Beillerot (1998) définit la pratique d’un enseignant par: « la pratique, bien qu’incluant l’idée de l’application, ne renvoie pas immédiatement au faire et aux gestes, mais aux procédés pour faire. La pratique est tout à la fois la règle d’action (technique, morale, religieuse) et son exercice ou sa mise en œuvre. C’est la double dimension de la notion de pratique qui la rend précieuse : d’un côté, les gestes, les conduites, les langages ; de l’autre, à travers les règles, ce sont les objectifs, les stratégies, les idéologies qui sont invoqués». Nous adhérons à cette définition dans le sens où elle met en lien les comportements et traces générées par l’enseignant (« le faire » en situation) avec ses stratégies, idéologies ou objectifs (l’aspect cognitif des procédés pour faire).
Nous reprenons l’idée que la pratique d’un enseignant a une réalité sociale qui renvoie au travail au sens large. Elle n’est pas entièrement observable et ne peut se comprendre et s’interpréter qu’au travers d’une analyse conjointe entre « le faire » en situation et les aspects cognitifs sous-jacents aux procédés visant à mettre en place et à gérer ce « faire ».
Expliciter la pratique, c’est rendre compte d’éléments reproduits aux travers de différentes situations rencontrées par l’acteur. C’est par la répétition des différents composants de la pratique que celle-ci devient observable. Nous ne pouvons donc pas parler de pratique sans parler d’invariants, régis par des règles et des procédures d’actions pour faire en situation.
Définir ainsi la pratique, lui confère une stabilité qui permet :
Pour Beillerot (1998) « le professionnel s’attache à un métier, et il s’agit toujours d’une activité de transformation dans des conditions économiques et sociales déterminées ; l’activité dont il est question contribuant alors à la vie productive d’un ensemble social ». Cette définition nous pose deux questions relatives aux notions de métier, d’activité de transformation et de contribution à la vie productive d’un ensemble social » :
Nous y répondrons par les différents points abordés pour notre cadrage théorique. Nous interprétons la première question comme renvoyant aux conditions de réalisation du métier d’enseignant, délimitant ainsi les champs possibles de sa pratique. Quant à la seconde, elle interroge la part de l’enseignant dans la production au sein d’un ensemble social qui peut être constitué par les élèves de l’enseignant, mais également par d’autres enseignants ou même un collectif plus large.
Cette seconde question renvoie à la distinction entre la pratique professionnelle d’un enseignant (le « style » chez Clot, 1999) et la pratique professionnelle des enseignants (le « genre » chez Clot, 1999). Altet (2002) spécifie la pratique d’un enseignant comme étant : « la manière de faire singulière d’une personne, sa façon réelle, propre, d’exécuter une activité professionnelle : l’enseignement ». La pratique professionnelle est à la fois un ensemble imputé à une personne singulière « le faire propre à cette personne » (Altet, 2002) et s’inscrit dans « les procédés pour faire » (Altet, 2002) qui correspondent à une fonction professionnelle telle qu’elle est définie par un groupe en fonction, de son histoire, de sa culture, de ses buts et de ses choix spécifiques (Clot, 1999). Cette définition rend compte que des professionnels d’un même métier, des enseignants, partagent certains éléments de leur pratique. Ceci conduit le chercheur à faire la distinction entre des caractéristiques communes, i.e. des invariants identiques entre des pratiques de différents enseignants et les caractéristiques individuelles, définissant la pratique propre d’un individu.
Notre définition de la pratique professionnelle d’un enseignant renvoie donc à un répertoire de règles et de procédures d’actions. Les manières de les mettre en œuvre identifiables et invariantes au cours de situations distinctes, sont pour nous des composants de la pratique qui sont pour une part partagée par un collectif et pour une autre part propre à un enseignant. Comme nous l’avons posé au début de ce chapitre, nous considérons que des objectifs, idéologies, stratégies sont sous-jacents à ces règles et procédures d’actions.
En ce qui concerne les conditions de réalisations de la pratique, plusieurs auteurs ont montré que les manières de faire des enseignants en classe étaient soumises à des contraintes extérieures pouvant provenir de différents niveaux du système scolaire (Gauthier, 1997 ; Tardif et Lessard, 1999).
Ainsi, l’identification par le chercheur des invariants doit tenir compte des éléments extérieurs relatifs aux conditions de réalisations de la pratique professionnelle des enseignants. Ces conditions dictées à différents niveaux (éducatifs, micro-sociaux, environnementaux et spatio-temporels) possèdent des similitudes et distinctions. Du point de vue éducatif, c’est le bulletin officiel qui fait référence et qui est commun à chaque enseignant d’une même discipline. Par contre, les conditions environnementales, spatio-temporelles et micro-sociales sont quant à elle issues de l’établissement scolaire et soumises à l’appréciation de chaque enseignant.
Les contraintes extérieures qui participent aux conditions de réalisations de la pratique sont un premier élément partagé par le collectif et ayant une incidence sur la pratique de chaque enseignant. Le répertoire de règles, de procédures d’action et de façon de les mettre en œuvre qui composent la pratique professionnelle de chaque enseignant sont associés à l’appréciation qu’il peut avoir de ces contraintes extérieures. Cela conduit chaque enseignant à avoir des conditions de réalisations de sa pratique spécifiques et communes à d’autres enseignants.
Au regard d’une définition pragmatique de la pratique 5 (Bourdieu, 1980 et 2001), le réseau OPEN (2001, 2002 et 2003) (Observatoire des Pratiques Enseignantes) détermine des dimensions de la pratique professionnelle d’un enseignant ainsi :
Dans la perspective du réseau OPEN, la pratique englobe à la fois la pratique d’enseignement face et avec les élèves, la pratique de travail collectif avec les collègues, la pratique d’échanges avec les parents, le proviseur et la pratique individuelle. Nous reprenons en partie cette perspective. Nous limitons la pratique de l’enseignant à ce qu’il peut faire seul et avec ses collègues pour préparer et avec ses élèves lors de l’enseignement. Ainsi, nous définissons les procédures d’actions et les manières de les mettre en oeuvre comme étant constitués d’actions, de réactions, d’interactions et d’ajustements permettant à l’enseignant de s’adapter à l’aide de son répertoire de règles et procédés à chaque situation professionnelle rencontrée. À cette pratique, nous y associons des dimensions que nous reprenons du réseau OPEN et réécrivons :
Robert (1999) distingue au sein de la pratique professionnelle des enseignants deux états : « les pratiques enseignantes » qui se déroulent hors classe et « les pratiques en classe ».
Pour éviter des confusions terminologiques, nous reprenons l’idée de distinguer la pratique professionnelle de l’enseignant en les nommant : pratiques hors classe et en classe. À ces deux pratiques, Robert (1999) assigne deux objectifs différents et liés entre eux : la pratique hors classe a pour objectif de préparer un contenu d’enseignement, et la pratique en classe a pour objectif de dispenser l’enseignement prévu.
Pour Bourdieu (1980 et 2001), de façon pragmatique, la pratique comporte les caractéristiques suivantes :
- « la pratique est finalisée : elle a un objectif, une fin, une visée,
- la pratique est traduite dans des techniques, les gestes professionnels ;
- la pratique est contextualisée , liée à une situation donnée ;
- la pratique est temporelle, se situe dans un temps donné;
- la pratique est valorisée, toute pratique met en jeu l'affectivité, l'intérêt ;
- la pratique est une réalité psychosociale. »