau privé faisaient que je m’écroulais je pouvais plus du tout rien assurer de mon travail de mon statut de maman de mon statut de femme j’ai envie de dire tout contact humain était pour moi un écroulement donc c’est quelque chose que je connaissais absolument pas moi j’étais vraiment à la découverte de quelqu’un d’hyper fragile et de détruit que je ne connaissais pas (IV) (p 214) donc ça a été très rapide parce que j’étais sans cesse j’ai cette image j’étais sans cesse recroquevillée à pleurer (IV) (214) vraiment comme une toute petite quoi donc au bout d’une semaine j’ai mon compagnon qui m’a dit c’est pas possible c’est pas possible il faut arrêter stop donc il m’a aidé à stopper et j’ai eu aussi le soutien de la psychologue donc je suis allée la voir je lui ai dit il faut que tu m’aides je peux pas m’en sortir(I) et donc c’est de là que je suis on m’a dit fais ci fais ça et comme une petite fille j’ai fait un peu ce qu’on m’a dit (I) donc on m’a dit va voir la médecine du travail il faut te faire arrêter parce que j’ai j’avais été chez un médecin mais le médecin n’avait constaté aucune lésion physique donc j’avais vraiment tout reçu de l’intérieur(I) (p 215) et donc il m’a pas arrêté et donc j’ai continué comme le médecin ne m’arrêtait pas c’était à la limite le seul qui pouvait m’arrêter et c’est dans ce sens là que je me suis sentie toute seule c’est que l’institution elle ne m’a pas dit il faut t’arrêter il y a une obligation donc j’ai continué à travailler je pouvais plus je pouvais plus donc cette démarche là fait que je suis allée chez le médecin du travail et le médecin du travail m’a dit il faut vous faire aider donc j’ai tenté au niveau institutionnel d’avoir une aide pour aller voir un psychologue pour être prise en charge à ce niveau là donc j’ai demandé à pouvoir avoir cette prise en charge là et je suis allée voir une personne qui est à la fois psychologue et qui fait à la fois une méthode qui tente d’aider aussi par des massages énergétiques (I) je suis allée voir cette dame plusieurs fois et donc j’ai beaucoup j’ai compris c’est là où je dis que ce jeune garçon m’a aidé c’est que j’ai compris qu’en moi il y avait aussi cette fragilité là et que j’avais moi aussi des choses à régler de pourquoi j’avais accepté cette violence (VIII) donc j’en suis venue à tenter d’aller chercher mon histoire personnelle que j’avais déjà j’ai envie de dire ce n’est qu’une suite ce n’est qu’une suite de mon parcours pour essayer de comprendre qui je suis donc j’en suis venue un peu plus à aller chercher dans mon histoire personnelle (VIII) qu’est ce qui a été la violence qu’est ce quoi avait été qu’est ce que j’avais vécu comme violence et qu’est ce qui faisait que j’avais permis donc je dis aujourd’hui ça a été le début de la rencontre de la violence des autres et de ma propre violence (VIII) donc la suite c’est que j’ai eu ensuite un accident de voiture au travail j’ai eu aussi un accident j’ai eu deux accidents assez conséquents par la suite donc j’ai du être arrêtée quatre mois et pendant cet arrêt j’ai pris cet arrêt pas pour être soignée physiquement bien que j’ai été soignée physiquement mais surtout aussi pour me soigner dans ma tête me soigner et comprendre ce qui se passait pourquoi j’étais comme ça et pourquoi je vivais donc ça c’est vraiment à un plan intime hein c’est pas du tout un plan institutionnel

La nécessité d’un chemin de reconstruction …

Ben la nécessité d’un chemin de reconstruction pas forcément de reconstruction parce que je crois que j’avais un bout à construire non pas à reconstruire mais un bout de moi dont j’avais pas conscience ou que je voulais pas voir donc il fallait que je le mette en évidence et que je me construise aussi avec ces bouts là (VIII) (p 217)

C’est une expérience que vous ne vous imaginiez pas du tout qu’il était possible que vous viviez ?

Oui bien évidemment oui bien évidemment avec une certitude que les liens que le vécu qu’on peut avoir avec les jeunes font que il y a une limite qui se pose toute seule avec cette certitude là donc cette certitude a été brisée (IV) (p 215)

Elle a explosé ?

Oui vraiment explosé (IV) après bon les questions peuvent venir cette certitude est ce que c’était de la confiance est ce que c’était de la toute puissance(IV) après je peux m’en arranger

Qu’est ce que vous en diriez aujourd’hui ?

De la toute puissance oui j’ai répondu à ça dans des certitudes de il y a des limites qui sont posées par les éducateurs par les équipes et ces limites là elles ne peuvent pas se dépasser donc dans une oui je pense un sentiment de toute puissance de pouvoir de pouvoir je crois à ça (IV) (p 215)

Et cette réflexion cette reprise cette longue recherche de vous-même là dedans ces certitudes d’avant aujourd’hui elles vous paraissent non légitimes moins légitimes ?

Je saurais pas répondre le mot légitime ne me convient pas forcément

Il y a peut-être un autre ?

Oui elles me paraissent (VIII) compréhensibles pour travailler parce que je pense que je pense qu’on a besoin de travailler avec des croyances aujourd’hui qu’est ce que je pourrais dire je pense qu’elles sont nécessaires pour certaines personnes je pense que ce soit celles-ci ou d’autres les certitudes peuvent être légitimes (VIII) et nécessaires pour pouvoir travailler en ce qui me concerne c’est vraiment difficile nécessaires peut-être qu’elles restent nécessaires je crois pas qu’elles soient légitimes je pense pas je pense pas parce que comme je vous dis je pense que c’est de l’ordre des défenses et de l’ordre du pouvoir et aujourd’hui je me dis c’est peut-être aussi des éléments qui font que ça amène la violence peut-être c’est des questions c’est des questions aujourd’hui dans mon travail je me sens comment dire plus tranquille je me sens plus humble aussi en me disant que le meilleur comme le pire peut arriver et donc je me sens moins dans des rapports de pouvoir plus dans des rapports de relation de recherche de tenter de partager tout en sachant que le pire comme le meilleur peuvent arriver et ces incertitudes là qui me viennent en tous cas ces non certitudes font que j’ai l’impression d’être dans un meilleur travail VIII) voilà dans une meilleure relation ce qui peut paraître paradoxal

Où est ce que vous situez le paradoxe ?

Heu où est ce que je mettrais le paradoxe je le relierais peut-être je le relierais plus à une société générale qui fait que pour communiquer il faut savoir de quoi on parle et savoir ce qu’on dit et savoir qui on est ça c’était ça c’est comment dire baser les relations sur des histoires de certitude pour moi je me dis peut-être aujourd’hui que les relations sont basées sur des incertitudes mais (VIII)

Ce qui vous donne plus d’empathie par rapport aux gens ?

Ho oui oui plus d’empathie et moins de volonté à vouloir pour eux (VIII)

Lâcher du pouvoir ….

Oui oui oui mais c’est drôle parce que quand je parle de ça j’ai l’impression de parler du travail jet ’ai l’impression de parler de toute la relation hein j’ai du mal aussi à différencier le professionnel des relations en général oui

Et à la lumière de cette expérience complexe vous diriez qu’elle tient à quoi la violence ?

Oh la la violence d’un jeune comme ça ou la violence en général

Comme ça vous inspire…

Moi je place la violence sur plusieurs niveaux je me dis c’est un tout pour moi il y a des raisons psychologiques il y a des raisons familiales il y a peut-être des raisons qui sont dues à l’humain je ne sais pas il y a des raisons sociologiques je crois aussi que la violence (VIII) n’arrive pas comme ça c’est aussi du à un contexte sociétal je crois fortement à ça et puis c’est aussi du à des relations de pouvoir (VIII) des relations au niveau institutionnel où quand même on se place comme ceux qui savent qui faisons pour le bien sans savoir forcément ce qui est leur bien et que je crois que c’est des relations de violence aussi (VIII)

Ça vous semblerait être une des causes privilégiées de la violence des adolescents dans les institutions celle du pouvoir ?

Non non non pas une orientation privilégiée non au même titre que non pour moi ce serait un élément à prendre en compte le pouvoir des institutions et le pouvoir des individus sur les adolescents sur les enfants le pouvoir de la société sur entre guillemets les plus faibles mais au même titre non non au même titre que la violence que la violence que le jeune peut avoir ne lui qu’il a reçue de sa famille qui lui est propre aussi non au même titre c’est dévastateur c’est vraiment dévastateur (IV)

Comment à votre avis peut-on le travailler dans votre expérience éducative ?

Ouff je ne peux pas vous répondre je ne peux pas vous répondre je serais j’aimerais comment dire faire l’expérience de certaines choses différentes pour tenter de voir si ça pourrait peut-être pas l’enrayer mais en tout cas l’atténuer j’aimerais pouvoir faire cette expérience là maintenant vous dire que…Oh maintenant vous dire que ce serait ça non je ne suis pas suffisamment à même j’ai suffisamment d’incertitude pour ne pas penser que ce serait ça qu’il faut faire je penserais à quoi je penserais à déjà à changer les relations à changer le relationnel à mettre plus d’empathie à faire en sorte qu’il y ait plus d’écoute des jeunes de ce qu’ils ont à dire et de leurs besoins ou de leurs solutions qu’est ce qu’ils peuvent eux envisager comme solution et des solutions qui ne seraient pas forcément les nôtres et qui seraient bien évidemment je pense pas les nôtres accepter tout ça être dans une attitude positive vis-à-vis de ces jeunes là j’ai envie de dire leur accorder beaucoup plus de crédit d’une part et leur accorder aussi des essais si je dis des essais c’est qu’il est difficile je trouve et l’exemple de ce jeune en était un mais il y en a plein d’autres il est difficile déjà d’accueillir des jeunes qui ont cette étiquette de » houla il a de la violence il vient d’une famille comme ci il vient d’une famille comme ça » j’ai envie de dire il y a déjà des condamnations qui se font

Qui sont scotchées dès qu’ils sont sur le pas de la porte ?

Qui sont scotchées et qui en tous cas pour ce qui me concerne qui s’insinuent en moi qui s’insinuent en moi j’ai un exemple récent puisqu’il y a un jeune qui vient d’arriver et que je n’ai pas vu le seul étiquetage qu’on m’a fait c’est attention il va falloir chercher la drogue c’est le seul étiquetage que j’ai de lui je le rencontre demain avec cet étiquetage là donc comment je fais moi pour me débarrasser de cet étiquetage avant d’aller à sa rencontre comment je peux faire parce que j’ai déjà cet élément là négatif c’est déjà insinué en moi et donc forcément ça va influencer ou influer sur nos premières relations donc j’aurais je ferais ce genre d’hypothèse de oui faire en sorte que les jeunes puissent arriver sans ces étiquetages et qui souvent se transmettent en plus d’institution en institution qui se transmettent d’éducateur en éducateur de chef en chef comme si il y avait une transmission de la violence a été posée à un moment donné elle ne s’arrêtera pas de cette manière là parce qu’on va la faire vivre (VIII) et je suis pas certaine tout le temps peut-être dans les cas extrêmes mais je suis pas certaine tout le temps que cette violence soit comment dire soit vécue par le jeune mais en tous cas nous on la fait vivre j’aimerais pouvoir faire des hypothèses de ces changements là oui

Qu’est ce qui l’empêche à votre avis pourquoi on n’arrive pas à faire ce que vous dites qui parait frappé au coin du bon sens ?

Il me semble que il me semble qu’on est déjà dans une société violente (V) moi je trouve partout je trouve dans la manière dont les gens conduisent la manière dont les publicités sont faites la manière dont les mots sont retranscrits ou sont posés aussi bien au niveau des médias qu’au niveau de nos relations qu’au niveau de nos enfants je trouve qu’à tous les niveaux il y a énormément d’agression pour moi hein donc je crois qu’on est que l’institution n’est qu’un reflet de la société dans laquelle on vit (V) donc ça c’est un reflet de société je crois que on est on a en tout cas on a reçu une éducation où j’avais lu un livre d’un historien qui s’appelle Delumeau et qui parle de la faute et l’aveu et je trouve qu’on est qu’on a été élevé d’une manière judéo-chrétienne c’est pas péjoratif dans ma bouche mais où on parle de faute on parle de culpabilité on parle d’aveu on parle de bien on parle de mal ça se parle aussi au niveau planétaire hein le bien et le mal mais avec une finalité je trouve violente non pas d’acceptation des différences d’acceptation des autres donc ça ce sera la première chose pour moi l’institution n’est que le reflet je crois aussi que la violence renvoie tellement à soi que si on n’a pas commencé nous en tant que professionnel et en tant qu’être humain à savoir quelle est notre propre violence et d’où elle vient et comment faire avec (X) l’accepter la refuser tenter de vivre avec tout en la contrôlant je vois pas comment est ce qu’on peut répondre à la violence qui nous est envoyée par les adolescents ou que nous même on envoie( X) donc c’est des interactions au niveau société des interactions au niveau institutionnel interactions au niveau individu qui me paraissent quand même bien difficiles à nettoyer d’un coup d’éponge et on va dire bon ben voilà on va faire autrement

Un coup d’éponge non mais c’est ce que vous semblez avoir fait ?

Pour la petite anecdote j’ai eu un cadeau superbe malheureusement pour ce jeune homme ce jeune garçon ça n’a pas été suivi d’effets ce jeune homme m’a vraiment envoyée douloureusement dans mes retranchements vitaux (II) je vous l’ai dit j’ai eu ensuite un accident de voiture j’ai eu ensuite un accident domestique très violent puisque je suis vraiment passée à deux doigts donc j’étais dans ma propre violence j’ai rencontré la mienne et puis je vous ai dit je me suis soignée j’étais en arrêt donc plusieurs mois et le jour de mon retour au travail j’avais une lettre dans mon casier de ce jeune garçon qui je pense était dans une réparation en tout cas dans une tentative de réparation avec l’aide d’autres êtres humains qu’il avait rencontrés et ce jour là quand je suis rentrée au travail j’avais cette lettre où il me demandait pardon et je me suis dit voilà une sacrée boucle quoi qui vient de se boucler donc je ne suis pas arrivée là où j’en suis toute seule je suis arrivée là aussi par les gens qui m’entourent et puis aussi ce qui est complètement fou j’ai envie de dire grâce à lui ça a un côté assez terrible ce que je dis parce que il m’a servi sa violence m’a servie alors j’ai la chance de pouvoir en avoir fait quelque chose de positif quelque chose qui m’a construit ou qui m’a reconstruit j’ai cette chance là c’est vrai que si je la vois comme ça c’est passé c’est destructeur et anéantissant si je vais pas chercher au-delà et pourquoi et qu’est ce qui c’est passé et où il est où ce jeune homme est actuellement c’est destructeur et anéantissant c’est pas ce qui s’est passé et j’ai eu cette chance ceci dit il y a un bout qui lui appartient aussi si je prends le mien il a le sien après c’est aussi ce que lui… mais après je sais pas j’ose faire l’hypothèse que si le contexte si des individus le contexte de la société le contexte institutionnel changeaient je serais oui j’oserais faire l’hypothèse que ça pourrait changer cette violence dont on parle tant je nous trouve nous adultes à certains moments très violents et je vois pas pourquoi les enfants ne le seraient pas (VIII)

Ce que vous dites est très clair mais il y a quand même un énorme paradoxe c’est que le travail des éducateurs devrait être de la civiliser cette violence de donner d’autres voies d’expression à sa détresse à son mal être à son histoire à toutes ces causes que vous avez dites…

Moi j’ai l’impression d’être j’ai l’impression que les que nous éducateurs nous sommes pris entre deux phénomènes complètement contradictoires nous faisons le lien c’est vrai que nous sommes là pour tenter d’expliquer de mettre du sens à la loi de mettre du sens aux règles à travers l’éducation donc nous sommes là pour civiliser en même temps je trouve qu’on est d’une part on nous demande de civiliser des enfants des adolescents dans une société qui est pour moi amène la violence sans parler de la leur hein mais qui pour moi amène de la violence et puis de l’autre côté je trouve que en tant qu’éducateur on a déjà un sacré travail à faire sur nous même pour tenter de comprendre où est notre violence je vous ai dit comment faire avec pour ensuite éviter de faire rencontrer notre propre violence avec celle des adolescents (VIII) (p 248) je crois que civiliser par rapport à cette violence ou tenter d’expérimenter d’autres voies c’est à partir du moment où nous-mêmes on a pu expérimenter ces voies je vois pas comment est ce que c’est possible autrement et donc on peut pas je pense qu’on peut pas répondre en tous cas on peut pas tenter d’expérimenter d’autres voies à partir du moment où la société ne les a pas expérimentées et nous même nous ne les avons pas expérimentées je crois pas à ça j’y crois plus

Vous y croyiez ?

Oui oui oui oui j’y croyais avant dans mon expérience personnelle parce que je n’avais pas conscience de ma propre violence je ne pouvais pas dire il faut que j’expérimente les voies de ma violence à partir du moment où j’étais quasiment dans une certitude que moi ma violence c’était pas possible elle n’existait pas oui donc c’était pas possible que enfin en tout cas je la gérais je la contrôlais je dis pas qu’elle n’existait pas parce que j’ai été dans un service il y a quelques années en arrière où nous avions des jeunes ordonnance 45 vraiment vraiment très violents je disais à certains moments pour tenter d’expulser ce qui se passait je disais c’est fou quand j’arrive au travail je me transforme en « Hulk » je sais pas si vous voyez cette série télévisée où j’avais l’impression de perdre ma féminité de me transformer en « Hulk » de me transformer complètement en un espèce de monstre qui répondait à la violence que j’avais en face de moi pour me défendre donc si bien sur elle existait mais je pensais la contrôler et je pensais aussi être obligée de répondre de telle manière parce que j’étais dans de la défense vitale donc non je pensais la contrôler et je me dis qu’aujourd’hui tant que on ne se sent pas fragile et tant qu’on n’a pas suffisamment travaillé sur notre propre violence on peut pas expérimenter d’autres voies maintenant j’y crois plus et c’est un constat difficile hein parce que c’est difficile de continuer à travailler comme ça ça pose plein de questions sur la suite du travail c’est évident

Et vous y êtes pourtant revenue ?

J’y suis revenue depuis peu enfin j’y suis revenue oui ça fait neuf mois que je suis revenue avec ces questions en permanence dans ma tête ces questions de relations ces questions de qu’est ce qu’on projette ces notions de pouvoir qui pour moi sont là de plus en plus que je perçois qui m’attaquent

Vous êtes revenue avec des intuitions nouvelles des élaborations plus pertinentes des problèmes ?

Pas forcément des élaborations plus pertinentes je suis revenue en me disant il y a une voie de non violence à travailler alors c’est très vaste hein c’est très très vaste mais il y a une voie de non violence à travailler et je ressens…

Je me demande comment quand on a vécu des choses extrêmement difficiles, particulièrement douloureuses comme celles que vous décrivez, même si elles vous ont fait grandir d’une certaine façon, vous le dites, même si elles vous ont transformée si elles vous ont fait mettre au jour des choses de vous laissées sous le boisseau qu’est ce qui fait qu’on y retourne ?

peut-être pour finir quelque chose je suis dans mes interrogations hein en ce moment en me disant est ce qu’il est pas temps pour moi de partir et de faire autre chose de faire des choses différentes tout en justement dans des relations qui me permettraient d’être à égalité entre guillemets je dis bien entre guillemets parce que si je reste dans le métier non il n’y a pas toujours une histoire de pouvoir si je veux il n’y a pas d’histoire de pouvoir mais en tout cas dans des relations autres que celles de l’institution que celles du placement que celles de l’adulte face à l’enfant donc dans des relations qui pour moi sont des relations de pouvoir donc ça c’est des questions que j’ai pour la suite et qui sont là maintenant je crois aussi que quand on travaille avec des adolescents ou comme des collègues qui travaillent avec des personnes handicapées ou avec la petite enfance pour moi c’est pas anodin pour moi ça correspond aussi à ce qu’on va y chercher pour soi et donc je me dis j’ai peut-être un terme j’ai peut-être un fin là je suis peut-être sur une fin mais je sais pas encore donc j’y suis pas revenue par esprit masochiste revenir dans ce secteur et en tout cas au même endroit oui c’est vrai que j’ai pas fait le lien j’ai pas fait le lien mais j’avais l’impression d’avoir clos cette histoire j’avais l’impression d’avoir clos cet épisode de violence non je suis même persuadée qu’il est clos maintenant (VIII) rester dans ce cadre là où la violence peut être autorisée où la violence peut survenir heu oui je sus peut-être en train de terminer quelque chose c’est des questions ça c’est des questions et en même temps…

Aujourd’hui vous pensez que un scénario comme celui que vous m’avez décrit ne se reproduirait plus, vous feriez autrement ?

J’ai l’impression qu’à l’intérieur de moi je n’autoriserai plus cette violence pour moi j’ai l’impression que en tous cas symboliquement j’ai vraiment la sensation de m’être posée cet interdit de recevoir cette violence chose qui je pense n’était pas le cas avant j’ai pas de certitude (VIII)

Si je vous ai bien comprise il y avait d’autres collègues présents quand cet évènement s’est produit…

Oui il y avait une autre collègue

Et on n’est pas envahi par une colère phénoménale de ne pas être aidée ?

Non parce que en fait quand ça c’est passé à l’extérieur de la maison et elle était à l’intérieur de la maison donc quand elle a pris conscience de ce qui se passait c’était déjà presque fini j’étais écroulée donc non j’ai eu la colère par rapport aux jeunes qui ont vu et qui n’ont pas bougé j’ai eu cette colère là en me disant c’est pas parce qu’on est jeune c’est pas parce qu’on veut pas avoir de problème que on n’intervient pas quand il y a l’intolérable qui se produit donc j’ai eu cette colère là j’ai eu énormément de colère aussi par rapport à l’institution et aux non réactions et au non soutien (XI) (p 216) il y a peut-être eu des soutiens je ne les ai pas entendus je pouvais pas les percevoir

Une colère que vous avez pu vous autoriser à exprimer ?

Non et la preuve en est c’est que ensuite je savais qu’il y avait eu une commission violence qui s’était réunie à plusieurs reprises donc avec un superviseur une superviseur et j’avais besoin de chercher cette commission j’avais besoin de qu’est ce qui avait été élaboré au niveau de l’institution et j’ai mis en fait quasiment neuf mois à récupérer parce que j’ai envie de dire étrangement je n’arrivais pas à récupérer cette commission il n’y avait pas eu de choses élaborées écrites de traces cette commission avait fini de se réunir sans que rien n’ait été élaboré et j’ai je pense que ça a été un bout de mon soin j’ai vraiment été ce qu’on appelle très chiante au niveau institution parce que je n’ai pas lâché le directeur pour qu’il puisse me rendre compte de cette commission violence donc je suis passée un petit peu par là peut-être une manière de me venger je sais pas et maintenant cette commission violence je l’ai j’ai un texte comme ça qui est sur mon bureau à la maison et je n’en fais rien

Vous ne l’avez pas lu ?

Si si parce que au niveau théorique c’est très intéressant mais je suis par exemple très sensible à ce qui se passe pour mes collègues même de toute l’institution et je sais que le jour où j’apprends qu’il y a un collègue qui est en difficulté qui a subi de la violence je sais que je serai là mais parce que je vais me soigner en travers hein en disant moi ça c’est passé comme ça et ça se reproduira pas deux fois ma colère elle est là

Vous pensez qu’une plus grande attention de l’institution aurait été aidante ?

Oui oui j’en aurais eu besoin vraiment [silence]

Après cet évènement là est ce que vous avez pensé que vous auriez pu vous y prendre autrement ?

Oui oui je me suis dit comme il était en train de casser du matériel de briser des vitres je me suis juste dit j’aurais dû le laisser passer son énergie dans les vitres plutôt que de faire en sorte qu’il passe son énergie sur moi j’aurais du le laisser et ensuite intervenir après ce moment de folie

J’imagine que vous avez pensé ça plein de fois mais pourquoi vous êtes allée entre la vitre et lui qu’est ce qui vous y a poussé ?

Heu j’en ai pas réellement conscience j’ai pas une conscience claire de la folie dans laquelle il est et puis je suis dans le lien si je me remémore comment ça c’est passé je suis avant tout dans le lien et dans ce qu’il est (II) comme jeune garçon je vois sa souffrance je vois ses passages à l’acte je vois avant tout l’être humain (II) et je perçois en tous cas dans je perçois pas cette violence comme étant possible d’une violence je ne sais pas comment l’exprimer d’une violence à tout va d’une violence sans nom je vois pas ça et je suis quasiment certaine et c’est là où je parle de toute puissance je suis quasiment certaine que si je vais le voir je vais lui redonner de l’humain je vais arrêter ce tourbillon dans lequel il est parce que je vais mettre un visage humain (II) (p 214) donc je suis dans une illusion et une toute puissance assez folle quoi aussi

Vous êtes encore dans un moment où vous croyez où vous pensez qu’on peut être en face et que ça va l’arrêter ?

Oui donc ça c’est le côté conscient et de comment ça s’est passé le côté inconscient c’est tout ce que j’ai à régler moi

Mais sur le moment votre lucidité c’est de dire il faut que j’y aille je peux pas le laisser dans cet état ?

Je peux pas le laisser se détruire (X) comme ça il va se faire mal il va il va vraiment se faire mal c’était oui vraiment c’était indispensable

Et vous ne pouvez pas penser qu’il est tellement hors de lui qu’il vous verra pas et qu’il va faire comme vous étiez à lui

C’est ce qui s’est passé il m’a pas vue il m’a pas vue

Vous le mettez beaucoup sur le compte de l’ivresse ou pas tant que ça ?

Pas tant que ça c’est vrai qu’il avait bu mais de toutes façons il y avait une violence quand j’y repense ça faisait quelques mois qu’il se contenait de plein de choses et je pense qu’il y avait une violence qui devait sortir à un moment ou à un autre quand j’y repense oui et il n’y a pas eu d’espace pour lui pour tenter de mettre en mots tenter d’apaiser

C’est une question un peu triviale mais est ce que vous pensez que ce sont des choses qu’on aurait pu ,que vous auriez pu apprendre ?

En formation

Par exemple vous avez l’impression que la formation a servie à quelque chose à propos de ce type de phénomène ?

Non c’est ce que vous dites on en parle de manière théorique on explique on tente on explique de manière systémique analytique psychologique tout ce que vous voulez heu non moi je me dis aujourd’hui je me dis parfois c’est vrai que on devrait faire des jeux de rôle on devrait oui s’expérimenter dans des jeux de rôle (XII) on devrait tenter de se mettre dans ces situations et puis je me dis une autre chose c’est que ça passe aussi c’est peut-être qu’un bout mais ça passe aussi pas sa propre connaissance ses limites ça passe aussi pas savoir qui on est qu’est ce qu’on amène quand on va où est notre outil hein donc qu’est ce qu’on amène de nous quand on va au travail (XII) et ça je crois que c’est ce qui me rend mal aujourd’hui c’est vrai que quand je vois certains collègues avec beaucoup de certitudes ça me fait très très mal je me dis ouah mais en même temps ça construit les certitudes hein et puis il faut peut-être un temps pour tout mais moi je me dis de plus en plus les jeux de rôle des choses comme ça pour tenter de voir ce que ça fait parce que parce que quand ça arrive c’est …

On ne sait pas ce que c’est du tout ?

Non non [ silence] maintenant je sais pas comment est ce que c’est possible d’apprendre de se rendre compte de ce genre de destruction je ne sais pas si il y a un moyen de montrer ça je sais pas disons qu’avec la raison on sait que ça existe les attitudes violentes les mots violents les manières d’être de faire violentes on voit on sait tout autour de nous on peut peut-être percevoir la sienne aussi à certains moments peut-être c’est difficile hein de revenir un moment tout ça (IV)

Je vous remercie d’en avoir le courage vous voulez qu’on s’en arrête là ?

C’est comme vous voulez si vous avez d’autres questions mais ...

Non mais peut-être qu’il y a des aspects auxquels vous pensez et qu’on n’aurait pas évoqués qui méritent de l’être ?

Après je me dis il y a l’évènement violent mais je me dis après il y a une suite il doit y avoir une suite à ça aussi bien pour l’éducateur qui la vécu que pour le jeune et que pour l’institution (XI) quand je parle au niveau institutionnel et je suis vraiment vraiment surprise que c’est un peu comme le raz de marée quoi le raz de marée passe et après on reconstruit et on recommence mais je suis surprise qu’il n’y est pas un temps d’arrêt ça ça me questionne beaucoup( XI) (p 234) donc on revient à la violence et même pour le jeune je parle même pas de sanction parce que ça c’est une autre chose mais qu’il n’y est pas un temps d’arrêt pour mettre du sens (XI) pour reprendre pour tenter de comprendre temps d’arrêt institutionnel temps d’arrêt d’équipe temps d’arrêt pour le jeune prendre le temps de l’arrêt du stop dire on fait une pose